Penser vraiment la guerre
Lundi 23 janvier 2023, par
Les temps de guerre ne sont pas, c’est le moins qu’on puisse dire, favorables à l’esprit critique et aux débats raisonnés. L’information y devient propagande et les citoyens limitent alors leur réflexion à juger les bons et le méchants.
C’est évidemment trop souvent le cas aujourd’hui face à la guerre en Ukraine. Mais si l’agression russe est contraire à toutes les règles du droit international, elle ne devrait pas supprimer toute analyse des origines et des conséquences de ce conflit.
Sachons donc juger les informations, les interprétations plus ou moins officielles, avec un œil critique. Au lieu de regarder le monde comme si tout devait rester à l’identique, comme si le camp du bien et le camp du mal restaient figés dans leurs sphères respectives, ne peut-on penser que la guerre d’Ukraine est un des révélateurs d’un monde en profond changement, d’un tournant historique en gestation ? Et si c’est le cas, ne doit-on pas, au-delà des rapports de force immédiats, réfléchir à l’évolution politique au sein même des acteurs de la guerre ?
Les occidentaux
Bien sûr, ils ont la légitimité de la réplique à l’agression russe. Mais celle-ci justifie-t-elle que la totalité de l’espace européen se soumette à l’Otan ? Le regard porté sur le continent ne doit-il pas changer de ce fait ?
Le concept de souveraineté européenne, au demeurant déjà critiquable, mais cher à Emmanuel macron, apparait en effet définitivement absurde. La défense européenne n’est que le rempart contre la Russie et les Etats-Unis dirigent la manœuvre.
Le « couple franco-allemand », au cœur de l’équilibre européen, se retrouve aux marges tandis que s’affirme un couple polono-américain.
Les liens historiques des pays d’Europe dans le monde se distendent comme le prouvent les réactions des pays africains, particulièrement à l’égard de la France.
Au total, dans leur volonté d’affirmer leur force, les occidentaux semblent se résigner à un assez grand isolement géopolitique.
La Russie
Si l’on en croit nombre d’organes de presse, la guerre en Ukraine devait entrainer la chute de Poutine et son remplacement par un système plus conciliant.
Même si des hésitations semblent avoir eu lieu, une autre hypothèse semble aujourd’hui devoir être prise en compte, celle de la militarisation d’un régime qui s’éloigne de l’occident. Ne soyons pas naïfs, la force de l’armée et le développement des moyens militaires n’ont jamais disparu de Russie. Mais ils se conjuguaient avec des options diplomatiques tournées vers l’Ouest, la Russie souhaitant éviter le contact direct avec l’Otan.
Les faiblesses militaires affichées aujourd’hui par la Russie peuvent-elles être analysées en concordance avec ces hésitations ? Peut-on alors penser que, face à une guerre qui dure et un adversaire totalement soutenu par l’Otan, le régime russe va s’écrouler et laisser la place à un pouvoir recherchant la négociation avec cette dernière ? C’est un discours largement tenu par les médias occidentaux. Alors que les Etats-Unis pensaient affaiblir la Russie et toute possibilité de lien entre celle-ci et la Chine, la radicalisation et la militarisation du pouvoir en Russie développent un processus inverse.
La Russie, déjà tentée par des liens plus asiatiques, peut d’autant plus se séparer de l’Occident que celui-ci s’isole dans son prurit de domination.
Et maintenant ?
Le discours qui se développe en Europe occidentale apparait souvent plus comme un aveuglement que comme un analyse sérieuse des tensions internationales. La question n’est peut-être déjà plus de savoir qui va ou pas gagner la guerre, mais quels sont les équilibres qui vont en émerger.
Le temps de allégeances absolues et définitives à un camp n’est-il pas dépassé ? De ce fait, n’est-il pas essentiel de réfléchir au rôle des puissances intermédiaires : Inde, Turquie,… ?
La France est-elle consciente de ces évolutions ? A vouloir éviter les questions pour être dans le camp du bien, nous risquons d’être en dehors de l’Histoire.
Cet article a, par ailleurs, été publié sur la revue politique et parlementaire par le lien https://www.revuepolitique.fr/penser-vraiment-la-guerre/