Le Pérou en route vers une Constituante ?

Le Pérou en route vers une Constituante ?

Jeudi 22 décembre 2022, par Gérard Jugant

La crise politique s’intensifie plus de 10 jours après la destitution du président Pedro Castillo.

Tout a commencé mercredi 7 décembre. Alors que le Congrès (le pouvoir législatif au Pérou est unicaméral), où l’opposition de droite est majoritaire, doit débattre d’une 3ème procédure de destitution du président, ce dernier prend tout le monde de court et joue son va-tout. Dans un message à la nation depuis le palais présidentiel et diffusé à la télévision, le président arrivé au pouvoir en juillet 2021, déclare "dissoudre temporairement le Congrès et établir un gouvernement d’urgence exceptionnel", visant à "rétablir l’état de droit et la démocratie". Il ajoute aussi qu’il entend "convoquer dans les plus brefs délais un nouveau Congrès doté de pouvoirs constituants pour rédiger une nouvelle Constitution dans un délai ne dépassant pas 9 mois". La vice-présidente, Dina Boluarte (une avocate de 60 ans) et d’autres personnalités dénoncent "un coup d’État". Washington exige que le président revienne sur sa décision. L’armée, elle, ne bouge pas.

Ignorant l’annonce de sa dissolution et l’instauration de l’état d’urgence, le Congrès se réunit et vote la destitution de Pedro Castillo, pour "incapacité morale permanente", par 101 voix sur 130, dont 80 de l’opposition (ce qui signifie que 21 parlementaires de gauche ont voté la destitution).

Pedro Castillo, 53 ans, est alors "placé en état d’arrestation".

Le pays se réveille, le 8 décembre, avec son 6ème président en moins de 6 ans. En effet, la veille, lors d’une cérémonie d’investiture devant le Congrès, Dina Boluarte, alors vice-présidente, devient la première femme à la tête du Pérou. Elle assure, conformément à la Constitution, assumer la présidence jusqu’en juillet 2026, lorsque devait prendre fin le mandat de Pedro Castillo. La nouvelle présidente est pourtant issue du même parti (marxiste-léniniste), Peru Libre, que son prédécesseur. Mais devant l’ampleur de la protestation populaire, la nouvelle présidente a reculé, en annonçant que les élections seraient avancées à 2024.

Très vite, les protestations se sont multipliées à travers le pays, notamment dans les villes du Nord et les régions andines, où Pedro Castillo, un ancien instituteur en milieu rural, bénéficie du plus grand soutien. Des milliers de manifestants réclament la libération de l’ancien chef de l’Etat, mais aussi la dissolution du Congrès, des élections anticipées et une nouvelle Constitution à charge d’une Assemblée Constituante. C’est dans ce contexte, à savoir la pression de la rue, que la nouvelle présidente annonce qu’elle va avancer les élections à avril 2024. Elle déclare aussi l’état d’urgence dans les zones les plus affectées par les manifestations (depuis, devant le développement des manifestations à tout le territoire, elle a décrété l’état d’urgence sur tout le Pérou). Mais l’annonce d’élections anticipées n’enraye pas le mécontentement de la population et des syndicats agraires, des organisations paysannes et indigènes, qui appellent à la grève générale "à partir de ce mardi" (le 13 décembre).

Aujourd’hui, à la date du 17 décembre, les manifestations ne faiblissent pas pour réclamer la libération de Castillo, des élections immédiates pour élire une Constituante. La question qui se pose est de savoir si une Constituante promulguant une nouvelle Constitution, suffira à changer le régime oligarchique qui règne au Pérou depuis des décennies ?

Il faut se souvenir qu’en 1978, le régime militaire avait mis en place une Constituante. Cette dernière, avec un résultat historique pour l’extrême gauche (maoïste et trotskyste), soit 16% d’élus, alors que le Parti communiste poursuivait son déclin avec seulement 5%, avait voté avec l’accord des militaires (des généraux progressistes ?), nombre de nationalisations et la fameuse réforme agraire qui expropriait les grands propriétaires terriens. Mais avec la chute de la dictature militaire et le retour à la démocratie bourgeoise, les oligarques ont repris tout le contrôle du pouvoir et multiplié les privatisations. C’est pour cela, si le Pérou renoue avec une Constituante, qu’il faudra l’accompagner des exigences sociales et établir un nouveau contrat social .

Pour l’heure, le Pérou n’est pas sorti de la crise, et nul ne sait quelle sera son issue.

Gérard JUGANT

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