Le dialogue social à la française ou l'art de faire semblant

Le dialogue social à la française ou l’art de faire semblant

Lundi 12 mai 2025, par Pascal Geiger

En France, le dialogue social est comme un vieux couple : tout le monde râle mais personne ne divorce.

Loué dans les discours, célébré dans les rapports ministériels, convoqué à chaque réforme… mais toujours aussi fragile, conflictuel et bruyant. Car oui, en matière de relations sociales, la France a une recette bien à elle  : tout le monde parle de compromis, mais personne n’a envie d’en faire. Et pour cause : derrière les beaux principes d’un dialogue «  apaisé, sincère et équilibré  », chacun a en réalité tout intérêt à ce que la machine grince.

Syndicats : «  sans conflit, point de salut  »

Commençons par les syndicats.

Officiellement, ils veulent négocier, co-construire, améliorer le sort des salariés. Mais attention : un dialogue trop apaisé, c’est risqué. Déjà qu’avec 8 % de syndicalisation, ils peinent à exister, imaginez sans blocage ni banderoles… À quoi bon payer sa cotisation si tout roule  ? Le conflit, c’est leur muscle, leur scène médiatique, et parfois leur dernier levier face à des employeurs qui, eux, ont bien moins besoin de crier pour se faire entendre.
Et puis, soyons honnêtes : un compromis trop lisse, ça divise les troupes. Entre les réformistes qui rêvent d’accords et les contestataires qui ne jurent que par la rue, la paix sociale pourrait bien finir par faire éclater les syndicats eux-mêmes. Bref, pour maintenir leur légitimité et éviter de devenir de simples figurants dans un théâtre patronal, il leur faut un peu d’électricité dans l’air.

Patronat : la paix sociale, oui, mais à condition qu’elle ne coûte rien

Passons aux organisations patronales.

Là aussi, le discours est impeccable : dialogue, écoute, concertation… Sur le papier, tout est parfait. Mais dans les faits, un dialogue «  équilibré  » pourrait vite se transformer en ardoise salée. Car derrière les tables de négociation, il y a les salaires, les conditions de travail, les garanties collectives… autant de sujets qui ont la fâcheuse tendance à grignoter les marges et réduire les dividendes.

Ajoutons à cela que les patrons, fins stratèges, savent exploiter la division syndicale. Pourquoi négocier d’égal à égal quand on peut jouer les modérés contre les radicaux, et sortir en prime avec moins de concessions  ? Comme le dit l’adage patronal jamais gravé mais souvent appliqué  : «  Diviser pour mieux régner, négocier pour mieux temporiser.  »

L’État : un arbitre intéressé

Et que fait l’État dans tout ça  ?

Officiellement, il veille au grain. Dans les faits, il adore quand le dialogue social patine un peu. Car qui dit blocage dit besoin d’arbitrage… et qui joue l’arbitre  ? L’État, évidemment. Un dialogue social parfaitement autonome et efficace priverait le gouvernement de l’un de ses grands rôles politiques : celui de pacificateur en chef. Dans un pays où la centralisation est une religion, laisser les partenaires sociaux se débrouiller sans lui serait presque une hérésie.

Une belle mécanique de blocage collectif

Finalement, tout le monde y trouve son compte.

Les syndicats gardent leur visibilité, le patronat sa liberté, l’État son autorité. Le tout sur fond de négociations lentes, de manifestations bruyantes, et de réformes à moitié digérées. Voilà ce qu’on pourrait appeler, non sans ironie, une “stabilité conflictuelle” à la française. Et tant pis si le salarié, lui, aimerait parfois juste que ça avance.

Alors, la prochaine fois qu’on vous parlera d’«  apaiser le dialogue social  », souvenez-vous : ce n’est pas une question de bonne volonté ou de méthode. C’est surtout une histoire d’intérêts bien compris. Après tout, pourquoi changer une équipe qui se chamaille si bien  ?

Pascal Geiger
Mai 2025