Etat et souveraineté

Etat et souveraineté

Samedi 29 juin 2024, par Pascal Geiger

Ci-dessous un texte de Pascal Geiger à débattre

Pas de souveraineté populaire sans contrôle de la souveraineté étatique par les citoyens !

C’est un fait indéniable, la nation et le peuple sont des constructions historiques qui ont formé l’individu national et le citoyen normal.

Pour faire court, la nation est une construction idéologique, le peuple une construction politique.

Ce sont deux conceptions irréductibles, fondements de la République française, instituant les titulaires de sa souveraineté (cf. article 3 de la constitution de 1958 qui stipule que la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par voie de référendum).

Formulation ambigüe qui se veut compromis devant concilier deux perceptions opposées de l’attribution de la souveraineté – souveraineté nationale (c’est-à-dire représentative) vs souveraineté populaire -, mais qui n’est, avant tout, qu’un mantra sans cesse répété afin de rassurer l’individu de son appartenance à un idéal (la nation) et de flatter le citoyen en le présentant comme gardien de la démocratie.
Mais, tout ceci n’est que leurre puisque ni la nation ni le peuple n’exercent, de fait, le pouvoir suprême qui leur est attribué.

Répétons-le à nouveau, la nation comme le peuple sont des constructions sociales, c’est à dire des êtres fictifs dont l’existence ne tient qu’à un accord tacite entre les personnes qui les composent. Ni l’une ni l’autre ne disposent de la personnalité juridique, à savoir de la capacité à être détenteurs de droits et de devoirs. Ni l’une ni l’autre sont sujets de droits. La nation et le peuple ont beau être conjointement titulaires de la souveraineté, ils ne peuvent l’exercer que périodiquement (lors des élections) voire exceptionnellement (lors d’un référendum) et ce durant le temps éphémère de leur consultation.

En fait, depuis la Révolution française, la souveraineté a pris le masque du peuple uni et de la nation rassemblée dans un troisième être fictif doté, quant à lui, de la personnalité juridique, à savoir l’Etat.

La souveraineté nationale appartient au peuple, certes, mais elle ne peut s’exprimer pleinement et de manière permanente que par l’Etat.

Force est de constater que la souveraineté nationale est d’abord et avant tout une souveraineté étatique.

La question que nous devons donc légitiment nous poser est non « c’est quoi l’Etat ? » mais : « c’est qui l’Etat ? ». Cependant, avant de tenter de répondre à cette question, voyons ce qu’en dit la constitution de 1958.

Rien, aucune référence à cet être fictif n’y est faite. Pas la moindre définition, ni la plus petite description. Certes, nous pouvons nous référer, pour en donner un contour plus ou moins formel à ce que dit le droit international voire aux analyses d’éminents constitutionalistes sur l’organisation politico-juridique de ce construit social. Plus simplement, nous pouvons prendre l’ensemble des Institutions organiques de l’Etat et proclamer : « voilà l’Etat ».

Pour autant, nous aurions toujours une véritable difficulté à définir qui représente concrètement l’Etat.

Le président de la République élu au suffrage universel ? Certes. Mais un président comme un monarque ou un dictateur ne dirige jamais seul un Etat. Chacun dispose, selon son « statut » d’une cour ou d’une oligarchie plus ou moins étendue répondant à ses moindres désirs et bénéficiant en retour de prébendes très lucratives.
En France, le président s’appuie sur la haute fonction publique, nouvelle noblesse d’Etat.

Nouvelle car depuis moins de 50 ans beaucoup de ces hauts fonctionnaires, grands commis de l’Etat, se sont rapidement convertis au néolibéralisme le plus cynique au point de créer un bloc oligarchique privé-public contrôlant aujourd’hui le pouvoir de l’Etat. La bureaucratie d’Etat est, il faut bien le reconnaître, de connivence avec le capitalisme privé des plus débridés.

Une bureaucratie d’Etat qui s’arroge le droit de parler et d’agir au nom du peuple français. Une bureaucratie dont les membres ne sont pas élus.

Mais, si cet Etat entend personnifier la volonté du peuple qu’il accepte, alors, d’ouvrir ses espaces institutionnels (et ce à tous les niveaux) et de les soumettre au contrôle des citoyens.

Car, pour paraphraser Marx, il faut penser l’Etat à partir de l’activité du peuple. Un Etat au service du peuple et non au service de certains intérêts privés. Un Etat libéré de l’étau mortifère du néolibéralisme.

Ce n’est qu’au prix d’un contrôle de la souveraineté étatique par les citoyens que la souveraineté populaire se confondra avec la souveraineté nationale.