Gauche : La construction du vide

Gauche : La construction du vide

Vendredi 18 juin 2021, par Lamboley Michel

Le politique vient des représentations idéologiques d’une réalité à qui il donne du sens au travers du projet qu’il porte.

« La gauche » en France s’est fondée sur une double lutte sociale et laïque concrétisées principalement lors de la 3ième république. C’est dans ce creuset républicain que cette double émancipation s’est construite. Sociale parce que l’inégalité économique provoquait la misère et laïque, parce qu’avec la tradition les ordres religieux contrôlaient la main d’œuvre avec leurs organisations, c’est à dire la grande partie de la population. Une double libération traduit cette double lutte, la naissance de la démocratie sociale et la loi de 1905, elle se traduit aussi par une double contradiction, les uns mettant l’émancipation économique (« le social ») comme matrice unique d’émancipation, les autres mettent la libération politique que constitue la liberté de conscience et le droit de vote « universel », (qui n’était accordé qu’aux hommes). La gauche existe parce que sa représentation de son projet, la justice sociale, donnait du sens à la réalité vécue. Plusieurs partis politiques, c’est-à-dire plusieurs méthodes, visaient un but similaire. Ainsi les « réformistes » et « les révolutionnaires » avaient pour but l’émancipation les uns avec la règle, les autres avec l’insurrection. En 1981, une coalition politique, portant la question sociale, prend le pouvoir marquant aussi la possibilité, à l’intérieur de la 5ième république, de le faire. Comment a-t-on réussi aujourd’hui à pulvériser les principes qui faisait corps politique à gauche ? Trois éléments constituent la construction du vide à gauche. Le marché unique européen, la résurgence du religieux, la mutation culturelle identitaire.

La fin des trente glorieuses, c’est-à-dire une croissance économique importante, se solde avec la fin du système de Bretton Woods, le retour de l’instabilité monétaire, et la mise en place d’un État soumis au marché, avec la fin du refinancement de l’État par le circuit du trésor. En 1981 l’arrivée d’une coalition de gauche au pouvoir vise d’abord à combattre le chômage avec la reprise économique, ce qui échoue en grande partie du fait que les pays européens menaient des politiques austéritaires (Allemagne et Angleterre). Une politique de rigueur, « temporaire », dans un premier temps s’y substitue, avec la construction du marché européen, initié par Delors, elle devient permanente. Cette construction a un effet idéologique et économique.

Idéologique en donnant un projet de substitution aux rêveries des militants socialistes (et de gauche) que nous pouvons résumer par « nous ne ferons pas le socialisme dans un pays mais dans l’ensemble des pays européens », chez les communistes ce n’est pas l’Europe le problème, mais le fait qu’elle soit libérale. Ce projet de substitution est aussi une nouvelle utopie auxquelles les générations d’alors, dont certaines avaient connus la deuxième guerre mondiale, adhère par conviction (gauche) ou intérêt (libéraux). Elle est aussi un outil très utile pour disjoncter les responsabilités politiques. Avec le rejet de la responsabilité des mesures difficiles à l’étage supérieur, l’Europe, l’homme politique sauvegarde son intégrité dans sa circonscription ou sa mairie, tout en appliquant les mesures impopulaires du programme néolibéral : privatisation des services publics, restrictions budgétaires, mise en concurrence, et son corollaire le chômage. L’effondrement de l’union soviétique achève le parti communiste qui se retrouve désavoué par l’histoire qu’il prétendait connaître. La majorité du peuple français approuve cette utopie de substitution jusqu’au référendum de 2005. C’est là que se trouve une des plus grandes ruptures démocratique et sociale de notre temps dans notre pays. En faisant appel au peuple le président d’alors imite son prédécesseur pour le traité de Maastricht. La conclusion est tout autre le projet est rejeté. La suite est un signe historique.

Après l’élection de Sarkozy, il est approuvé par les élus en complète contradiction avec la voix populaire. Ce basculement anti-démocratique est autoritaire par excellence, puisque, plutôt que d’actionner le levier institutionnel populaire, le référendum, la décision est prise par les chambres. A la décision du peuple se substitue alors une décision de classe en l’occurrence les libéraux qui adhèrent au projet européen. Les socialistes ou, du moins, « la gôche caviar » incrustée dans le parti socialiste, ont donc construit avec le projet européen une utopie bien utile politiquement en interne, mais qui se révèle être un redoutable outil qui brise les utopies dans les faits. L’action de l’Europe en particulier du couple « Hollande-Merckel », contre la Grèce le prouve une fois de plus. La fin des générations qui ont vu les trente glorieuses, et le début de la construction de « l’utopie européenne », change la donne. Les générations actuelles n’ont connu que les quarante piteuses, la souffrance sociale et le déni démocratique, Elles se méfient de la « gôche » qui n’est plus que caviar. Les militants de terrain à gauche n’y sont plus, écœurés du fonctionnement des partis qui ne sont que des écuries à élection, détruisant les alternatives aux idées dominantes, grâce au relativisme qui, en pratique, se traduit par le clientélisme. Ils ne restent que les représentants des classes moyennes et supérieures, qui parfois se cherchent une cause, ou ils pensent représenter le peuple. L’Europe n’est plus une utopie mais un boulet. Le lien toujours plus évident entre néolibéralisme et marché européen n’est plus nié par personne. La disjonction entre les gagnants de la mondialisation néo-libérale, les partis d’élus de gauche (et de droite aussi), et le peuple s’affiche avec les débats du Frexit. Le peuple, déboussolé et méfiant, se cherche un moyen de sortir de cette situation construit par l’action des gagnants de la mondialisation qui détruisent, grâce à l’union européenne, la république sociale, mais aussi laïque, comme le montrait l’article 51 du projet de constitution.

En effet, à cette utopie de substitution s’est ajouté la résurgence du religieux en politique, tout d’abord Catholique, avec le pape Jean Paul 2, dont l’anti-communisme, avec son rôle dans le soutien à Solidarité en Pologne, contribuant à l’effondrement du bloc soviétique, n’est pas à démontrer. Elle se montre internationalement avec les JMJ (Journée Mondiale de la Jeunesse) ou au travers du traité constitutionnel, en France, la contestation des lois Savary en 1984, verra la fin du gouvernement Mauroy et le départ des communistes, cette résurgence du religieux s’affirme aussi, avec les intégristes de CIVITAS, maillon actif de la manifestation pour tous. Elle se retrouve avec d’autres religions dans l’attribution aux Rabbins des licences pour certifier l’abattage Casher, cette autorisation sera étendue aux musulmans pour le Halal ce qui crée, de fait, un financement de ces cultes. L’avènement de la « république » islamique crée un marché avec une marque, le Halal, qui n’est pas un signe de tradition mais un signe « d’identité », l’identité musulmane. Tout d’abord spécialisé dans la viande sous l’impulsion de l’Iran, cette marque s’étend comme le montre la finance islamique ou le tourisme Halal. Elle construit un « entre soit » musulman, une communauté spécifique dont les marchés sont clos avec la marque Halal. L’Islam politique change aussi la donne dans le conflit israélo-palestinien qui bascule d’un conflit nationaliste « palestinien contre israélien » à un conflit religieux « musulman contre juifs ». Cette bascule change tout puisque ce conflit s’importe aussi en France interrogeant en retour la laïcité au travers de son prisme. Le « politico-religieux » structure aussi des conflits entre chiites et sunnites dans le cadre de leur influence régionale au moyen orient. Il influence notre politique étrangère comme le montre la livraison d’armes par la France à l’Arabie saoudite dans le conflit yéménite et l’accueil de la Ligue Islamique Mondiale à Paris. Enfin des accords sont passés avec des pays afin de « prêter des imans » (Maroc Turquie..) pour éviter « l’infiltration terroriste » ce qui ouvre à l’influence de ces pays en France. Considérer l’action de l’Islam comme une conséquence exclusive du phénomène migratoire est hors de propos.  

Cette religiosité reprend en main la discipline des mœurs et remet en question le principe de laïcité dans l’éducation nationale française. L’affaire du voile de Creil vise à contester l’enseignement laïque, (les deux : l’enseignement pour les filles et la laïcité), mais du point de vue politique elle profite aussi à d’autres. En effet, son intérêt est double, d’une part, pour lutter contre la laïcité, il permet aux intégristes catholiques de laisser faire d’autres intégristes, d’autre part, il structure le danger islamiste et le lie avec l’immigration. Coup double pour l’extrême droite dont les idées se diffusent depuis l’arrivée du front national dans l’arène politique avec l’élection européenne de 1984 dont il conteste la construction. Ce retour du religieux, avec l’islam, se diffuse progressivement. Dans un premier temps, elle se diffuse chez les étudiants et militants, et par la suite dans les quartiers populaires. Elle vise d’abord à réislamiser les enfants d’immigrés, c’est-à-dire les français qui se retrouvent stigmatisés par le racisme.

En effet, la création de SOS racisme et sa récupération par le parti socialiste disjoncte la question raciale de la question sociale. Alors que « la marche des beurs » était authentiquement sociale, les marcheurs revendiquent leur appartenance à la société française et exigent, face aux crimes racistes et à la violence de la police, la reconnaissance de leurs droits de citoyens, l’action de SOS racisme sera authentiquement morale puisque son objet n’est pas de modifier les conditions sociales d’existence des populations, victime de racisme, mais de lutter contre les abus liés à l’exercice du racisme comme le montre ses 26 propositions d’aujourd’hui ou il fait appel à l’Etat pour appliquer les mêmes droits individuels. La ségrégation urbaine n’est pas abordée, seul lui importe l’accès au logement du parc privé. La paupérisation ciblée de certains quartiers et des populations qui y habitent, n’entre pas en ligne de compte. Cette disjonction du racial et du social s’inclue dans la disjonction du culturel et du social. Le parti socialiste est devenu le porte-parole du rassemblement des minorités stigmatisées (LGBT, homosexuel etc ;..) qui sont devenus leur marque de fabrique. D’un côté, il y a libéralisation de l’économie portée par le projet européen, de l’autre il y a disjonction culturelle et sociale pour créer des différences entre les partis sur les mœurs, ce qui permet de cacher dans le projet européen, l’accord profond sur les politiques économiques menées. La question raciale s’ancre dans ce processus d’autant qu’elle permet d’instaurer un clivage sur des sujets aussi sensibles que l’immigration entre droite et gauche ce qui ouvrira la porte là encore à l’extrême droite avec l’égalité immigration= insécurité. Cette question raciale arrive alors aujourd’hui en boomerang avec « l’identité ». Elle ouvre alors au néo-racisme (racialisme) qu’un certain nombre de français dont les soutiens aux USA sont nombreux portent. L’accès aux médias leur est garanti tout comme les ressources personnelles. Des politiques publiques culturelles les favorise. En construisant une représentation raciale, ils font basculer une représentation issue des dominants, en une revendication issue des dominés, tout en les divisant (réunion non mixte, politique du soupçon portée par la couleur de peau…) dans la pratique. La résultante est l’impossibilité, pour ces derniers, de créer une unité ce qui permet de ne plus poser la question sociale. Une division très forte s’ensuit avec les révoltes sociales (ou les races importent peu comme le montre les Gilets Jaunes) du peuple qui ne trouvent pas de relais politiques à « gauche » d’autant que certains les rejettent au nom du « tous pourris » ce qui se justifie par ailleurs si l’on reprend l’exemple de 2005. Elles échouent nourrissant la rancœur anti-républicaine. Elles tombent alors dans l’oubli rendant abstraits, tout en l’appauvrissant, la lutte sociale, qui devient une lutte contre « l’oligarchie » qui n’est jamais définie et que l’on accole parfois aux juifs puisque c’est connu « les juifs sont riches », la contestation sociale devient raciste… La matrice du complotisme, montré lors de la crise du COVID, s’affiche alors avec la négation de la voix populaire.  

Cette division raciale accepte la superposition urbaine des races qui ne se mélangent plus. La mixité ou le maintien du creuset républicain ne sont plus un objectif politique seule compte la lutte contre les discriminations de manière bornée c’est-à-dire individualiste. Cette construction communautaire profite alors aux intégristes religieux. En effet, ce n’est pas parce qu’on vit dans un quartier pauvre issu de parents immigrés que l’on est stigmatisé mais parce qu’on est musulman. Cette rétroaction est alors le fait de mouvements politiques qui s’implantent progressivement et ouvrent alors à l’affichage des signes religieux qui contestent la violence issue du système, mais qui ouvrent alors à une autre violence, plus grande encore, aux antipodes de l’émancipation. De même, cette paupérisation bornée spatialement profite, outre « l’économie informelle » autrement dit au trafic de drogue qui alimente l’insécurité, au repli traditionnaliste sur la famille d’origine, ouvrant alors à de nouvelles contestations sur des objets du quotidien (habillement nourriture ...) puisque la religion vise d’abord à discipliner les mœurs et donc le quotidien. Faisant parfois parti de cette tradition les mariages forcés continuent. Si le « blanc » (alors que des « non blancs » portent aussi cette contestation) le conteste ; Le message néo-raciste binaire entre « les blancs » et les « non-blancs », ou les seconds, sont, par hypothèse, les victimes des premiers, impose logiquement une rétroaction évidente : « le blanc » impose sa vision du monde aux « non-blancs ». L’universalisme n’est alors qu’occidental, il n’est qu’une autre forme d’oppression. L’émancipation est oppression, la « novlangue » fonctionne.

Le « confusionnisme » racialo-religieux dont le mot islamophobie est le plus significatif s’insinue. Construction sémantique intelligente, il abolit la frontière entre le racisme et le blasphème. Les médias relaient massivement ce mot. Soutenant les racialistes et ouvrant leur réseau médiatique, la « gôche caviar »et la droite libérale, favorables au néo-libéralisme, enclenchent des débats sur des représentations qui se posent sous l’angle du racisme et en renforcent la tendance. L’utilisation médiatique de ce mouvement « néo-raciste religieux » abolit la contestation sociale en faisant croire que la discrimination raciale est le seul sujet, qu’il n’existe pas d’inégalité sociale, c’est-à-dire que des « blancs et non blancs pauvres », sont ensemble, détruits par le système. Cela renforce alors la rancœur de ces gens en souffrance sociale, favorisant l’extrême droite. C’est en effet, du « pain béni » pour cette tendance. En effet le repli, subit par les acteurs stigmatisés par le racisme, devient construit par eux-mêmes, du statut réel de victimes, ils deviennent oppresseurs. En favorisant ce mouvement les gagnants de la mondialisation, culpabilisent les classes sociales au revenu les plus faibles, accusées d’être racistes. Or, ils ont soutenu l’implantation du néolibéralisme et la destruction des services publics, qui, en retour, ont permis aux mouvements religieux de reconquérir le terrain social et de s’implanter grâce à la misère sociale qu’ils ont créé avec le « marché européen ». Ils détruisent alors l’universalisme républicain sur le champ culturel, après l’avoir remis en cause sur le champ économique, ce qui construit les conditions objectives d’une société multi-culturelle néolibérale, dont les conflits internes, la rend incapable de faire face aux marchés. Ces derniers se présentent alors comme les grands gagnants de cette construction idéologique, ancrée, grâce aux médias, dans le réel.

Le triptyque paupérisation-religion-racisme n’est pas nouveau. Ce qu’il y a de nouveau c’est que la religion s’est renouvelée dans ses formes d’action économiques et politiques en France et que la disjonction culture-social oppose les deux pour en faire un objet de débat qui permet de cacher les autres. Ce débat idéologique est mené par la classe qui se représente comme autorisée à le faire dans les médias. Cette classe a plusieurs noms « gôche caviar », « oligarque », « riche », mais ce sont toujours les mêmes : les gagnants de la mondialisation, autrement dit de la destruction de notre pays et de notre planète. Dans ce cadre « droite et gauche c’est pareil ». Aussi, l’utilisation des institutions pour mettre en place un régime autoritaire en France, qui s’affirme toujours plus, ne vient pas des institutions elles-mêmes, mais de leur utilisation à des fins autoritaires pour faire passer un projet politique, en l’occurrence le projet néolibéral multiculturel européen qui n’est plus accepté depuis 16 ans. La remise en cause des institutions ne peut qu’être intégrée à un projet qui créerait les conditions dans lesquels, le peuple français, en tant qu’entité sociale laïque et politique, pourrait se reconstruire et faire face dans l’unité, aux défis écologiques et sociaux de notre temps. Cela nécessite alors d’agir dans le réel et donc les institutions existantes pour les dépasser. Comme en 1936, il s’agit de faire sauter le cadre posé par l’oppression de la minorité des gagnants de la mondialisation, comme seul le peuple sait le faire, en conjuguant lutte sociale, laïque et politique. Certes les conditions ne sont pas réunies, c’est alors à nous citoyens, comme les lumières l’ont fait en leur temps, d’agir sachant que nos concitoyens sont d’abord soumis à la hargne haineuse des élites et des médias qui créent la confusion afin de leur « voler la décision ». A nous donc de travailler pour créer les conditions de sa souveraineté. Le peuple est une construction sociale, il n’est pas qu’une collection d’individus courant à leur propre intérêt, il est une idée que l’ensemble se fait de son rôle dans l’histoire de l’humanité.

Lamboley Michel

Réseau social laïque

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