De la difficulté à être citoyen

De la difficulté à être citoyen

Vendredi 5 janvier 2018, par Pascal Geiger, Tribune libre

Pour la plupart d’entre nous, être citoyen relève de la performativité, pour peu que nous en possédions, naturellement, les qualités juridiques nécessaires et suffisantes.

Etre citoyen : c’est bénéficier d’un statut qui ouvre des droits, impose des obligations et incite à participer à la vie de la cité.

De la difficulté à être citoyen.

Pour la plupart d’entre nous, être citoyen relève de la performativité, pour peu que nous en possédons, naturellement, les qualités juridiques nécessaires et suffisantes.

Etre citoyen  : c’est bénéficier d’un statut qui ouvre des droits, impose des obligations et incite à participer à la vie de la cité.

Etre citoyen : c’est avoir cette part de souveraineté que lui confère la Constitution lui permettant de présider, ainsi, à la destinée de la nation.

Bref, être citoyen : c’est un état permanent dont nul ne peut être dessaisi (1).

Et pourtant, la citoyenneté est en danger et le citoyen, une espèce en voie de disparition.

Trois forces distinctes, quoiqu’interdépendantes, sapent, depuis des décennies, les fondations de son statut, cherchant à faire de lui, un individu, un simple élément dans un groupe, indépendamment, de ses caractéristiques propres.

La première de ces forces prend naissance dans l’organisation même de la démocratie. Elle se traduit par la confiscation du pouvoir par les représentants du peuple. Dès le début de la Révolution française, un certain nombre d’acteurs s’était inquiété de la fragilité du système politique représentatif, mettant en avant les opportunités qu’il offrait en termes de concentration de pouvoir.

Aujourd’hui, c’est un fait acquis, l’illusion de la représentativité, le caractère technocratique et le détournement de l’intérêt général sont les trois attributs qui caractérisent le mieux le système politique en France.

- L’illusion de la représentativité, car ce n’est pas le peuple qui choisit ses représentants, mais bien les partis (ou mouvements) qui désignent leurs candidats à l’élection. Et les primaires n’y ont rien changé. Ainsi, peut-on affirmer que les représentants du peuple ne sont pas élus mais se font élire.

- C’est bien une technostructure, hors de tout contrôle démocratique, qui dirige les affaires de l’Etat. Il suffit, pour s’en convaincre de regarder la sociologie des membres de l’exécutif et des deux assemblées (2). Pour reprendre Bourdieu, l’élection sert de paravent démocratique à une aristocratie républicaine qui, en fait, se coopte et se reproduit. Le lieu de cette reproduction : Strasbourg, le nom de la couveuse principale : l’ENA.

- Enfin, cette confiscation du politique par cette technocratie conduit à n’envisager l’action politique que sous l’aspect gestionnaire. L’expert prend le pas sur le politique, la gouvernance sur le gouvernement, le nombre sur le verbe, le résultat comptable sur le bien-être de l’Homme.

La deuxième force s’inscrit dans les orientations néolibérales prises par la plupart des gouvernements des pays « développés » depuis plusieurs décennies. Ce credo instaurant l’économie comme seul garant du progrès social a conduit certains gouvernements, notamment ceux de l’Union Européenne, à modifier en profondeur les droits sociaux, attributs naturels de tout citoyen.

Sous couvert de lutte contre le chômage et de création d’emplois, ces pays, dont la France, ont drastiquement modifié les conditions d’accès à l’emploi, la durée du travail et les modes de rémunération de celui-ci.

Mais le changement le plus spectaculaire tient dans le transfert de la responsabilité des conditions de travail, portée traditionnellement par de l’employeur, au salarié.

Ce transfert s’organise notamment autour du changement de statut du travailleur : de salarié à autoentrepreneur. De servitude volontaire que traduit le lien de subordination dans le cas d’un contrat de travail, le travail se mue en servilité imposée que glorifie l’autoentrepreneuriat dans le cadre d’un contrat de louage.

Il ne faut pas s’y méprendre. Ce hold-up social organisé, de manière progressive depuis le début des années 80, par les gouvernements européens successifs est un extraordinaire retour au 19ème siècle.

A ce contrat de louage (articles 1710,1780 et 1787 du code civil) dont l’origine remonte à 1804, s’ajoute une autre figure du passé.

Présenté comme un progrès social considérable préfigurant la protection sociale de demain, le compte personnel d’activité (CPA) ressemble étrangement au livret ouvrier de 1803, dont on sait que son usage n’avait d’autre objectif que d’interdire à l’ouvrier d’aller vendre sa force de travail à meilleur prix. Pour le CPA, le principe est le même. Il est de détourner le salarié de droits sociaux acquis collectivement et garantis par les conventions collectives par un droit individuel dont il est certain aujourd’hui que les financements censés l’assurer ne sont pas garantis.

L’éternelle tactique du leurre : montrer que les rigidités du marché (voire du code) du travail comme source principale du manque de compétitivité des entreprises (3).

L’éternelle tactique de la dissimulation  : proposer des solutions (ex : le CPA, la flexibilité, …) dont on sait très bien qu’il n’y aura pas les financements nécessaires pour les assumer.

L’éternelle tactique de la manipulation  : affirmer que le coût du travail est trop élevé pour masquer le coût du capital et de l’optimisation fiscale qui privent l’économie française de quelque 80 Mrds par an.

Ainsi, en limitant toujours plus ses droits sociaux, on restreint la participation du citoyen à la vie de la cité, voire on le détourne de l’envie de s’intégrer dans une société qui n’assure plus ni sa liberté ni son épanouissement.

Enfin, la troisième force, plus sourde, relève de la dépolitisation et de la manipulation du peuple. Elle ne se traduit pas simplement par la stratégie « Panem et circenses », c’est-à-dire par la diffusion de programmes télévisuels pour les ménagères de plus de 50 ans. Elle se traduit par un ensemble de démarches dont la plus dangereuse reste la course effrénée au développement d’outils et de produits digitaux à obsolescence programmée (dont les téléphones portables et autres supports numériques).

Le danger tient moins à la condamnation de l’effet de mode qui poussent les consommateurs à acheter le dernier i-phone qu’à celle de la spoliation de la nature pour fabriquer ces produits. La prédation des GAFA et autres multinationales envers le fragile écosystème qui abrite l’humanité conduit inexorablement vers un désastre écologique à court terme.

Ainsi, par cette stratégie de consommation débridée, le citoyen est détourné de son rôle de vigie, laissant ainsi, à quelques acteurs économiques la possibilité d’organiser la société au gré de leurs ambitions courtermistes.

Ernest Renan disait que l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours. Personnellement, je dirai qu’être citoyen est un combat de tous les jours. Un combat quotidien pour devenir :

- Un électeur investi en veillant à participer à tout instant et à tout niveau au débat public, en exigeant du représentant du peuple de s’expliquer et justifier ses votes, en contrôlant l’usage des fonds publics, …

- Un consommateur éclairé en vérifiant l’origine des produits (services), en s’inquiétant du respect par les fabricants des règles sociales, fiscales et environnementales en vigueur,

- Un travailleur (4) solidaire en veillant à privilégier les démarches collectives bien plus enclines à construire des droits sociaux nouveaux que les démarches individuelles.

(1) On peut perdre les droits afférents à la citoyenneté française et les recouvrer à l’issue de la peine encourue. Quant à la nationalité française, pivot central de la citoyenneté, cela semble plus complexe. Toujours est-il qu’un citoyen français ne peut être déchu de sa nationalité française si cet acte faisait de lui un apatride.

(2) 84% des élus à l’Assemblée Nationale sont cadres et professions intellectuelles supérieurs et chefs d’entreprise alors qu’ils ne représentent que 25% de la population.

(3) En fait, aucune étude sérieuse n’a pu confirmer cette affirmation. Mieux, l’OMC et le FMI ont souligné l’incurie de ces politiques d’austérité.

(4) Travailleur au sens large, c’est-à-dire un producteur de richesse. Celui ou celle qui par son activité contribue au développement de la nation.