Parité aux départementales : une dangereuse innovation

Parité aux départementales : une dangereuse innovation

Mercredi 11 mars 2015, par Anne-Cécile Robert

Binômes homme/femme aux départementales : une dangereuse innovation

Les élections départementales de la fin mars 2015 comportent une innovation saluée par la plupart des commentateurs : l’obligation pour les candidats de se présenter en « binôme » homme/femme. Les promoteurs de cette réforme la présente comme un outil de lutte contre les discriminations dont sont victimes les femmes dans la vie politique. Il s’agit de la première véritable mise en œuvre du principe de parité qui, s’il n’est pas inscrit tel quel dans la Constitution, commande désormais une certaine vision de la démocratie et irrigue les mesures législatives adoptées en son nom.

Pourtant, s’il est indéniable que les femmes subissent des discriminations qui doivent être éradiquées d’urgence, la portée politique et philosophique de l’instauration de ces binômes homme/femme est sous-estimée dans ce qu’elle a de destructeur des fondements mêmes de notre démocratie, et notamment des principes républicains et humanistes. En effet, elle brise un tabou vital pour la démocratie républicaine, celui de l’unité de l’humanité par-delà les différences (ethnie, religion, conviction…). La logique paritariste dans laquelle s’est insidieusement embarqué le législateur introduit la différence des sexes dans la définition même de la souveraineté nationale. C’est-à-dire au cœur même de ce qui fonde l’unité du corps social. Une fois cette unité fondamentale brisée, la brèche ne pourra que s’agrandir. En ce sens, la parité offre, par nature, un espace au communautarisme.

L’appel à une parité politique, syndicale et même parfois domestique s’accompagne de la critique de l’universalisme, principe qui a abrité l’exclusion des femmes de la représentation et même de la vie politique. De la critique, on passe aisément à la remise en cause et le combat pour la parité aboutit à la revendication et à l’instauration d’un « universalisme sexué ». Ainsi, Mme Gisèle Halimi estime-t-elle qu’il faut « remettre l’universalisme sur ses deux jambes : l’homme et la femme ».

Ainsi, dans le cadre de la nouvelle loi pour les élections départementales, un candidat n’existe pas s’il n’est pas jumelé à une candidate. Etrange vision de l’individu !

L’universalisme est-il vraiment l’ennemi des femmes ? Il est vrai que l’universalisme a abrité l’incroyable machisme des sociétés, machisme qui perdure encore aujourd’hui dans des proportions qui stupéfient la raison. Cependant, si l’universalisme a masqué l’oppression dont les femmes sont victimes, il ne l’a jamais justifié du point de vue philosophique et intellectuel. Sa signification intrinsèque a été usurpée par des rapports de forces historiques et culturels. Mais il est, comme principe, un pilier de la démocratie et de la république. En effet, l’universalisme qui établit une indifférenciation sexuée des membres du corps social a accompagné l’avènement de la démocratie. Au nom du principe d’égalité, il interdit en effet les prévalences sociales, de sang et de « race ». La pratique et les habitudes culturelles ont usurpé, au détriment des femmes, un principe commun à tous, hommes et femmes.

Humanisme et universalisme sexués… Ce changement de terminologie et de concept est loin d’être banal : il revient à un changement de paradigme philosophique, assumé par les féministes philosophes, telle Mme Sylvianne Agasinski. Si la Constitution ne reprend pas le terme de parité, elle inscrit à l’article 1 qui précise que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Cette phrase, en apparence banale, traduit une rupture grave dans la tradition républicaine universaliste et introduit le principe de l’humanisme sexué au sommet de la hiérarchie juridique. En effet, en conséquence de cette modification, le corps social n’est pas représenté s’il n’y a pas autant d’hommes que de femmes. Il n’y a donc plus de principe d’égalité des citoyens mais un principe d’égalité des citoyens et des citoyennes. Donc un droit de représentation et de participation sexué. Or, comme le souligne la juriste Evelyne Pisier, « les femmes ne sont pas sous-représentées, elles sont sous-représentantes ». C’est le droit des femmes à représenter la nation, à parler au nom du corps politique qui est nié par le machisme, pas leur droit à être représentées en tant que femme. D’ailleurs, en démocratie, personne n’a de droit à être représenté en tant que. Ce que la plupart des féministes admettent d’ailleurs lorsqu’elles demandent que la loi leur garantisse un accès aux listes de candidatures, pas à un quota d’élues. Pourtant, en pratique, c’est bien à cela qu’aboutit la révision constitutionnelle et la logique paritariste qui la porte. Et c’est bien la signification intrinsèque de la parité. Le fait qu’on ait choisi de modifier l’article 1 de la Constitution confirme cette analyse. Il en serait allé tout autrement si on avait choisi de modifier l’article 4 sur le rôle des partis, comme on l’avait proposé à l’origine.

Le nouveau paradigme de l’humanisme sexué brise l’unité de l’humanité : il n’y a plus d’humanité, il y a une humanité sexuée. La sémantique elle-même enterre l’humanisme et l’universalisme. En effet, quand on qualifie un terme, on en atténue nécessairement la portée. Parler d’humanisme et d’universalisme sexué, c’est diminuer leur impact politique et philosophique. Irait-on parler de droits de l’Homme pluriels ? On divise l’humanité. Mais on la divise jusqu’où ? Les paritaristes ont beau expliquer que la différence des sexes est incomparable à toute autre distinction, il n’empêche que la parité brise un tabou en faisant admettre la division de l’humanité. Elle rompt ainsi un rempart élevé contre les discriminations et invoqué notamment contre le racisme. La digue est rompue ; qui arrêtera le flot en ces temps de résurgence des intolérances ?

Faire des entorses à l’universalisme, pilier de notre démocratie, revêt donc une portée considérable. On ne change pas de principe fondateur au gré des revendications, si légitimes soient-elles, de telle ou telle catégorie de personnes. Un principe est essentiel ou il ne l’est pas. S’il est essentiel, on voit mal comment il pourrait être mis entre parenthèses. Seules les démocraties en état de guerre, ou les dictatures, opèrent ce type de tour de passepasse et c’est rarement au bénéfice des libertés publiques.