L'Europe malade de ses peuples ou les peuples malades de l'Europe ?

L’Europe malade de ses peuples ou les peuples malades de l’Europe ?

Lundi 9 juin 2014, par Gabriel Galice, Tribune libre

L’Europe malade de ses peuples ou les peuples malades de l’Europe ?

Les dernières élections pour le Parlement européen méritent des analyses plus sérieuses que l’opposition convenue entre « europhiles » et « europhobes ». Ceux qui n’aimaient pas la politique de Margaret Thatcher n’étaient pas, ipso facto, anglophobes. Auteur de L’Europe truquée, Claude Bourdet était un grand « européen ».

Semblablement, il serait déraisonnable que des élites autoproclamées (« éligarchies » ?) continuent à mésuser inconsidérément du vocable fourre-tout de « populiste ». Les démagogues qui flattent toutes les bassesses sont détestables, ceux qui font bien peu de cas du peuple, de son bien-être, de son opinion, de ses aspirations, ne le sont pas moins.

Troisième approximation : la confusion entre la situation financière d’un pays et celle de sa population. L’Espagne et la Grèce vont mieux (« La Grèce est de retour sur les marchés financiers », écrivaient les journaux voici quelques semaines), d’un point de vue comptable, mais les Espagnols et les Grecs vont plus mal dans leur chair, leurs attentes, leur désespoir. Ce décalage mérite considération. La revue britannique The Lancet, vient de rendre compte des effets de la crise sur la santé et la mortalité des Grecs : 2000 morts supplémentaires. http://blog.santelog.com/2011/10/10/sante-publique-la-crise-financiere-une-tragedie-grecque-the-lancet . Les plus de 65 ans et les nouveau-nés sont particulièrement touchés. Les dirigeants espagnols se préparent à brader l’immobilier social à des investisseurs comme Goldmann-Sachs, et aussi une réserve naturelle pour la transformer en zone résidentielle pour privilégiés, au prétexte de renflouer l’Etat.

Pendant ce temps-là, les ventes d’armes continuent, leur achat aussi, qui grève les budgets des Etats. Officiellement, il s’agit de garantir la sécurité des pays. Il le faut indéniablement. Mais, là aussi, attention aux approximations. Les ventes d’armes sont une des principales sources de corruption des dirigeants politiques, comme le rappelait le SIPRI dans son rapport 2011. La lutte anti-terroriste ne justifie pas tout. Et la sécurité ne se borne pas aux considérations policières et militaires. La sécurité sanitaire, alimentaire, de l’emploi, des enfants, importe au mois autant aux populations, ainsi qu’en attestent régulièrement les enquêtes menées.

Il convient de s’interroger sur le taux d’abstention dans les pays de l’Union, premier signe de dédain. L’Europe actuelle est fort éloignée du rêve de Victor Hugo et même des projets des pères fondateurs. De Marché commun à six doté de préférences tarifaires, elle est devenue une Union à 28, fraction du marché mondial, où « les riches vont où ils veulent, les pauvres où ils peuvent » (Régis Debray) Tous les groupes sociaux ne profitent pas également de la situation et la sociologie électorale en rend partiellement compte.

L’affaire est complexe, les situations sont contrastées. Les Français accordent 25% des suffrages exprimés à la droite extrême et 7% à la gauche radicale quand les Grecs font le contraire. Peu frappés par le chômage et l’immigration, les Danois plébiscitent la droite nationaliste. Ils pratiquent la frappe préventive ?

Il est troublant que la campagne pour les élections au Parlement européen ait accordé si peu de place au projet de Partenariat Transatlantique sur le Commerce et l’Investissement (PTCI). Hypothétique poulet à l’eau de javel mis à part, le point crucial concerne l’arbitrage privé préféré aux juridictions publiques des Etats, sous couvert d’efficacité et de modernité. L’article 23 vaut d’être largement cité pour son obscure clarté : « Mise en œuvre : l’Accord devrait viser à inclure un mécanisme de règlement des différends investisseurs-Etats, efficace et des plus modernes, garantissant la transparence, l’indépendance des arbitres et ce qui est prévu par l’Accord, y compris à travers la possibilité pour les Parties d’appliquer une interprétation contraignante de l’Accord. Le règlement des différends d’Etat à Etat devrait être inclus mais ne devrait pas empêcher le droit des investisseurs d’avoir recours à des mécanismes de règlement des différends investisseur-Etat. Il devrait fournir aux investisseurs un éventail d’arbitrage aussi large que celui actuellement disponible en vertu des accords bilatéraux d’investissement des Etats membres. Le mécanisme de règlement des différends devrait comprendre des protections contre des plaintes manifestement injustifiées ou frivoles. » Le pouvoir judiciaire d’une démocratie serait-il « frivole » ? Le sénateur centriste « europhile » Jean Arthuis s’oppose vigoureusement au PTCI.

José Manuel Barroso, lui, qualifie hardiment de « réactionnaire » la revendication française de protection culturelle contre les pourvoyeurs d’images.

En démocratie, cela mérite des débats sérieux plutôt que des invectives. L’Europe est-elle malade de ses peuples ? Les peuples sont-ils malades de l’Europe ? Quelle Europe voulons-nous ?