Liberticide liberté de circulation

Liberticide liberté de circulation

Lundi 20 septembre 2010, par Anne-Cécile Robert

Le 21 décembre 2007, les dirigeants européens et la presse conforme fêtaient en grande pompe l’entrée de neuf nouveaux pays dans l’espace Schengen. Cet espace compte aujourd’hui 22 membres à part entière et 3 associés [1] . La libre circulation des personnes, en vertu de laquelle ce processus s’effectue, était prévue dès le traité de Rome en 1957. Elle fait partie des libertés fondamentales instaurées par les Communautés européennes et poursuivies dans le cadre de l’Union européenne. Pourtant, à y regarder de plus près, cette « liberté de circulation » est-elle vraiment une liberté ?

A l’origine, la libre circulation des personnes (LCP) s’adresse principalement aux agents économiques, notamment les travailleurs qui doivent pouvoir proposer leurs services dans n’importe quel pays de la CEE. Cette définition restreinte est le reflet du caractère purement économique de la Communauté européenne en 1957. Les personnes sont avant tout considérées comme des acteurs de la société marchande. Dans la présentation du traité de Rome d’ailleurs, la LCP vient après le chapitre concernant la libre circulation des marchandises et est diluée dans un chapitre intitulé « libre circulation des personnes, des services et des capitaux ». Elle fait partie d’un tout (le marché commun).

La LCP s’est progressivement substituée à la Liberté d’aller et venir, liberté reconnue par le droit international et protégée par le Conseil constitutionnel en France. Ce glissement sémantique n’est pas anodin. Il reflète la vision mondialiste (et non plus internationaliste) de la classe dirigeante européenne qui tente d’abolir les Etats au profit de l’extension sans fin du marché. En effet, la liberté d’aller et venir implique un point d’ancrage : le cadre national, l’Etat, duquel on pouvait partir et vers lequel on est amené à retourner. Au contraire, la LCP définit, dans la perspective libérale, un individu hors sol, essentiellement mu par ses intérêts économiques et qui se déplace pour satisfaire ses aspirations privées.

La LCP a progressivement été étendue à tous (étudiants, retraités, inactifs, etc.), notamment grâce aux accords de Schengen dans les années 1990. Signés, en dehors des institutions européennes par une poignée d’Etats (France, Allemagne, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas), ils seront adoptés par la majorité des membres de l’Union européenne (à l’exception du Royaume-Uni et de l’Irlande). Pour autant, cet élargissement n’a pas fait disparaître la prégnance des préoccupations économiques et la vision mondialiste qui les sous-tend. Ainsi, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, incluse dans le traité de Lisbonne, mentionne dans son préambule que l’Union « cherche à promouvoir un développement équilibré et durable et assure la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, ainsi que la liberté d’établissement. »

Incongrue dans un document destiné à protéger les droits de l’homme, cette référence banalise la LCP, piètre rempart pour les libertés. D’ailleurs la mise en œuvre de la LCP se traduit mécaniquement par un renforcement des contrôles policiers. En effet, elle n’existe que dans un espace donné (l’Union européenne) qu’il faut protéger des perturbations extérieures. C’est pourquoi l’extension de l’espace Schengen s’accompagne de l’installation de barrières protectrices (caméras de surveillance, grillages de toute sorte, camps de rétention, contrôles d’identité). Tête-à-queue sidérant quand on sait que la Liberté d’aller et venir synthétise les droits et libertés permettant à l’individu de circuler sans être abusivement importuné par la police ou victime des excès de l’arbitraire.

La construction européenne déploie ainsi inexorablement toute sa logique substituant l’agent économique au citoyen, détruisant inexorablement les droits fondamentaux au nom de libertés qui ne sont jamais celles des citoyens.

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