La souveraineté toujours

La souveraineté toujours

Jeudi 4 novembre 2021, par Pascal Geiger

Souveraineté : l’âme de la République

Plonger dans le droit constitutionnel pour un citoyen lambda relève d’une véritable gageure.

Rien de plus simple, me direz-vous.

Commence par le début. Lis la Constitution. L’essentiel y est inscrit. Non seulement les règles du contrat social qui lient les citoyens entre eux mais également celles qui conditionnent la relation entre gouvernants et gouvernés.

Hélas, je m’y suis déjà collé.

Et, certainement comme beaucoup avant moi, j’ai ressenti, après plusieurs lectures, une déception, une amertume, une frustration, un sentiment d’être, en tant que citoyen, victime d’un dol.

Certes, le texte parait, de prime abord, abouti, sérieux et, par moment, même « emballant ».

Je pense notamment au préambule qui englobe à la fois celui de la Constitution de 1946, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ainsi que la Charte de l’environnement de 2004 ; à l’article premier qui pose les qualités intrinsèques de la République ainsi que les obligations envers les citoyens qu’elle s’impose et enfin, au deuxième article qui fixe les emblèmes irréfragables de la France.

Mais, c’est après que cela se gâte, que ça se complexifie, se technicise. Finalement, la Constitution, telle qu’elle est rédigée, est avant tout un texte de technocrates pour technocrates et … constitutionnalistes.

Nombre d’articles qu’elle contient se veulent performatifs alors qu’ils ne reposent, en réalité, que sur des concepts embrouillés, flous et obscurs (1), aussi inconsistants qu’incontournables (2), bref des principes totalement vides (3) qui laissent la porte ouverte à d’« excessives extensions (4) » et surtout à d’opportunes interprétations pour qui aspire à devenir ou à rester « gouvernant ».

Il en est ainsi de la souveraineté.

La Constitution, dans son titre premier (5), reste plus que sibylline à son propos. Aucune définition ou précision sémantique n’y est apportée. Le citoyen est censé savoir ce qu’elle signifie, ou pour le moins, en cas de doute, invité à se référer à son dictionnaire préféré.

Ainsi, pour le Larousse, la souveraineté est le « pouvoir suprême reconnu à l’État, qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et son indépendance absolue dans l’ordre international où il n’est limité que par ses propres engagements (souveraineté externe) ».

Le Robert, quant à lui, la définit comme « l’autorité suprême d’un souverain, d’une nation … ; c’est le caractère d’un État qui n’est soumis à aucun autre État – indépendance – ».

La souveraineté est donc considérée comme un attribut, une qualité (6), un état voire une caractéristique ainsi que le souligne le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL (7) ).

Une qualité non stabilisée (pouvoir ou autorité ?) que l’on se hâte d’attribuer à une personne physique (le monarque) ou morale (l’État).

La Nation et le Peuple n’étant pas sujets de droit, c’est donc l’État qui, de fait, devient le titulaire de la souveraineté nationale, et ce malgré l’article 3 de la Constitution - la souveraineté nationale appartient au peuple -.

Un véritable tour de passe-passe divin, une subtile manipulation chloroformique de technocrates : « vous, le peuple, êtes titulaire de la souveraineté mais c’est moi, l’État, qui l’exerce ».

Mais au fait, c’est quoi au juste « État » ? Aucun article de la Constitution n’en donne la définition ou n’en définit les contours, ni les prérogatives.

L’État est une réalité à la fois historique et une construction théorique, ce qui explique la difficulté de le définir de manière pleinement satisfaisante (8) ».

Ce qui permet à tous les constitutionnalistes d’assimiler, comme le soulignait Carré de Malberg, l’État à la Nation (9), sachant évidemment que ni l’un ni l’autre ne sont définis voire éclaircis par la Constitution.

Mais pour amadouer le peuple - concept juridique non déterminé en droit national comme en droit international - et faire taire toute polémique entre partisans de la souveraineté nationale (cf. E-J Sieyès) et ceux de la souveraineté populaire (cf. JJ Rousseau), les constituants autoproclamés de 1958 se sont empressés de préciser que « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

En vérité, aussi longtemps que la souveraineté sera considérée comme une « simple » qualité intrinsèque d’un titulaire exclusif (le peuple ou l’État), les citoyens auront beau s’agiter comme des cabris sur leur chaise en criant « souveraineté, souveraineté », ils ne recevront, avant de pouvoir l’exercer, qu’une belle image (leur « carte d’électeur »), auront les promesses qu’il souhaiteront entendre, seront sommés d’accomplir leur DEVOIR et, dès les votes clos, il leur sera gentiment demandé de retourner à leur labeur quotidien.

La souveraineté n’est pas, pour ceux qui nous gouvernent, l’affaire d’« incapables majeurs ». C’est l’affaire des grands ou plutôt de certains hauts fonctionnaires. A bon entendeur ….

Pour ma part, la souveraineté n’est pas une onction, une qualité que l’on attribue doctement au Peuple ou à l’État. Elle est d’abord le résultat d’une interaction, d’une confrontation entre ces deux acteurs (10).

D’aucuns opteront sûrement pour le terme « combat », je préfère, quant à moi, celui « relation ».

Pas de cette relation périodique qui s’active le temps d’une consultation, mais d’une relation permanente à l’écoute des attentes de chaque protagoniste, une relation qui intègre les contraintes s’imposant à eux tant sur le plan communal, départemental, régional, national que sur le plan international.

Une relation qui oscille forcément entre coopération et conflictualité et génère inexorablement inégalités et frustrations ; désordres et colères que les Institutions devront immanquablement et périodiquement s’employer à atténuer, à corriger.
La Souveraineté, comme la Constitution, sont des « concepts » en mouvement, en amélioration permanente. Ils s’inscrivent dans de nécessaires et inéluctables dynamiques dont la raison d’être est de garantir stabilité et épanouissement de la population ; à condition, naturellement, que le Peuple et (les tenants des rênes de) l’État s’écoutent et s’entendent, s’emploient à débattre, à désamorcer les conflits et à capitaliser sur les ententes.

Concertation, dialogue, négociation et médiation sont les valeurs cardinales de la démocratie.

Alors, la souveraineté ne sera plus l’apanage d’un titulaire passif - le Peuple - ou omnipotent et protéiforme - l’État - mais elle sera l’âme de la République, c’est-à-dire une puissance souveraine qui unit tous les membres et parties (qui la composent), tous les collèges, en corps politique. Car c’est par un lien politique que l’unité (de la nation) se fait et non par des liens ethniques, religieux et culturels (11).

C’est donc la force et la profondeur de ce résultat qui déterminera l’inaliénabilité de la République et l’indépendance de la France dans le concert des nations.
La souveraineté devient ainsi le produit d’un contrat social dont les enjeux s’articulent autour de cinq piliers interdépendants :

La puissance, c’est-à-dire la capacité de la République à mobiliser et organiser compétences et moyens susceptibles de dominer ou de maîtriser (pour le moins) l’enjeu des relations internationales,

Le pouvoir, c’est-à-dire la capacité de la République à dicter ses lois, règles et normes, et à les faire respecter tant sur le plan national qu’international,

L’influence, c’est-à-dire la capacité de la République à rassembler son peuple aujourd’hui émietté,

L’autorité, c’est-à-dire la compétence, l’expertise, la force de considération nécessaire et suffisante pour assurer sa légitimité auprès des puissances politiques et économiques étrangères,

La reconnaissance, c’est-à-dire la capacité de la République à être écoutée, reconnue et suivie.

La mise en œuvre permanente des valeurs cardinales de la démocratie (concertation, dialogue, négociation et médiation) renforce la souveraineté de la République, consolide la cohésion du Peuple et façonne l’histoire de la Nation.

La souveraineté ne s’attribue pas. Elle se conquiert par la Constituante et s’entretient par un débat démocratique permanent entre les citoyens (et leurs représentants élus) et ceux de l’État.

Pascal Geiger

Membre de l’APUC

Notes et Références

1. R. Carré de Malberg : Contribution à la théorie générale de l’Etat spécialement d’après les données fournies par le droit constitutionnel français – Librairie du Recueil Sirey, 1920.

2. Th. Berns : Souveraineté, droit et gouvernementalité – Archive philosophique du droit2002.

3. L. Duguit : Traité de droit constitutionnel

4. R. Carré de Malberg : Contribution à la théorie générale de l’Etat spécialement d’après les données fournies par le droit constitutionnel français – Librairie du Recueil Sirey, 1920.

5. Titre premier : De la souveraineté : articles 2 à 4.

6. Souveraineté : qualité propre à l’État qui possède le pouvoir suprême impliquant l’exclusivité de la compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et sur le plan international, l’indépendance vis-à-vis des puissances étrangères – limitée par les conventions ou par le droit international – ainsi que par la plénitudes des compétences internationales (souveraineté externe). La souveraineté est le pouvoir politique suprême dont jouit l’État.

7. Créé en 2005 par le CNRS, le CNRTL fédère au sein d’un portail unique, un ensemble de ressources linguistiques informatisées et d’outils de traitement de la langue.

8. Frank Baron, maitre de conférences à l’IEP de Paris.

9. Dans la Contribution à la théorie générale de l’État, Carré de Malberg tenta de démontrer que les Constituants de 1789 avaient considéré l’État comme la personnalisation juridique de la Nation.

10. Rappelons que l’État n’est pas élu par le Peuple

11. Jean Bodin (1530 - 1596) les Six livres de la République