Démocratie ???

Démocratie ???

Vendredi 22 janvier 2021, par Alain Merlen

Démocratie, voilà un terme qu’il vaut mieux définir clairement au risque de se perdre dans les méandres de ses versions médiatiques douteuses.

Etymologiquement, c’est le « gouvernement populaire » par opposition à la « tyrannie , » le pouvoir des citoyens par opposition à celui d’un seul.

La meilleure définition moderne est due à Lincoln dans son bref discours à Gettysburg de 1863, c’est : « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

Définition reprise ensuite par d’autres et incluse à l’article 2 des constitutions des 4ième et 5ième républiques françaises, elle reste néanmoins soumise à l’interprétation du terme « peuple » et à la forme du « gouvernement ».

Lincoln, qui était loin d’être abolitionniste, ne pensait sans doute pas, en1863, aux noirs comme membres du peuple. Son problème, en l’occurrence, était plus de pouvoir les enrôler dans les troupes de l’Union sans perdre pour autant sa faible majorité électorale plutôt favorable au maintien de l’esclavage. Comme les athéniens, qui en excluaient les métèques et esclaves, les américains blancs ne donnaient pas le « droit de cité » à tous.

Cette notion de démocratie n’a donc rien en soi d’universel, elle dépend en particulier de la définition du « peuple. » Pour les indépendantistes américains ou les révolutionnaires français, le citoyen est un membre de la communauté nationale exerçant la souveraineté sur la nation au même titre que les autres membres de cette communauté. Il reste que les premiers en excluaient les esclaves, les seconds les domestiques, et les deux les femmes.

Aujourd’hui, on affirme de façon générale que la citoyenneté est donnée à tout être humain majeur, sans distinction de sexe, de croyance religieuse, de conviction politique et appartenant à la communauté nationale. Dont acte ! Le peuple est donc l’ensemble des citoyens et donc quasiment toute la population adulte de la nation, elle-même fixée par l’étendue géographique sur laquelle elle est reconnue par les autres nations. Les peuples devraient donc être satisfaits et les décisions prises par leur État leur convenir puisqu’il s’agirait de leurs propres décisions.

Mais alors d’où vient cette interrogation, de plus en plus présente, du déclin, de la faiblesse, de la crise, voire de l’effondrement de la Démocratie ou plutôt … « des démocraties » ?

C’est vrai, des pans entiers de populations protestent, parfois même majoritairement, contre des décisions prises par leur État « démocratique . » Ils veulent être entendus, écoutés, représentés !!

On assiste alors, en particulier dans les grands médias français, à ce paradoxe où les défenseurs du « débat démocratique » s’offusquent des violences de populations qui se disent exclues de la discussion et exigent d’y être réintégrées… Cette presse brandit alors la « démocratie » à l’encontre du désir d’expression institutionnelle de ces citoyens qui n’ont d’autre recours que de forcer la porte.

Démocratie oui, mais pas avec le peuple, ou du moins pas avec tout le peuple, seulement avec celui qui reste sagement passif et accepte les décisions de « la majorité » !

Alors la démocratie ne serait-elle simplement que la dictature d’une majorité sur une minorité ? Mais comment vérifier que l’institution à l’instant précis des troubles est bien l’expression de la majorité ? Comment s’assurer que la décision retenue a pris en compte les besoins de toutes les composantes de la nation dont la population n’est pas homogène et dont les intérêts sont parfois divergents ?

Ecouter le peuple deviendrait donc une exigence « anti-démocratique » que l’on peut baptiser de « populisme. » Sauver la démocratie, nous dit-on, c’est la rendre aussi « forte » que les régimes autoritaires, c’est à dire capable de réduire les résistances populaires. Il est vrai qu’on nous promet de le faire grâce à de la « pédagogie » plus que par la matraque, mais dans l’urgence c’est toujours l’inverse.

Les plus « démocrates » de nos « pédagogues » souhaitent, quant à eux « rendre la confiance » à la population !! Et oui, faites confiance aux institutions, on s’occupe de tout, c’est pour votre bien ! Il n’y a pas d’autre choix qu’entre nous, « les démocraties » et une dictature « populiste » ! Ce vibrant appel au conservatisme pourrait paraître paradoxal dans des régimes héritiers de révolutions ou guerres d’indépendance, mais il n’est que le simple aveu que la question des métèques est loin d’être résolue. Force est de constater qu’il n’y pas beaucoup d’empathie pour le « peuple » dans ces interprétations de la démocratie, le « peuple » insurgé ne peut être que manipulé par des leaders « populistes ».

On constate d’ailleurs qu’à la notion de Démocratie, s’est substituée celle de : « les démocraties. » Il ne s’agit plus d’une référence aux principes universels mais d’une liste comprenant les USA (« la plus grande démocratie du monde » sans qu’on sache si elle est grande par ses dimensions ou son prestige), l’UE et associés, le Japon, et quelques pays du Commonwealth. Bref l’occident néo-libéral, le Japon n’y étant que comme sentinelle asiatique des USA.

Dans tous ces pays, la représentation, c’est à dire ceux qui ont voix au chapitre, est issue d’infimes minorités privilégiées, initialement la bourgeoisie nationale puis, particulièrement pour l’UE, les technocrates internationaux : « les élites . » La cohérence sociale qui était assurée, au temps de la bourgeoise, par un confort généralisé et un niveau de vie correct pour une grande majorité, s’est délitée avec la mise en pratique du néo-libéralisme (testée lors de l’expérience de la dictature Chilienne de 1973). Il a fallu se battre pour rester dans les « élites » en se faisant serviteur (politique, économique ou médiatique) de la « mondialisation » ou pour rester a minima un salarié satisfait.

Devant les mouvements sociaux ou sociétaux, les moins caricaturaux de nos médias parlent de « crise de la représentativité » et proposent de nous supprimer le droit de vote pour le remplacer par un tirage au sort qui, parce qu’aléatoire, serait proportionnel au poids des couches sociales. Ils omettent d’expliquer en quoi cela améliorerait la discussion et la recherche de décisions raisonnables et comprises par tous. L’avantage serait sans doute d’éviter que le « peuple » choisisse lui-même ses représentants et se trompe en élisant ceux qui ne lui seraient pas désignés « pédagogiquement ».

D’autres plus empathiques pour les « défavorisés » cherchent à comprendre à travers l’avis d’experts, de sondages, de statistiques ce que veulent « les gens sur le terrain . » Ils assument ainsi leur position de spectateurs non touchés par les problèmes mais qui se veulent « force de proposition . » Tous cependant considèrent que la résolution de la crise est leur problème, une question technique de gestion, et surtout que la violence est à proscrire car elle oblige les « forces de l’ordre » à en faire usage aussi. Hélas, en face, les émeutiers, les contestataires de tout poil continuent de gronder, et on les entend de plus en plus dire : « sans violence on ne nous écoute pas !! »

Comment ne pas reconnaître alors que le problème est avant tout politique, que c’est bien une exigence de démocratie et non pas seulement une réclamation d’usagers corporatistes ou de parias sociaux. Il y a sans doute beaucoup de cynisme chez ceux qui partent du principe que nos institutions sont « La Démocratie », et beaucoup de naïveté peut-être en pensant que sans les changer profondément on parviendra à une solution.

Pourtant, plus la solution se fera attendre, plus grand est le risque qu’elle soit violente et inadaptée ou confisquée par une faction. Il est donc urgent de cesser de considérer le régime néo-libéral comme « la démocratie », au mieux faut-il accepter l’idée qu’il faut « plus de démocratie » pour éviter que le régime ne stagne dans la sclérose et ne soit balayé par une tyrannie.

Mais dire « plus de démocratie », c’est reconnaître que, malgré ses principes universels, la démocratie concrète ne tient pas ses promesses. On ne peut sauver le concept qu’en en faisant un idéal, un horizon à atteindre (une utopie) et en prenant conscience que sa maladie intrinsèque est de se concrétiser dans des États qui créent des citoyens en trop petit nombre et des métèques (sinon des esclaves) en trop grand nombre.

A Athènes, ce sont les métèques et les esclaves qui rétablirent la démocratie, (sans pour autant y inclure les esclaves !!). Au XXIème siècle il faudrait ne pas trop tarder à refonder l’État pour avancer sur le chemin démocratique, car les métèques commencent à être majoritaires et les 18 % du corps électoral qui font, en France, une « majorité » feraient bien d’y réfléchir.

En France encore, la crise sanitaire a été le révélateur de l’état réel du pays : un groupuscule institutionnel d’agités arrogants, habitués à masquer leurs véritables objectifs sous de fausses raisons, qui « communiquent » des banalités et se piquent de « pédagogie » mais sont incapables de mettre en œuvre l’intendance par le simple fait que, tout à leurs affaires, ils ont détruit une bonne partie des forces vives du pays en les sacrifiant au profit immédiat de commanditaires occultes, ceux de la globalisation dérégulée du capital. Une démocratie effective n’aurait pas permis cela.

Répétons-le, la démocratie n’est donc pas un stade historique concret, ni une institution particulière, c’est une forme de société utopique qu’il faut s’efforcer d’atteindre à travers l’organisation de l’État. Celui-ci doit assurer au mieux la discussion raisonnable de tous, pour converger vers des décisions acceptables même par ceux qui ne sont pas totalement convaincus.

La démocratie n’a donc que des avatars historiques imparfaits dont les institutions doivent être perfectibles et non sacrées ; c’est même à cette capacité d’évolution qu’on peut la reconnaître parmi toutes les formes d’États de droit.

La démocratie n’est en tout cas pas la dictature d’un seul qui prétendrait incarner dans la durée la « volonté majoritaire » sous prétexte qu’un jour dans un processus discutable, il a obtenu une majorité très relative de votes. Ce n’est pas non plus l’apanage d’une « élite, » rétablissant l’aristocratie par « droit du diplôme, » droit que cette « élite » appelle, en France, la méritocratie et qu’elle confond souvent avec la labellisation d’une supériorité génétique à laquelle elle croit sans oser le dire et qui la légitimerait.

Alors, changeons enfin de vocabulaire : ceux des États que les médias appellent « démocraties » appelons les « États néo-libéraux » et alors nous pourrons mieux comprendre leur parenté, leur dérive policière et l’émergence des colères populaires fussent-elle à contre-courant de la quête de la Démocratie.

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