Les communes, acteurs de la République

Les communes, acteurs de la République

Dimanche 17 février 2019, par Christian Berthier

Défendre la citoyenneté et les assemblées élues des collectivités locales (2019)

Cet automne, il semble y avoir un relatif silence médiatique sur les travaux et les votes du Parlement.

Pourtant ce sont des lois essentielles qui viennent en discussion. En particulier, celles concernant les métropoles et la régionalisation apportent leur lot de menaces sur le pouvoir d’agir des citoyens et de leurs élus locaux et sociaux dans une République une et indivisible.

La république n’est pas qu’un mot acceptant tous les adjectifs mais un processus historique dont la France n’a pas le monopole. Avant de devenir bouleversement, de tels processus accumulent des faits annonciateurs.

De Louis XVI à François III

Plus petitement, en notre « France, mère des armes et des lois », c’est bien en réunissant les Etats Généraux en 1789 que le roi, ne pouvant satisfaire ses créanciers, a demandé aux Etats Généraux de payer et de faire payer le peuple en leur refusant le contrôle des finances royales. C’en était trop, qui pouvait le prévoir ? Que resterait-il à soutirer au peuple après deux rudes hivers ?

Aujourd’hui, à droite comme à gauche, force est de convenir que le précédent président a mené sa politique « à fond les manettes »…au point d’en perdre même sa majorité sénatoriale…et de devoir « lever le pied » dans l’application de certaines lois pourtant votées, notamment sur l’acte 2 de la décentralisation.

Or voici que le nouveau président semble s’être mis en devoir de reprendre – sans en avoir reçu le mandat explicite du peuple – les réformes impopulaires entreprises par son prédécesseur.

Réformes même dénoncées par la grande majorité des élus locaux et leurs associations.

Sans anticiper sur les débats de l’Association des Maires de France, le déroulement du récent congrès des Conseillers Généraux a montré l’ambiguïté de la relation entre le gouvernement et les différentes majorités des 102 départements.

Au passif de la communication entre le gouvernement et les élus locaux figurent aussi les comités et colloques sur la « moralisation » de la vie politique et le brocardage permanent des hiérarques europhiles Jacques Attali et Pascal Lamy contre un « mille-feuille » territorial français.

Les élus locaux sont particulièrement « dans la seringue ». De leurs refus en résulte au moins 6 projets gouvernementaux « retoqués » par l’Assemblée Nationale et/ou le Sénat.

Sans compter l’application de « l’acte 2 de la décentralisation » du 16 décembre 2010 mise en œuvre avec diligence sous François Hollande depuis l’automne 2012 après qu’elle eut été suspendue de facto par le Président Sarkozy au vu des premières réactions des élus locaux hostiles aux décisions des préfets. Il en est notamment ainsi des fusions forcées des « communes associées » au titre de la loi Marcellin de 1971, mais aussi des intercommunalités dans plusieurs départements.
Nous pourrions peut être assister, hélas, à la fin d’une longue histoire : celle de la « constitution du peuple français « en corps » républicain par les communes et les départements, constitution confirmée par les dernières assemblées constituantes démocratiquement réunies en 1945 et 1946.

Dispositions pourtant maintenues, avec la « déclaration de principes, dans la « constitution » octroyée en 1958 en échange de l’acceptation par les partis de la mise en place d’un abaissement du Parlement et d’un régime présidentiel.

Même les lois Defferre de 1982 à 1986 sur la régionalisation, généralement bien accueillies par les élus et leurs associations, s’inscrivent dans cette tendance. En effet, elles établissent le préfet comme exécutif du conseil général du département disposant de moyens techniques et financiers importants. Mais c’est pour transférer une part des fonctions non régaliennes de l’Etat aux régions et à leurs conseils élus, premier démembrement de l’unité et de l’indivisibilité de la république…

En 1992, 1995 et 1999 des majorités successives de droite et de gauche s’accordent sur plus de « déconcentration » des activités de l’État, créent les communautés de communes, la coordination formelle des politiques locales jusqu’au plan national et rapprochent la forme des comptes publics de celle des entreprises privées concurrentielles. Des associations à la carte, « pays » ou « territoire » introduisent des logiques durables de « missions » par dessus le découpage administratif existant.

Au travers de ces évolutions en apparences « naturelles » et « logiques » et sous la pression constante de la Présidence et de l’Union Européenne, prend ancrage le nouveau principe de « subsidiarité » en concurrence avec le principe de la libre association des collectivités locales par projet. Ainsi, ne sont privilégiées que les « associations » administrées « par en haut ».

De façon plus subreptice, la « compétence générale » des conseils élus des communes et départements est morcelée par le biais de la répartition des ressources et des compétences « obligatoires » ou « facultatives » entre les niveaux de coopération intercommunale.

En 2003, la Loi constitutionnelle confirme l’organisation décentralisée de la République, la démocratie locale directe et l’autonomie financière des collectivités « territoriales » qui cessent d’être « locales ». Une fragmentation accrue de la République est ainsi pérennisée.

En 2004, les responsabilités sont reparties entre des « territoires » et entre ceux-ci et l’État.

140 000 fonctionnaires d’Etat sont répartis entre les départements dont leur cout devrait être intégralement compensé par l’État au profit des collectivités récipiendaires. Or, près de 16 ans après, force est de constater que cette compensation pourtant inscrite dans la Constitution n’est que très partiellement honorée par l’État quel que soit le nom du Président de la République.

Et c’est François Hollande au congres des départements de Lille qui s’est explicitement refusé à tout rattrapage au profit des départements, forçant ceux-ci à rogner encore leurs budgets, leurs recrutements et/ou à accepter de « consolider » ces dettes avec le financement de nouveaux transferts de comp étences ou de missions. Selon les départements, ces dettes se chiffraient en des dizaines, voire en centaines de millions d’euros pour les plus peuplés pour un total national variant entre 20 et 40 milliard d’euros, selon les estimations officieuses et très peu médiatisées par les intéressés eux-mêmes.

L’échec politique et économique de la concentration communale forcée
Elus et électeurs auraient tort de traiter à la légère ou de façon administrative l’avenir des communes. Il ne s’agit pas d’une spécificité française : leur nombre correspond à la richesse relative et a l’importance de la population française par rapport à celles des autres états européens. Leur étendue, celle des anciennes« paroisses », correspond à l’existence des activités nécessaires à la survie autonome des familles habitantes et activités économiques locales. Pour leur vie interne, ex-paroisses/communes se sont dégagées dès le Xème siècle des pouvoirs politiques et religieux.

S’il disparaissait des petites communes, d’autres se renforçaient. Cette tendance est beaucoup plus lente que le processus de concentration des activités commerciales et économiques. Ce processus ne peut donc pas seul servir de guide à l’implantation démographique et sociale. Les concentrations d’habitat aux USA en sont un contre-exemple ou villes-métropoles sont entourées de déserts ruraux.

« Fléchage des mandats » des élus « territoriaux »

A l’origine, élections et mandats étaient indépendants : un maire était formellement indépendant d’un conseiller général. Seul le cumul de mandats « géographiquement superposées » sur un même élu pouvait entraîner une « cohérence excessive » entre mandats ..au dépends des électeurs.

Maintenant, un « fléchage » confie aux premiers élus sur les listes de candidats d’une collectivité locale la participation à l’assemblée politique de la collectivité de niveau supérieur.

L’équilibre final de cette disposition a mal subi l’épreuve de l’expérience. En présence de partis forts, ce sont eux qui classent les candidats de leurs tendances respectives. Le fléchage est perçu comme une importante limitation de la responsabilité des élus vis a vis de leurs électeurs, surtout en l’absence de ressource propre à chaque collectivité...du statut privilégié des bureaux...et de l’intervention des préfets et des entreprises privées à succursales multiples.

On constate maintenant l’accentuation des oppositions au sein d’une même intercommunalité et/ou d’une région…et un pouvoir accru des élus de niveau supérieur…malgré un éloignement plus grand et une perte de lisibilité des élus par rapport à leur électorat. Ajouté à la parité des listes, il s’agit d’un enchevêtrement de dispositions complexes, difficilement combinables et qui prévoient une marge de manœuvre très étroite pour élaborer la liste des candidats aux élections communautaires au regard de la liste des candidats aux élections municipales.

Le risque de sacrifier le social aux « grands » travaux effectivement financés.
En effet, les premiers élus « fléchés » des listes aux élections territoriales, présents au conseil régional ou se décident les investissements et budgets à long et moyen termes jouent un rôle majeur dans les conseils départementaux habilités à décider des budgets sociaux à plus court terme. Il y a, de plus, fort à parier que dans leurs partis respectifs, les élus « régionaux » ont le dernier mot sur leurs camarades « départementaux ». Et ainsi de suite jusqu’au niveau communal…ce que l’on constate déjà par le jeu de la spécialisation de chaque « niveau d’élus » dans un des domaines auparavant partie de leur « compétence générale » : le social aux départements, les investissements et l’enseignement supérieur aux régions, et le solde ou le tout aux « métropoles » ou elles existent.

La tendance à l’éclatement du cadre national

Les tentatives de fusion des collectivités locales par referendum (Alsace, Corse, DOM, Marseille, Montpellier, Nice...) auprès des électeurs concernés sont des échecs, soit par la faible participation des électeurs soit par le refus pur et simple par les électeurs des fusions proposées. Aussi est apparue la proposition Gaymard de supprimer l’obligation de consulter les électeurs en cas de fusion de la collectivité à laquelle ils appartiendront.

Qui ne constate qu’il s’agit de la porte ouverte à toutes les manipulations de la part des pouvoirs politiques nationaux et/ou des pouvoirs économiques les plus concentrés. On en connaît les résultats : concentration des richesses, abandon des populations et collectivités les moins nombreuses et/ou les plus éloignées, difficulté croissante d’accès aux services publics et concentration urbaine excessive en un petit nombre de « métropoles » et à chaque fois l’apparition de coûteux et grandioses projets de restructuration urbaine à l’efficacité contestée et contestable, surtout de la part de centaines de milliers de citoyens et du tissu économique de proximité..

Plus profondément, cet affaiblissement des liens entre population et territoires géographiques et économiques a ouvert la voie à un recul important de civilisation. C’est la population (l’Espèce, le Peuple) qui définit l’usage du territoire, donc son « intérêt social ». Faute d’être utilisée, la terre perd sa valeur sociale et sa reconquête nécessiterait des moyens accrus. C’est la raison pour laquelle c’est actuellement l’État qui a la responsabilité de la protection et la mise en valeur des territoires dépeuplés (montagnes, forêts, communes abandonnées, etc.)… responsabilité qu’il assure de plus en plus mal auquel les intérêts économiques s’avèrent incapables de se substituer.

Et après ?

Les institutions de la Vème République protègent le Président contre les initiatives parlementaires. Elles donnent au Président tout pouvoir pour gouverner. Elles organisent son remplacement temporaire.

Mais elles ne protègent pas le Pouvoir et l’État contre les pouvoirs « de faits » de « de droit » que dans les limites incertaines du pouvoir judiciaire, du Conseil d’Etat et du Conseil Constitutionnel.

Plus complexes et soumis aux interventions des institutions européennes, les institutions et le travail des assemblées nationales et locales ont perdu en transparence et en crédibilité vis a vis des électeurs.

La France et les 68 millions de Français sont confrontés à des problèmes sociaux et financiers accrus au moment ou le système de protection sociale et de services publics sont exposés au pillage par les banques privées. Ils ne perdront pas sans réagir les collectivités locales et leurs centaines de milliers d’élus contre lesquels l’Union Européenne est entrée en guerre. Ces derniers ont la légitimité pour faire revivre les assemblées communales et leur clause de compétence générale.

De même, les conseillers généraux/départementaux n’ont pas vocation à être les victimes expiatoires offertes au mécontentement d’un électorat victime de la crise économique et financière et de l’assèchement programmé des budgets sociaux majoritairement abondés par l’impôt et les cotisations sociales.

Commencer à re-constituer le peuple français « en corps » est à portée du peuple, au delà même des allégeances passées et de la passivité des minorités élues jusqu’ici. La survie est à ce prix. Elle le vaut bien !