En réponse au Premier Ministre sur l'avenir des communes

En réponse au Premier Ministre sur l’avenir des communes

Samedi 7 octobre 2017, par Yvan Lubraneski

Par lettre du 30 août, le premier ministre Edouard Philippe a tenté d’engager un débat avec les maires. La question est particulièrement importante dans le désarroi créé par les atteintes successives aux pouvoirs et aux ressources des collectivités territoriales.

Nous publions en pièce jointe pdf la lettre d’Edouard Philippe et ci-dessous la réponse d’Yvan Lubraneski question par question. Les questions du premier ministre sont en italiques et les réponses en caractères droits.

Association des Maires Ruraux de l’Essonne

1, Place de la Mairie 91470 Les Molières

contact@amr91.fr

Les Molières, le 25 septembre 2017,

Monsieur Édouard Philippe
Premier Ministre
Hôtel de Matignon
57, rue de Varenne
75007 PARIS

Attn : Monsieur le Ministre de la Cohésion des Territoires

Réf : votre lettre aux Maires du 3/08/2017

Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Ministre de la Cohésion des Territoires,

Votre courrier du 3 août dernier propose d’ouvrir le débat entre le Gouvernement et les collectivités locales, initiative que je salue, surtout dans la mesure où votre démarche semble être motivée par une recherche d’efficacité et de prise en compte des énergies et initiatives locales.

Je vous livre donc ci-après mes réponses, derrière vos questions, en espérant que mes collègues aient également su mettre à profit cette invitation de votre part.

Depuis 10 ans, diriez-vous que les fractures entre les territoires ont eu tendance à se réduire ou à s’accentuer ? Selon vous, dans quels domaines l’Etat et les collectivités doivent-ils agir en priorité pour réduire ces fractures et permettre à chaque territoire d’exprimer et de valoriser ses initiatives ?

Votre constat est juste. Il est le résultat de politiques publiques basées sur des critères démographiques : elles ne peuvent qu’accentuer les inégalités territoriales, créant à la fois des concentrations et des désertifications. Les métropoles entassent les problèmes et y répondent mal, pendant que le monde rural n’est pas sérieusement soutenu dans ses initiatives de relocalisation de l’emploi. Vous conclurez sans doute que la réduction de ce phénomène ne peut être que bénéfique à l’un et à l’autre. Nous attendons donc que vous le traduisiez dans votre politique...

Il faudrait enfin avoir un « projet national de territoire » qui rompe avec l’obsession de développer les seules métropoles.

Il faudrait soutenir les communes, territoires de projets, capables de mutualisation et coopération dans l’intercommunalité, mais aujourd’hui « embarquées » dans des transferts de compétences à marche forcée, et des espaces communautaires qui dépassent les périmètres de bassins de vie où les citoyens pourraient au contraire être associés à un projet de territoire, en proximité. Si ce processus enclenché se confirme, la colère des citoyens et l’incapacité à gérer des territoires vastes solderont cette phase destructrice de lien. Nous aurons perdu temps et efficacité. Il est encore temps de prendre un meilleur chemin !

Outre les politiques publiques à mettre en place pour soutenir les énergies locales, il convient donc d’arrêter la mathématique des dotations assises sur des critères démographiques et la prime aux territoires urbains : pour une commune de moins de 3 500 habitants, la dotation par habitant varie de 64,46 à 85,39 euros, alors qu’elle est de 125,82 euros pour les villes de plus de 150 000 habitants.

De même, la notion d’espace doit être intégrée à la réforme territoriale qui fixe des seuils de population comme étalon absurde. Ce ne serait pas bête de la constitutionnaliser.

Il faut redonner une vraie capacité d’agir aux communes à même de connaitre les besoins.

L’agrandissement et les transferts de compétences obligatoires (issus de la loi NOTRé) des EPCI à fiscalité propre ne se sont pas accompagnés d’une révision de la gouvernance communautaire : laissons une place plus démocratique aux communes moins peuplées qui les composent !

Je demande la révision du barème de représentation légal des intercommunalités pour donner à chaque commune un nombre de représentants qui ne soit pas exclusivement proportionnel à sa population. Les communes rurales sont prêtes à faire des propositions qui tiennent compte du territoire de l’EPCI et intègrent de nouveaux critères, notamment de surface.

L’allègement des normes qui s’imposent aux collectivités pourrait permettre de dégager des économies. Avez-vous des propositions précises en ce sens qui permettraient à votre collectivité de réaliser des économies, sans mettre en cause la sécurité des personnes et des biens ?

L’espace européen et sa production normative, la spécialisation et technicité des hauts fonctionnaires de l’Etat et de leurs conseils ont juste oublié de prendre en compte la réalité locale pour une application modulée sur le territoire.

Cela ne veut pas dire faire fi des normes, mais être capable de souplesse et d’adaptation dans leur mise en œuvre. Je crois les maires disposés à collaborer pour que nous soyons tous plus efficients. Nous intervenons notamment en ce sens au Conseil national d’évaluation des normes dont les rendus méritent lecture plus attentive de votre part.

Le principe d’une étude d’impacts des normes et d’un calcul de rapport utilité/coût avant réalisation devrait être systématique.

Les projets d’investissements sont souvent complexes à mettre en œuvre, en particulier lorsque la collectivité ne dispose pas des ressources suffisantes en termes d’ingénierie. Pourriez-vous préciser de quel type de soutien vous auriez besoin pour faciliter et accélérer la réalisation de vos projets, à l’échelle communale ou intercommunale ?

Avant, les communes avaient le soutien des services de l’Etat, gratuitement. Maintenant, les communes ont le choix des services des communautés de communes (dépense nouvelle que nous portons) ou des cabinets d’études privés (payants aussi). Or, les communes ont des besoins d’ingénierie.

L’Etat doit redevenir pleinement opérateur d’ingénierie au profit des territoires. Ces décisions passées ont généré une désorganisation et une baisse de la capacité d’action des élus, surtout dans les petites communes : tout le monde payera à terme ce désengagement, et l’Etat lui-même par ce frein à la libération des énergies et des initiatives.

Il doit donc, en responsabilité, financer et maintenir une ingénierie d’Etat et une proximité dans son action et ses services.

Les innovations et les expérimentations se multiplient dans tout le territoire. Souvent, ces initiatives ne sont pas suffisamment connues alors qu’elles mériteraient de l’être. Quelle initiative ou bonne pratique liée à la mise en œuvre d’une politique publique et/ou à la gestion de votre collectivité mériterait selon vous d’être valorisée et reproduite ailleurs ?

Commençons par répertorier les interlocuteurs source (Réseau rural, Wiki des maires AMRF, Mairie Conseil, Bleu-Blanc-Zèbre, réseau BRUDED en Bretagne, magazine Village, Colibris, chambres régionales de l’économie sociale et solidaire... etc) pour créer un portail national avec des déclinaisons régionales, qui s’alimenterait en initiatives publiques et/ou privées. Il s’agirait de flécher les sources existantes et de les réunir sur un même portail, sans nécessairement créer un nouvel outil de captage de bonnes pratiques.

Ce point n’a de sens que si un retour de l’ingénierie au niveau où agissent les élus se met en place.

Il en restera par ailleurs à de la communication si les services de l’Etat et les politiques publiques à son échelle ne mettent pas à profit ce réseau et ces informations pour adapter leurs propres missions et contenus.

Pour conclure, la réforme territoriale et les politiques publiques se méprennent en perpétuant l’inégalité territoriale dans leur méthode et leurs bases de calcul.

Pire, alors que la commune est un levier essentiel pour faire société, nous risquons de la vider de sa substance et éloigner le citoyen de la chose publique, bridant sa capacité à participer, coopérer, innover : là sont les vrais moteurs de l’activité économique et sociale, créatrice d’emploi, de fierté et de bien-être.

Yvan Lubraneski

Maire
Président de l’Association des Maires Ruraux de l’Essonne (AMR 91)
Membre du Conseil National d’Evaluation des Normes

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