Loi Urvoas : Evolution inquiétante de l'Institution Judiciaire

Loi Urvoas : Evolution inquiétante de l’Institution Judiciaire

Mardi 12 juillet 2016, par Loïck Gourdon

Avant toute chose, je tiens à préciser que cette réflexion n’émane pas d’un juriste sinon d’un citoyen attentif préoccupé par la dérive autoritaire des institutions républicaines.

Loïck Gourdon

Les 8 mars et 5 avril 2016, l’Assemblée Nationale et le Sénat ont adopté en première lecture, dans le cadre d’une procédure accélérée, le projet de loi « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale ». Le 11 mai 2016, la Commission mixte paritaire a abouti à un accord entre les deux assemblées.

Ce texte préparé sous la pression des évènements tragiques de novembre 2015 fragilise le système pénal inquisitoire français et s’oriente vers l’instauration d’une procédure accusatoire de type anglo saxon par le renforcement des pouvoirs du Ministère Public au détriment des prérogatives du Juge de l’Instruction, menaçant ainsi les libertés individuelles.

Ainsi, le Législateur a-t- il permis au Ministère Public d’agir à la place du Siège, qui se trouve donc légalement dessaisi et de recourir, sur autorisation du Juge des Libertés de la détention à des mesures d’enquête antérieurement réservées au juge d’instruction. La loi du 9 mars 2004 modifiée accorde au Ministère Public non seulement la faculté mais le monopole de poursuivre ou non les auteurs présumés de faits pénalement répréhensibles mais de mettre en œuvre l’une des alternatives aux poursuites prévues par la loi, notamment au moyen des mesures énoncées de l’article 41-1 du Code de procédure pénale ou de la composition et 41-2 de la composition pénale qui lui donne le droit de fixer une amende ou d’interdire la sortie du territoire pendant six mois et plus. En outre, ce texte instaure la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le pouvoir au Parquet de négocier avec l’auteur d’un délit sa peine et ses obligations envers la victime, sous réserve d’une validation formelle du Juge du siège en audience publique. Cette dernière mesure semble fortement inspirée du « plea bargaining », ou négociation de plaidoyer du droit anglo –saxon et comporte une part d’arbitraire.

Par ailleurs, la loi 9 mars 2004 et celles du 14 mars 2011 d’Orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, du 14 avril 2011 relative à la garde à vue et du 28 mars 2014 relative à la géo-localisation ont conféré au Parquet des pouvoirs d’instruction dans le cadre de la lutte contre le crime organisé qu’il n’avait pas antérieurement (écoutes téléphoniques au cours de l’enquête préliminaire, autorisation de perquisitions).

Jusqu’à présent ces mesures sont à la seule main du Juge d’instruction qui délivre une commission rogatoire à la police judiciaire uniquement en cas d’urgence et dans trois situations : la flagrance, le risque immédiat de disparition de preuves ou d’indices matériels, la forte probabilité que les occupants sont en train de commettre des crimes ou des délits de nature organisée. Si le Parquet, à brève échéance, est mis à égalité avec le Juge d’instruction -dont la charge a failli être supprimée par un Président de la République habitué des prétoires- il y a fort à parier que ce dernier se voit marginalisé et ne suive plus qu’une quantité restreinte de dossiers. Notons au passage que la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans son arrêt de cassation du 15 décembre 2010 précise que « le Ministère Public, en tant que notamment est partie au procès, n’est pas une autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles, au sens de l’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958. »

Fait nouveau : dans le cadre de la lutte contre le crime organisé, et le terrorisme, le Parquet pourra mener des instructions à charge et à décharge, malgré la présence d’un avocat pour assister les personnes en cause, le Parquet se trouvera donc dans une position juridiquement ambigüe, difficilement compatible avec la règle démocratique.

A nos yeux, le Ministère Public doit demeurer le vecteur d’une politique pénale unique sur l’ensemble du territoire de la République, laquelle doit procéder des représentants du suffrage universel. D’où l’importance de rendre la totalité des pouvoirs d’information judiciaire au Juge du siège indépendant, c’est à dire inamovible, à l’abri des pressions de représentants du pouvoir politique. La pérennisation des mesures d’exception est dangereuse dans une démocratie au regard des droits de l’Homme et du citoyen.

Il y a lieu de s’inquiéter si le Législateur, à l’initiative du Sénat, institue une « peine de perpétuité réelle » incompressible de trente ans au lieu de 24, pour les auteurs de crimes terroristes de même que de l’irresponsabilité pénale en faveur des forces de l’ordre en cas d’usage d’armes à feu en cas de récidive ou de tentative de meurtre peut conduire à un usage disproportionné de leurs armes. Il serait judicieux de conduire une réflexion sur l’usage des armes de service pour unifier les droits applicables, à la police, les douanes, la gendarmerie dans le respect de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales mais surtout de l’article 12 de la Constitution des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui dispose que : « la garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. »

La loi prévoit aussi des moyens renforcés de contrôle et de surveillance des populations donnés à l’administration (fouilles de véhicule et de bagages autour de site sensibles, accès restreint à de grandes manifestations, contrôle d’identité pouvant aller jusqu’à 4 heures, le temps de consulter les divers fichiers en dehors de tout contrôle judiciaire).

En ce qui concerne les personnes de retour sur le territoire national après un déplacement à l’étranger pour lesquelles il « existera des raisons sérieuses de penser » que le voyage a pour but de participer à des opérations terroristes, elle pourront faire l’objet de la part du Ministère Public après information au Procureur de la République, d’une assignation à résidence d’un mois et d’une obligation de contrôle policier sous réserve que cette mesure soit compatible avec une vie familiale normale. Dans un délai d’un an ces personnes pourront être contraintes à signaler, leur domicile, leurs changements de résidence, l’identifiant de leur instrument électronique de communication. Ces mesures ressemblent fort à celles prévues par la loi de 1955 sur l’état d’urgence.

En outre les forces de l’ordre seraient autorisées à enregistrer des images ou des conversations de citoyens à l’aide de « caméras piétons » dans l’hypothèse où serait susceptible de se produire ou se produirait un incident. Au regard du droit au respect de la vie privée il n’est pas certain que la mise en œuvre d’un tel système de surveillance soit « assortie de garanties de nature à sauvegarder l’exercice des libertés individuelles » comme le Conseil constitutionnel l’avait relevé dans sa décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995 à propos de l’installation d’un dispositif de surveillance.

De plus, pour lutter contre le trafic d’armes et de biens culturels ainsi que le blanchiment d’argent sale les prérogatives des fonctionnaire de la police chargés de l’infiltration des réseaux verraient leurs attributions élargies. Enfin TRACFIN pourra inviter les établissements financiers qui fournissent actuellement l’essentiel des opérations de soupçon reçues par ce service, en particulier des personnes sur lesquelles celui-ci détient des informations laissant présumer des opérations de blanchiment.

Pour conclure, le projet de loi « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale » s’inscrit dans une tendance au renforcement des pouvoirs du Parquet qui n’est pas une autorité judiciaire garante des libertés individuelles, au sens l’article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958. A défaut d’être indépendant et en tant que partie à l’instance, l’extension de ses pouvoirs d’enquête est une souce d’inquiétude dans une démocratie dans la mesure où la politique pénale ne peut qu’obéir au principe d’égalité de la République. A cet égard le rôle le Juge d’instruction indépendant dans le système judiciaire est fondamental. Il convient de restaurer son autorité.

Par ailleurs on peut se demander si les nouveaux pouvoirs concédés aux forces de l’ordre ne reviennent pas à pérenniser, sans le dire certaines dispositions de l’état d’urgence dont la constitutionnalisation a été fort heureusement abandonnée. Par ailleurs il a lieu de s’interroger sur la réalité du contrôle des compétences accrues de l’administration en matière de surveillance des individus. La conjonction de ses deux tendances doit appeler les citoyens à redoubler de vigilance, ces citoyens doivent en tous points rester compatibles avec les termes de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.