La séparation des pouvoirs menacée par la crise

La séparation des pouvoirs menacée par la crise

Vendredi 19 août 2011, par Anne-Cécile Robert

Réunis pour répondre à la crise financière qui menace, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy proposent la création d’un « gouvernement économique européen » et la généralisation de la « règle d’or » de l’équilibre budgétaire à tous les pays de la zone euro. Cette initiative a été aussitôt commentée : critiquée par le Parti socialiste qui la trouve insuffisante, saluée par Jean-Louis Borloo qui regrette tout de même que ce ne soit « qu’un premier pas », acclamée par le parti présidentiel qui y voit le retour du volontarisme franco-allemand.

Mais, une fois de plus, personne ne s’interroge : les Parlements allemand et français ont-ils été consultés avant que les deux dirigeants formulent ces propositions ? les citoyens habitant la zone euro seront-ils consultés sur ce qui modifierait, d’une manière ou d’une autre, la manière dont ils sont gouvernés ? On sait que la réponse à la première question est non, les assemblées n’étant plus que des chambres d’enregistrement qui ne représentent plus la réalité des sociétés. Quant aux citoyens, le président Sarkozy a dit que l’élection présidentielle trancherait. Autant dire que le consentement des électeurs ne sera guère « libre et éclairé » tant ce scrutin est un fourre-tout parasité par des questions personnelles et des jeux médiatiques sur fond de sondages douteux.

Que reste-t-il du principe de séparation des pouvoirs, fondement des démocraties modernes et inscrit à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? Les exécutifs agissent de plus en plus comme des PDG d’entreprises qui informent leur conseil d’administration (les Parlements) tandis qu’ils s’occupent, eux, des affaires « sérieuses ». De législateurs, les Parlements sont devenus, selon les manuels de droit, des assemblées de « délibération et de contrôle » dans la seconde moitié du XXe siècle. Aujourd’hui, elles ne délibèrent plus guère puisque les enjeux sont ailleurs (à Bruxelles, au FMI, au G20…) et ne contrôlent plus rien. En effet, le mode de scrutin et les institutions soumettent les élus au bon vouloir présidentiel qui adoube les uns ou les autres, fait et défait les fortune, nomme et limoge les ministres. Le consentement des parlementaires n’est dans ce cadre qu’une formalité. Les humoristes critiquaient la « cour » qui entourait le général De Gaulle – qui ne portait pas les partis politiques dans son cœur – mais, au moins, le Général respectait-il les électeurs puisqu’il se sentait contraint de démissionner lorsqu’il perdait un référendum. Coutume qui ne lui a malheureusement pas survécu.
La technicité des affaires et la nécessité « d’aller vite » imposeraient, disent les doctes commentateurs médiatiques, de renforcer les pouvoirs exécutifs. Comme si les affaires n’étaient pas techniques avant guerre ! comme s’il était impossible de prendre 6 mois pour débattre en assemblée de réformes qui engagent souvent l’avenir de plusieurs générations (santé, justice, etc.). On voit bien que ces arguments sont idéologiques et destinés à nous faire accepter la remise en cause puis la disparition de nos droits fondamentaux, au premier rang desquels celui de choisir et de contrôler ceux qui nous gouvernent.

Il est vrai que le suivisme des élus, souvent adoubés par les appareils politiques en récompense de leur esprit conforme et servile, laisse peu espérer du respect du principe de séparation qui changerait sans doute peu de chose au sort de populations bien mises à l’épreuve. Cela ne fait que confirmer que le mal qui ronge nos démocraties est général et profond. Aucune institution n’est en mesure aujourd’hui de remplir correctement le rôle que la démocratie lui assigne au nom de nos libertés. Le président ultra-préside comme un monarque à peine éclairé, le gouvernement est réduit au statut de collaborateur du chef de l’Etat, la représentation nationale ne représente plus rien. Alors, la séparation des pouvoirs dans tout ça… C’est bien pourquoi, la nécessité de réclamer l’élection d’une Assemblée constituante chargée de remettre la République sur pied s’impose de plus en plus. En effet, il ne s’agit plus de bricoler (la Constitution s’est vu appliquer 28 grosses rustines depuis son adoption en 1958) mais d’une refondation d’ensemble de notre démocratie.