Savoir entretenir le flou juridique

Savoir entretenir le flou juridique

Dimanche 11 octobre 2020, par Vincent Sizaire

À propos de la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-846/847/848 QPC du 26 juin 2020

Alors que le premier examen par le Conseil constitutionnel des dispositions de l’état d’urgence sanitaire l’avait conduit à renforcer sensiblement l’encadrement du pouvoir répressif, la décision par laquelle il a examiné la constitutionnalité du délit de violation répétée des mesures d’urgence sanitaires marque au contraire un singulier relâchement de son contrôle, tant en ce qui concerne la légalité que la proportionnalité de cette nouvelle incrimination.

Bien que cette question demeure plus que jamais à l’arrière-plan du débat public, la crise politique ouverte par la pandémie du nouveau coronavirus constituera, à n’en point douter, une période particulièrement riche d’enseignements s’agissant de notre système de protection des libertés et, plus largement, de la capacité de notre État de droit à fonctionner par gros temps. Répliquant et, d’une certaine manière, prolongeant la séquence initiée avec la proclamation de l’état d’urgence pour lutter contre la criminalité dite terroriste , cette période voit se déployer, face à la créativité du législateur quand il s’agit de multiplier sans modération les dispositifs coercitifs au nom d’un péril bien réel , un véritable activisme contentieux destiné à réduire autant que possible l’arbitraire du pouvoir répressif.

Un dialogue pour le moins conflictuel, au terme duquel le pouvoir juridictionnel – principalement le juge administratif et le juge constitutionnel – est amené à renforcer, ou non, l’encadrement de la coercition étatique. C’est dans ce cadre qu’il convient d’analyser la décision par laquelle le Conseil constitutionnel était appelé à se prononcer sur le délit sanctionnant la méconnaissance répétée des mesures de restriction de liberté édictées sous couvert de l’état d’urgence sanitaire introduit par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020. Caractérisée à l’encontre de toute personne ayant contrevenu à ces mesures à plus de trois reprises dans une période d’un mois , cette incrimination a donné lieu à des applications policières et judiciaires arbitraires et discriminatoires s’agissant, en particulier, de l’interdiction qui était faite à chacun-e d’entre nous de quitter son domicile . Dès les premières semaines de sa mise en œuvre, de nombreuses associations de défense des libertés ont ainsi pointé le « fait que la liste des motifs dérogatoires justifiant des déplacements, ouvre la voie à des interprétations hétérogènes de la part des fonctionnaires de police », dont certains se sont estimés autorisés à ajouter des conditions aux motifs prévus par le décret de proclamation de l’état d’urgence ou, encore, à verbaliser une personne à plusieurs reprises pour une même sortie jugée irrégulière . Un arbitraire d’autant plus problématique que des personnes ont pu se voir condamner du chef de violation réitérée avant même d’avoir pu utilement contester le bien-fondé des contraventions sanctionnant lesdites violations .

C’est ainsi que, par trois arrêts du 13 mai 2020, la Cour de cassation a estimé que la question de la conformité de ce délit aux droits et libertés garantis par la Constitution présentait « un caractère sérieux en ce que la disposition contestée est susceptible de porter atteinte au principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et au principe de la présomption d’innocence garantie par son article 9 » . Et c’est pourquoi, en validant l’ensemble du texte sans même une réserve expresse d’interprétation, la décision du Conseil constitutionnel du 26 juin dernier est des plus décevantes. Alors que son premier examen des dispositions de l’état d’urgence sanitaire l’avait conduit à renforcer sensiblement l’encadrement du pouvoir répressif , cette décision marque au contraire un singulier relâchement de son contrôle, tant en ce qui concerne la légalité (I) que la proportionnalité (II) de cette nouvelle incrimination.

Lire la suite de la Lettre sur le site de la Revue des droits de l’Homme
(Lien : https://journals.openedition.org/revdh/10436)

Recommander cette page