
A propos des retraites
Samedi 21 juin 2025, par
Evoquer la réforme des retraites impose d’aborder le débat en y intégrant certains éléments souvent escamotés par le discours public.
Dans un premier temps, il convient de rappeler qu’en droit français, la retraite par répartition est fondée non pas sur un système d’assistance mais sur un droit acquis par le travail. Chaque cotisation versée par un actif crée une créance implicite sur les caisses de retraite. La retraite n’est donc pas une aide, mais un salaire différé, comme le reconnait, dès 1953, le Conseil d’Etat.
Le retraité ne vit pas de la solidarité nationale, mais perçoit ce qui lui est dû.
Puis, de souligner que le modèle français de retraite par répartition repose sur un mécanisme en apparence simple : les cotisations des actifs financent les pensions des retraités. Cette représentation basique du modèle met l’accent sur un transfert (de fonds) intergénérationnel, donnant ainsi l’impression que les retraités « coutent » à la société et pèsent sur les actifs.
Elle évoque un principe noble de solidarité, voire de charité, mais n’a, en réalité, aucune valeur juridique.
Le système par répartition repose juridiquement sur le principe de « salaire socialisé » c’est-à-dire la part du salaire qui n’est pas directement versée au travailleur mais mutualisée pour être redistribuée sous forme de droits différés tels que la retraite (A. Supiot).
Cela étant posé, il devient alors nécessaire de rappeler pourquoi les gouvernements successifs tentent depuis tant d’années de réformer ce modèle de répartition.
Selon les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR) publiées en juin 2024, le système de retraite français devrait rester déficitaire sur toute la période de projection jusqu’en 2070 et ce malgré la réforme de 2023 qui a notamment relevé l’âge légal de départ à 64 ans.
Ces projections varient selon les hypothèses économiques, notamment celles portant sur la croissance de la productivité, le taux de chômage et l’évolution démographique.
En 2030 : le déficit serait estimé, selon différents scénarii, entre -0,4 % et -0,8 % du PIB et pourrait atteindre, voire dépasser, -0,8 du PIB à partir de 2040.
Ces déficits cumulés pourraient représenter environ 470 milliards d’euros d’ici 2050 et plus de 1 000 milliards d’euros à l’horizon 2070.
Pour la plupart des acteurs économiques, l’explication démographique (vieillissement de la population et allongement de l’espérance de vie) est mise en avant pour justifier les causes de ces déficits.
Cette vision parcellaire de la situation leur suffît pour justifier la nécessité de mettre en œuvre des réformes paramétriques (augmentation de l’âge de départ, allongement de la durée de cotisation, augmentation des cotisations), indispensables (selon eux) pour faire face à ces déficits chroniques.
Mais, à y bien réfléchir, cette approche est totalement injuste et illégitime, car elle fait supporter la responsabilité de l’appauvrissement des ressources de financement des retraites aux seuls salariés et retraités.
Or, la crise du financement des retraites n’est pas seulement démographique, elle est avant tout économique et politique.
Pourquoi rendre les salariés et les retraités responsables de cette crise, alors qu’elle est le résultat de décisions politiques dont conséquences sociales et économiques pèsent encore aujourd’hui sur le pays.
Le tarissement progressif des ressources financières alimentant les caisses de retraites est principalement dû aux politiques de délocalisation qui à partir des années 80/90 se sont traduites par une désindustrialisation massive de la France réduisant considérablement le nombre d’emplois stables, bien rémunérés et fortement cotisants.
Le résultat de ces politiques industrielles a eu pour conséquence non seulement une perte notable de cotisations sociales, mais également une augmentation du chômage de masse et une précarisation d’une partie de la population active.
De même, les conséquences de la loi de 2008 créant le statut d’auto-entrepreneur ont sans aucun doute amplifié cet assèchement. En effet, cette malheureuse initiative, en favorisant la flexibilité de l’emploi, a réduit les cotisations sociales des auto-entrepreneurs par rapport à celles des salariés fragilisant à terme l’approvisionnement des ressources financières des caisses de retraites.
Enfin, les choix faits par l’Etat, depuis les années 90 pour lutter contre le chômage de masse, de multiplier les exonérations massives de cotisations patronales sur les emplois payés autour du SMIC y ont également contribué.
C’est un fait, ces nombreuses exonérations, pour soutenir l’emploi des bas salaires ont affaibli les ressources financières du système de répartition sans toujours garantir une amélioration réelle de l’emploi.
En réalité, ce ne sont pas seulement les paramètres internes du système de retraite qui doivent être ajustés, mais le modèle économique français dans son ensemble qui doit être repensé.
Sans une stratégie industrielle forte, sans une politique d’emploi qui sécurise les parcours professionnels et sans une fiscalité sociale plus juste, toute réforme technique des retraites risque de rester un palliatif temporaire.
La question des retraites n’est pas seulement une question d’âge ou de durée de travail. C’est un révélateur des mutations profondes du travail, de la production et des choix collectifs faits depuis quarante ans.
Sauver le modèle français des retraites suppose donc de réinterroger ces choix, et non de les prendre pour des fatalités.
Cette démarche est d’autant plus nécessaire que se profile, à très court terme, un bouleversement important dans les organisations du travail dû à l’implémentation de l’I.A. dans celles-ci. Oublier d’intégrer cette innovation et son impact social c’est exposer le modèle français des retraites par répartition à une disparition programmée.