Histoire des Constituantes

Histoire des Constituantes

Mardi 26 mai 2009, par Samuel Tomei

CONSTITUANTES : Les ruptures

1789

Le Serment du jeu de paume, 20 juin 1789, peinture de Jacques-Louis David
L’Assemblée nationale constituante – 9 juillet 1789-30 septembre 1791

États généraux

La société d’ancien régime est composée de trois ordres : le clergé, la noblesse et le tiers état (ce dernier représentant environ 98 % de la population).
Louis XVI convoque les états généraux le 8 août 1788 afin de leur demander de consentir un effort fiscal dans un contexte financier critique.
À partir de la fin janvier 1789, les cahiers de doléances commencent d’être rédigés par les différentes assemblées électorales.
Tous les Français imposables âgés de plus de 25 ans sont électeurs. C’est la plus large consultation jamais réalisée, presque le suffrage universel.
Les nobles élisent directement leurs représentants dans chaque bailliage ou sénéchaussée. Les curés, pour leur part, siègent et votent en personne pour élire leurs représentants. Enfin, dans le tiers, le vote est à plusieurs niveaux : les assemblées de paroisse élisent des représentants aux assemblées de bailliages à raison de deux pour 200 feux. Michel Vovelle précise que chaque corporation choisit un représentant pour 100 membres votants dans les métiers, deux dans les corps les plus distingués (négociants, arts libéraux). Ces électeurs forment ensuite l’assemblée électorale de tiers de la ville, qui refond en un seul les cahiers de doléances et choisit ses électeurs à l’assemblée électorale de tiers du bailliage qui à leur tour élisent les députés aux états généraux.
Les états inaugurent leurs travaux le 5 mai 1789 à Versailles. Sur environ 1 200 députés, la moitié représente, à parts quasi égales, le clergé et la noblesse, et l’autre moitié le tiers état. Les députés du tiers réclament le vote par tête, les nobles et les ecclésiastiques préférant le vote par ordre. Ainsi les députés du tiers, qui se rebaptisent « Communes », à l’anglaise, refusent de siéger séparément et souhaitent procéder à la vérification des mandats en commun avec les deux autres ordres qui refusent.

Assemblée nationale

Si l’on enregistre des défections du côté des privilégiés du clergé, la noblesse campe résolument sur ses positions. Le 17 juin 1789, les communes décident, sous l’impulsion de l’abbé Sieyès, de s’appeler « Assemblée nationale ». Selon Alphonse Aulard, « il faut bien rappeler la manière inconsciemment républicaine dont cette assemblée fit aussitôt acte de souveraineté au nom de la nation. » « Inconsciemment » car il n’est alors pas question de renverser la monarchie.
Le clergé décide de s’unir au tiers et, la salle des Menus-Plaisirs étant fermée pour cause de préparation de la prochaine séance royale, les députés de l’Assemblée nationale se réunissent dans la salle du Jeu de Paume, le 20 juin 1789, afin de prêter le fameux serment de ne « jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du Royaume soit établie et affermie sur des fondations solides ». « Serment de résistance, serment de faire quand même une constitution » selon Aulard. Quinet, en 1865, raconte : « Ces six-cents hommes étaient debout, la main levée. On apporte une table, Bailly y monte, il reçoit l’un après l’autre le serment de chacun d’eux. Une seule voix s’y opposa ; celle-là servit à constater la pleine liberté des autres. Premier serment d’être libre ! »
Le 27 juin, le roi cède à la résistance de l’Assemblée et ordonne à la noblesse de rejoindre l’Assemblée nationale.

Assemblée nationale constituante

Le 9 juillet 1789, l’Assemblée nationale se donne le nom d’Assemblée nationale constituante. Un comité de la Constitution de 30 membres est élu par les députés et Mounier, en son nom, présente un premier rapport le 9 juillet, plan de travail en articles aux termes duquel il s’agira de préciser les droits de la nation et du roi.
Les constituants se répartissent au sein de 34 comités (le principe de non cumul n’est pas respecté). L’œuvre de la Constituante est considérable. En voici les principales étapes :
Le 9 juillet 1789 naît ce qui deviendra une solide tradition républicaine : le mandat impératif est déclaré nul à une écrasante majorité. Seule l’assemblée est délibérante - c’est le principe de légicentralité -, et les constituants sont ainsi les représentants de la nation entière voué au service de l’intérêt général et non les mandataires d’un territoire ou d’une portion du peuple.
Le 11 juillet, La Fayette dépose un projet de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et demande qu’il figure en tête de la future Constitution. C’est le 26 août de la même année que sera adoptée, amendée, la Déclaration à laquelle se réfère encore aujourd’hui le préambule de notre Constitution.
Le 4 août 1789, on abolit les privilèges.
Le 10 septembre 1789, l’Assemblée adopte du principe d’une chambre unique, la volonté du souverain étant indivisible.
Le 11 septembre, elle accorde le veto suspensif au roi.
Le 2 novembre 1789, les biens de l’Église deviennent biens nationaux.
Le 7 novembre 1789, les constituants décident de ne pouvoir être membres de l’exécutif.
On relèvera aussi la loi Le Chapelier sur les associations professionnelles, le redécoupage administratif en départements, la constitution civile du clergé…

Le 3 septembre 1791, la nouvelle Constitution est présentée à Louis XVI qui accepte de la reconnaître dix jours plus tard et d’y apposer sa signature avant de prêter serment.

Les constituants se séparent le 30 septembre 1791 et ne peuvent être réélus à la future assemblée législative.

En 1922, dans son livre sur la Révolution, Albert Mathiez écrit qu’ « aucune assemblée peut-être n’a été plus respectée que celle qui s’est appelée la Constituante et qui eut en effet l’honneur de « constituer » la France ».


1848

La Barricade de la rue Soufflot, Paris, février 1848, peinture d’Horace Vernet

L’Assemblée nationale de 1848

Chute de la monarchie de Juillet, nomination d’un gouvernement provisoire et proclamation de la République.

À la fin février 1848, après plusieurs semaines de protestation populaire que le gouvernement a cherché à endiguer avec de plus en plus de difficulté, la monarchie de Juillet vacille. Le 23, à Paris, la garde nationale, censée rétablir l’ordre, a en effet fraternisé avec les manifestants et la démission de Guizot n’a pas changé le cours des événements. La capitale hérissée de barricades, les Tuileries attaquées par la foule, le roi abdique le jeudi 24 en faveur de son petit-fils, le comte de Paris, âgé de neuf ans.
Mais une partie des insurgés a investi le Palais Bourbon et met en échec la tentative de la duchesse d’Orléans de faire reconnaître son fils comme successeur légitime de Louis-Philippe. Ce même 24 février au soir, à l’Hôtel de Ville, un gouvernement provisoire est formé.
Le 25 février, la République est proclamée, la Chambre des députés dissoute et la Chambre des pairs interdite de réunion. Le gouvernement décide la convocation d’une Assemblée nationale.

Formation de l’Assemblée constituante.

Le décret du 5 mars 1848 instaure le suffrage universel direct masculin, si bien que le corps électoral passe de 240 000 à 9,4 millions d’électeurs âgés de plus de 21 ans et résidant dans leur commune depuis plus de six mois. Il s’agit d’élire 876 « représentants du peuple » (et non plus députés), âgés d’au moins 25 ans et rémunérés 25 francs par jour pendant la session. Ils sont élus au scrutin de liste (des listes qui ne sont pas bloquées), départemental et à un tour.
Le jour des élections, le 23 avril 1848, 84 % des inscrits participent au vote ! Les historiens de la période éprouvent la plus grande difficulté à déterminer avec précision quel est le rapport des forces en présence au sein de la nouvelle assemblée. Très schématiquement, on peut distinguer, de gauche à droite, cinq groupes : les socialistes, les républicains radicaux (les démocrates) qui souhaitent une république démocratique mais se méfient de la République sociale, les républicains de la veille qui forment la majorité de l’Assemblée, les républicains du lendemain, surtout d’anciens orléanistes, enfin, à droite, les légitimistes.
L’Assemblée nationale se réunit pour la première fois le 4 mai dans un bâtiment en bois rectangulaire édifié à la hâte dans la cour du Palais Bourbon afin de pouvoir contenir tous les représentants, ce que ne permettrait pas l’hémicycle où se tenaient les séances de la Chambre des députés. Les nouveaux élus proclament la République à l’unanimité dans la salle des séances puis sur le perron de ce que les députés de droite appellent par dérision la « salle de carton » - à dix-sept reprises en tout. Le 4 mai (et non le 24 février) sera ainsi la date retenue pour célébrer la République en 1849, 1850 et 1851. Comme le rappelle Maurice Agulhon, « toute une philosophie politique est incluse dans cette substitution : le régime veut être né dans une assemblée régulièrement élue, et non pas sur des barricades ».
Le 10 mai, la Constituante élit parmi ses membres une commission exécutive de cinq membres qui choisira à son tour les ministres. Elle crée par ailleurs 15 comités permanents. La commission exécutive sera démise de ses fonctions après les manifestations consécutives à la fermeture des ateliers nationaux en juin, les pleins pouvoirs étant confiés au général Cavaignac, ministre de la guerre.
Une commission de 18 membres d’opinions variées est en particulier chargée de préparer la Constitution. Ils s’accordent sur un modèle prévoyant une déclaration des droits et devoirs, une stricte séparation des pouvoirs avec, d’un côté, une assemblée ne pouvant être dissoute et, de l’autre, un président de la République élu au suffrage universel. Le 19 juin, après un mois de travail, le texte est présenté aux bureaux de la Constituante. Au total, la discussion et les procédures d’élaboration de la nouvelle Constitution durent six mois, le texte définitif étant voté le 4 novembre par 739 voix contre 30 et promulgué le 21.

La mise en place des nouvelles institutions
La nouvelle Constitution prévoit donc l’élection d’une chambre unique appelée Assemblée nationale législative, composée de 750 représentants du peuple âgés d’au moins 25 ans, élus pour trois ans au suffrage universel masculin et au scrutin majoritaire de liste à deux tours. Le Président de la République est élu au suffrage au suffrage universel masculin pour quatre ans et n’est pas immédiatement rééligible. Il est à la fois le chef de l’État et celui du Gouvernement puisqu’il nomme et révoque les ministres.

La date de l’élection présidentielle est fixée au 10 décembre 1848. C’est Louis-Napoléon Bonaparte qui l’emporte de loin avec près des trois-quarts des suffrages exprimés. Si Maurice Agulhon estime qu’il est difficile d’interpréter le raz de marée bonapartiste, il ajoute que, au cours des décennies à venir, libéraux et républicains prendront le bonapartisme « comme le test et la mesure de l’analphabétisme politique, et peut-être est-ce en définitive le moins contestable des diagnostics. »

La Constituante se sépare en mai 1849 après n’avoir pu voter que deux des dix lois organiques visant à harmoniser les diverses institutions – interprétation extensive de son pouvoir constituant que l’Assemblée.

La nouvelle Assemblée nationale législative est élue le 13 mai 1849.


1946


Libération de paris, Août 1944

La double consultation du 21 octobre 1945

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la question se pose de savoir si le complet rétablissement de la légalité républicaine doit se réaliser dans le cadre des lois constitutionnelles de 1875 mises à bas par le régime de Vichy. Cette solution n’a pas les faveurs du général de Gaulle.

Le 21 octobre 1945, un référendum est organisé auquel les femmes sont invitées à voter pour la deuxième fois (elles ont déjà pu s’exprimer lors des élections municipales des 29 avril et 13 mai 1945).
Il s’agit pour les électeurs de répondre à deux questions :

1 – « Voulez-vous que l’Assemblée élue ce jour soit une Assemblée constituante ? »
2 – « Approuvez-vous l’organisation provisoire des pouvoirs publics indiquée dans le projet qui vous est soumis ? », le texte prévoyant que l’Assemblée serait élue pour sept mois, que le projet de Constitution serait soumis à référendum et que le chef du Gouvernement désigné par l’Assemblée ne pourrait être renversé que par le vote d’une motion de censure à la majorité de ses membres.

Toutes les forces politiques sauf le parti radical, favorable au retour des anciennes institutions, ont appelé à voter « oui » à la première question. De même pour la seconde question, à l’exception du parti communiste qui n’entendait pas limiter les pouvoirs de la Constituante.

Les trois quarts des électeurs se sont exprimés dont 96 % en faveur du oui à la première question et 66 % pour le oui à la seconde.

Sept mois pour faire une Constitution rejetée par les électeurs

Quant à l’Assemblée constituante, elle est élue au scrutin proportionnel. Le parti communiste devient la première force politique du pays en rassemblant plus de 26 % des suffrages exprimés. Suivent le MRP (24 %), la SFIO (23 %), les modérés (16 %), enfin les radicaux et l’UDSR (10 % - les radicaux sont les grands perdants du scrutin).
Charles de Gaulle est élu président du Gouvernement provisoire. Désirant un exécutif fort, il se heurte aux deux partis de gauche, majoritaires en sièges, qui souhaitent, pour leur part, que le centre de gravité du pouvoir reste au Palais Bourbon. Aussi de Gaulle démissionne-t-il le 21 janvier 1946, pensant créer un choc dans l’opinion et croyant pouvoir compter sur le soutien du MRP et par là être rapidement rappelé aux affaires. Il attendra douze ans. Cependant que les trois grands partis s’entendent pour gouverner le pays, donnant naissance au tripartisme. Félix Gouin succède à de Gaulle.

Une commission de la Constitution est créée au sein de la Constituante, successivement présidée par André Philip puis Guy Mollet. Le projet que la commission élabore ne prévoit qu’une seule Chambre qui élirait un Président de la République dépourvu de réelle autorité – il doit se contenter, par exemple, de transmettre à l’Assemblée le nom de ses candidats à la présidence du Conseil... Le texte est adopté par 309 voix contre 249.
Soumis à référendum le 5 mai 1946, il est, à la surprise générale, rejeté par 53 % des suffrages exprimés.

Les électeurs sont donc convoqués pour élire une seconde assemblée constituante qui, elle aussi, disposera de sept mois pour proposer à nouveau un texte au référendum.

La seconde Constituante

Le rapport de force, à l’issue des élections, ne change pas considérablement, le MRP (qui a fait campagne pour le « non ») passant en tête, le PCF maintenant ses positions et la SFIO reculant quelque peu. Cela dit, en nombre de sièges, communistes et socialistes perdent la majorité absolue et doivent donc composer avec le MRP.
Aussi le nouveau projet prévoit-il une seconde chambre, appelée Conseil de la République – reste que le bicaméralisme est totalement déséquilibré en faveur de l’Assemblée nationale -, l’élection du chef de l’État par les deux chambres, ce dernier disposant du droit de nommer le président du Conseil. Le texte est voté par 440 députés contre 106.

Malgré l’opposition des gaullistes, les Français adoptent la nouvelle mouture par référendum le 13 octobre 1946, par 53,5 % des suffrages exprimés (mais seulement 36 % des inscrits). Ainsi, selon de Gaulle, « un tiers l’a rejeté, un tiers s’est abstenu et un tiers l’a approuvé. »
Les élections à l’Assemblée nationale ont lieu le 10 novembre 1946.