Quand le jury de l'ENA découvre l'eau chaude

Quand le jury de l’ENA découvre l’eau chaude

Lundi 5 mars 2018, par André Bellon, Tribune libre

Nous avons découvert sans stupeur le rapport du jury du « prestigieux » concours d’entrée à l’ENA. Celui-ci s’inquiète de l’incapacité des aspirants énarques à produire une réflexion originale, voire à penser par eux-mêmes…

On ne saurait que se féliciter de cette découverte de l’Amérique…si elle n’avait été découverte depuis longtemps. Car il faut être bizarre, ou résolument naïf, pour demander que les énarques soient anticonformistes.

Dans l’imaginaire le plus répandu, les énarques sont les dirigeants potentiels du pays. Or, qu’ont montré les dirigeants réels depuis des années, sinon un conformisme appuyé ? Pourquoi diable ceux qui aspirent à les remplacer se risqueraient-ils à les critiquer ? Et pourquoi le jury sélectionnerait-il ceux qui représentent un risque pour l’ordre établi ?

Dans la réalité institutionnelle, les énarques sont les cadres de haute fonction publique, ce qu’on appelle les grands commis de l’Etat. Qu’on sache enfin regarder en face le problème : que signifie être un grand serviteur de l’Etat alors que le discours dominant en France, en accord avec Bruxelles, critique en permanence l’Etat, alors que la notion même de démocratie républicaine, qui a fait la force de la nation est perpétuellement stigmatisée, traitée de populiste ou autres noms d’oiseaux.

Certes, le problème ne saurait se limiter à la sphère de l’ENA. Il concerne l’ensemble de la formation de très haut niveau qui demande plus des serviteurs zélés que des individus portés à l’analyse. L’esprit critique peut-il être enseigné ? En tout cas, on peut chercher à le valoriser. Sinon, une fois de plus, pourquoi s’inquiéter des conséquences lorsque tout est fait pour s’accommoder des causes ?

Cet article a été publié par ailleurs sur Agoravox ; Voir https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/quand-le-jury-de-l-ena-decouvre-l-202125

2 Messages

  • Quand le jury de l’ENA découvre l’eau chaude

    Le 16 mars 2018 à 12:21 par Catherine Lucquiaud

    Un excellent livre à lire sur le sujet, publié en 2015 et précisément écrit par une énarque : "La Ferme des Enarques", d’Adeline Baldacchino, éditions Michalon.
    Et comme vous l’évoquez très justement, la devise implicite PDVMVPDV n’est malheureusement pas appliquée par les seuls énarques, mais par des cadres supérieurs et intermédiaires de plus en plus nombreux et recrutés avant tout sur leur extrême souplesse d’échine. Je vous confirme pour l’avoir testé à mes dépends au sein de deux grandes institutions publiques que sont l’Education Nationale et l’Inria, que sortir des rangs se paye aujourd’hui très cher. Il ne faut pas chercher beaucoup plus loin la sclérose observée... Bravo pour votre initiative (que je découvre aujourd’hui), plus que nécessaire : vitale.

  • Quand le jury de l’ENA découvre l’eau chaude

    Le 27 mars 2018 à 17:04 par Daniel Adam

    L’eau chaude ou le fil à couper le beurre ?

    L’ENA produit une corporation fondamentalement antidémocratique.

    « Il viendra, sans doute, un temps où les sociétés savantes, instituées par l’autorité, seront superflues, et dès lors dangereuses... » CONDORCET, rapport sur l’organisation générale de l’Instruction publique, 30 janvier 1792.

    Pierre BOURDIEU, dans son livre « La noblesse d’État » (1988), note que les grandes écoles tendent à produire des univers aussi clos et homogènes que possible. Il établit un parallèle avec la transmission héréditaire des titres de noblesse : « l’accès aux positions de pouvoir économique, sociale et politique passe désormais par l’obtention de titres scolaires (…) Les grands concours sont les rites magiques par lesquels nos sociétés instituent leurs héritiers légitimes ». 200 ans après l’abolition de la vénalité des charges et des offices, les privilèges de l’hérédité existent donc toujours.

    Un énarque coûte en moyenne 83 300 euros annuels à l’État, contre 7000 pour un universitaire habituel, soit 11 fois plus ( en raison de la masse salariale). Créée par Michel Debré en 1945 pour former des élites destinées à servir l’État, aujourd’hui l’ENA dispose d’un quasi-monopole du pouvoir que ce soit dans l’administration, le secteur privé ou la politique.

    L’ENA forme toujours des serviteurs, mais uniquement de la pensée unique ! En aucun cas, des décideurs en milieu incertain. Il est temps de supprimer cette école. Qu’en est-il de Polytechnique et de Sciences Po ?

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)