Colloque sur la souveraineté populaire : Anne-Cécile Robert

Colloque sur la souveraineté populaire : Anne-Cécile Robert

Mardi 26 mai 2009, par Association pour une Constituante

REFUSER LA SERVITUDE VOLONTAIRE
La souveraineté populaire, parlons-en !

Colloque du 28 mars 2009, organisé par Association pour une Constituante ,
Droit-Solidarité, Mémoire des luttes et Utopie critique.

Salle du Conseil régional d’Ile-de-France, 57, rue de Babylone, 75007 Paris.
Métro : Sèvres-Babylone ou Saint-François Xavier.

Présentation générale du Colloque


Intervention de

Anne-Cécile Robert


Docteur en droit européen

Professeur associé à l’Institut d’études européennes de
l’université Paris 8

La construction européenne, facteur de destruction du politique

Ce que l’on a coutume de nommer - d’une expression fort laide – le « déficit démocratique » de l’Union européenne n’a rien d’un accident. Il est consubstantiel au projet européen enclenché dans les années 1950. Il reflète une construction européenne réfractaire à la politique et dont la mécanique conduit à la destruction du politique par déni – voire rejet – de la notion même de souveraineté, qu’elle soit nationale ou européenne (l’une n’existant d’ailleurs pas sans l’autre).

L’absence de démocratie est consubstantielle à la construction européenne. Le modèle fondateur défini par Jean Monnet (« méthode Monnet ») se méfie du débat public et des discussions politiques ; il considère les souverainetés nationales comme obsolètes. Il valorise l’expertise et le secret. La création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1951 illustre cette vision : le gouvernement français a pratiquement été mis devant le fait accompli, le parlement écarté, les peuples non consultés. Monnet a fait porter la négociation sur Haute autorité (future Commission), traitant comme accessoire la question démocratique.
Le droit adopté par des instances techniques et contrôlé par des juges joue un rôle central dans la méthode dite « de l’engrenage » qui implique d’avancer en créant des « solidarités de fait », en remettant la discussion des grandes politiques sur le projet européen à plus tard.
On peut noter un lien entre ces visions techniques et le mythe libéral de l’objectivité (méconnaissance idéologique de l’idéologie)
Ce système est justifié officiellement au prétexte d’efficacité. Problème : il s’agit de parvenir efficacement à un but dont on ne discute jamais précisément parce que cette discussion (forcément longue et ardue) entrave l’efficacité. Une sorte de « raison d’Etat » européenne survalorise le consensus par peur des questions qui fâchent perçues comme destructrices (elles le sont d’ailleurs en effet). Ex. le projet européen.
D’ailleurs, si, aujourd’hui, chacun s’accorde à reconnaître l’absence de démocratie (sous des vocables plus ou moins compliqués tel « déficit démocratique », « crise de confiance », « rapprocher les peuples de l’Europe », etc.), il n’existe pas d’accord sur la manière de résoudre ce problème (parlement européen et/ou parlements nationaux et/ou gouvernement-conseil européen). Problème qui s’accroît au fur et à mesure que les responsabilités (pouvoirs) détenus par l’Union augmentent (risque bureaucratique). Or l’absence de consensus sur la résolution du problème démocratique de l’Europe vient en partie de son incapacité à discuter politique, c’est-à-dire poser la question de son projet, voire même de ses valeurs… C’est ce qu’on appelle aussi l’absence d’espace public européen que la cacophonie linguistique symbolise sans la résumer.
Ex : Durant la guerre d’Irak, les Européens ont été incapables de prendre une position commune contre la torture alors que les avions-prisons de la CIA faisaient escale sur le sol de l’Union.
En dehors d’images simples et de principes très vagues, pas de construction politique. Par exemple, on survalorise les objectifs humanitaires de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) quand les grands choix stratégiques sont abandonnés aux Etats-Unis et à l’Otan. Et le fait que Barack Obama soit plus sympathique que George Bush ne change rien au problème : l’Europe se confond dans le « bloc occidental » niant ainsi sa propre existence. La réintégration de la France dans l’Otan le confirme.
En matière politique (institutions) ou économiques (crise), chacun se replie, en cas de problème sur son histoire et ses valeurs. Cassez le naturel, il revient au galop.

Tout cela induit une logique du fait accompli et de la fuite en avant au service d’une vision transcendante du projet européen. Le projet européen, non défini, se justifie par le fait qu’on affirme qu’il doit être, sans le moindre début d’une justification. En effet, pourquoi l’Europe des 27 (bientôt 30) serait-elle une construction politique et historique plus pertinente que la Méditerranée, l’Europe carolingienne (beaucoup plus petite), l’Eurafrique chère à Léopold Sedar Senghor et Gaston Deferre ou encore l’espace Europe/Amérique latine (chère à notre ami Cassen dont la rumeur dit qu’il va refonder l’Aéropostale)… ? A propos de transcendance, il n’est sans doute pas indifférent que les fondateurs des communautés européennes soient des croyants (Démocratie européenne)…
Les élargissements sans fin symbolisent bien cette fuite en avant qui crée une situation de fait autobloquante. La construction d’un projet politique devenant de plus en plus problématique à mesure que s’accroît le nombre des parties. C’est pourquoi, selon certains, les Etats-Unis constituent la seule puissance légitime capable de « faire politique ».
La logique du fait accompli rend l’Europe très perméable aux rapports de forces et aux circonstances (monnaie/Allemagne) et donc à l’idéologie dominante.

Ce qu’on appelle la « gouvernance européenne », inscrite dans le traité de Lisbonne (jumeau du traité constitutionnel rejeté) est le condensé de cette logique. Elle traduit la méfiance vis à vis du politique et des peuples (qu’il faut convaincre alors qu’on pas le temps puisqu’il faut être efficace pour construire une Europe qu’on n’a défini’).
La souveraineté populaire n’existe donc que dans la mesure où elle est « validante ». Elle entérine le choix des institutions et des dirigeants. C’est pourquoi, quand un peuple vote mal, on le fait revoter (Irlande). Le reste du temps, on cherche des instruments de légitimation du système concurrent du suffrage universel : experts (y compris les juges), lobbying, société civile, le peuple n’étant in fine qu’un lobby parmi les autres.
La souveraineté populaire n’est pas le principe fondant l’autorité des pouvoirs publics (contrairement à Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948). Cette évolution se retrouve au niveau national (Pierre Rosanvallon vantant les mérites des autorités administratives indépendantes au détriment des instances parlementaires et du jeu politique). L’Europe n’est pas originale de ce point de vue. Sauf que, au contraire de ce qui se passe dans les Etats nations, l’absence de démocratie fait partie des fondations de la construction européenne. Au niveau national, c’est une dérive. Le manque de démocratie fait parti du projet européen en lui-même : Jean Monnet fustigeait les discussions politiques et les nations. Pour lui, la seule nation et le seul Etat souverain qui se justifie est les Etats Unis d’Amérique. Si l’Europe doit devenir une instance politique, elle doit en même temps être atlantique. Souveraineté populaire et souveraineté nationale sont liées.

La souveraineté est perçue de manière négative dans l’Union européenne. Le débat sur le protectionnisme n’en est qu’un avatar. La souveraineté comme la nation sont identifiées à leurs dérives (l’impérialisme et le nationalisme). Edgar Morin l’a démontré malgré lui dans « Penser l’Europe » où il démontre finalement le contraire de ce qu’il veut prouver).
Or la souveraineté n’est-elle pas la condition sine qua non de la politique. Peut-on faire de la politique (au sens civique) si on n’existe pas et si on ne se sent pas exister ? « La souveraineté est le constituant fondamental de toute politique, nullement une orientation idéologique ». selon Philippe Grasset (dedefensa.org)
Ex. Quand l’Europe discute de défense ou de trouver des fonds pour lutter contre la crise, une question est immédiatement et ouvertement posée : qui gère ? C’est-à-dire qui a l’autorité et la légitimité pour ça ? Et on s’aperçoit (ex. crise financière) que personne ne fait confiance à la Commission européenne pour ça ou qu’on regrette plus ou moins les pouvoirs sans contrôle de la Banque centrale européenne (BCE). Et pour la défense, c’est l’Otan, donc la tutelle américaine qui constitue le recours. Dans les dernières crises, y compris la Georgie, c’est la bonne vieille Europe des Etats nations qui a trouvé les solutions.
L’idée d’une Europe puissance - qui est un problème franco-français comme le rappelle Hubert Védrine – reste une vue de l’esprit si l’Europe refuse d’être souveraine. C’est-à-dire d’être. Or, l’Europe s’est construite sur le rejet des deux axes de toute existence : la politique et la souveraineté.
Mais aujourd’hui, la question n’est plus tellement là : elle est de savoir si, en dehors des incantations qui tournent à vide, l’Europe peut exister. Car la souveraineté ne se décrète pas, elle traduit l’aboutissement d’un processus, elle traduit d’avènement d’une légitimité, d’un espace et d’une autorité légitimes. Tout en proclamant parfis – mais toujours de manière abstraite – cette ambition, l’Europe fait tout pour ne pas y parvenir tout en sommant mécaniquement les Etats souverains de ne plus l’être. La politique se vide donc par les deux bouts : absence d’espace public démocratique au niveau européen, destruction des espaces démocratiques aux niveaux nationaux. On évoquait plus haut la transcendance du projet européen ; or la politique comme la souveraineté en sont l’exacte contraire, c’est-à-dire une immanence (quelque chose qui advient).
Note d’espoir constructif : les événements qui s’enchaînent depuis quelques années traduisent une crise de civilisation (crise de légitimité de l’empire américain ; crise économique, etc.) qui pourrait obliger « par la force des choses » à refaire de la politique.