L'ego et la démocratie

L’ego et la démocratie

Jeudi 4 septembre 2025, par Pascal Geiger

Quand le peuple célèbre la cupidité, la démocratie s’efface.

On croit souvent la démocratie menacée par les extrêmes, les régimes autoritaires ou la violence. Mais le vrai danger est bien plus discret, plus intime, presque banal, et combien plus destructeur.

Il vient de la cupidité de l’homme. Et de sa sœur jumelle, plus politique, la pléonexie.

La cupidité, c’est le désir insatiable d’accumuler, toujours plus, sans limite.

La pléonexie, héritée du vocabulaire grec, c’est la volonté d’avoir plus que les autres, en accaparant, même de manière injuste, ce qui devrait revenir à tous.

La première est une passion individuelle, la seconde une injustice sociale. Ensemble, elles forment un couple redoutable. Vouloir toujours plus finit tôt ou tard par signifier prendre la part de l’autre.

C’est ainsi que la démocratie se déforme et s’estompe.

Car les plus puissants n’aspirent pas seulement à s’enrichir, ils cherchent aussi à réécrire les règles du jeu à leur avantage. La compétition légitime devient irrémédiablement captation illégitime.

Aristote l’avait déjà vu « la pléonexie est le poison de la cité, car elle détruit le sens du juste ». Et Montesquieu de confirmer « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ».

Ces deux tendances humaines, loin d’être toujours rejetées, sont souvent… admirées.

On pourrait croire, en effet, que les dirigeants cupides et pléonectiques seraient disqualifiés aux yeux des citoyens. Mais l’histoire récente montre l’inverse. De Berlusconi à Trump en passant par Bolsonaro beaucoup ont bâti leur popularité précisément sur leur richesse affichée, leur goût du pouvoir et leur brutalité.

Pour quelles raisons sont-ils, alors, élus ?

Parce que la cupidité est perçue comme une preuve de réussite. Dans des sociétés inégalitaires et compétitives, l’accumulation de richesses devient un gage de compétence. La pléonexie, quant à elle, passe pour de la force. Celui qui veut dominer rassure ceux qui espèrent un protecteur.

Ajoutons à cela le rejet des élites traditionnelles, le transgresseur paraît plus « authentique » que le politicien policé. Et beaucoup projettent sur ces leaders leurs propres frustrations : « s’il réussit, peut-être que nous aussi, à travers lui, nous gagnerons ».

Le danger est immense.

Ce qui devrait alerter – l’avidité sans frein – devient un signe de charisme. Ce qui devrait inquiéter – la captation injuste du pouvoir – se transforme en promesse de protection. La démocratie se retrouve alors piégée, elle légitime, par le vote, ceux qui incarnent les penchants mêmes qui la minent.

Faut-il désespérer pour autant ?

Naturellement non. Car la démocratie n’est pas née de l’illusion d’un peuple vertueux. Elle existe pour contenir nos excès, pour canaliser nos passions, pour empêcher que la soif de puissance des uns ne détruise la liberté de tous.

Mais elle ne peut y parvenir sans vigilance.

Il faut donc réhabiliter d’autres modèles de grandeur : l’intégrité, le service public, la capacité à construire plutôt qu’à accaparer. Il faut renforcer l’éducation civique et l’esprit critique, pour que les citoyens sachent distinguer séduction et manipulation. Il faut enfin des institutions plus efficaces et plus justes, afin que la tentation du « sauveur pléonectique » perde de son attrait.

Nous ne vivrons jamais dans un monde sans cupidité ni pléonexie. Mais nous pouvons bâtir une démocratie qui reste debout malgré elles. À condition de cesser de confondre avidité avec succès, domination avec force, brutalité avec authenticité.

La démocratie ne survivra pas en niant nos penchants humains. Elle survivra si nous refusons d’en faire des vertus. Elle ne peut s’émanciper que par la cohésion du peuple. Et la cohésion du peuple ne peut s’agréger qu’autour d’un projet, d’une ambition qui transcende nos intérêts personnels.

Pour y parvenir, le peuple doit recouvrer sa souveraineté, c’est-à-dire avoir à nouveau la capacité d’édicter ses propres règles, ses propres lois, afin que le droit national qu’il construit prime sur tout autre droit y compris européen.

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