Après les élections sénatoriales, le débat sur les institutions s'impose encore plus.

Après les élections sénatoriales, le débat sur les institutions s’impose encore plus.

Lundi 26 septembre 2011, par Association pour une Constituante

Chaque élection apporte son lot de remises en cause. Les sénatoriales n’échappent pas à la règle. Ce n’est pas une surprise pour l’Association pour une Constituante. Au delà de l’effet mécanique du résultat des élections locales, nous avions d’ailleurs indiqué à quel point les lois territoriales étaient néfastes pour les collectivités locales. Nos tracts avaient eu un écho certain aussi bien lors de l’assemblée des maires de France que lors de la réunion des présidents de Conseils généraux.

L’élection sénatoriale est donc une occasion d’approfondir la réflexion sur les institutions. Notre Association ne prend pas position sur la future Constitution, mais elle est un lieu d’expression des positions, parfois contradictoires, souvent divergentes. C’est dans cet esprit que nous publions ci-dessous le texte de Martine Boudet, professeure agrégée de Lettres modernes, sur le rôle et la place des régions. Nous souhaitons qu’il participe à créer le débat autour des questions fondamentales qui doivent dessiner l’avenir de notre pays.

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Texte de Martine Boudet
Pour la création d’une assemblée des régions

I- La crise du système politique français

C’est bien connu, la raison principale de la dégradation de la vie politique réside dans la perpétuation d’un mode de gouvernance centralisé et autoritaire, cela au service des marchés. Ce monarchisme républicain est renforcé du fait d’une autre dérive du système national, l’individualisme atomisant. La crise de transmission des valeurs que vit l’Ecole, orientée jusqu’à présent sur « l’élève au centre des apprentissages », révèle les limites de ce modèle. En effet, autant cette conception a pu favoriser l’autonomie des personnes, autant à l’heure néo-libérale et en l’absence de contrepoids suffisant, elle se révèle contre-performante.

Censé remédier aux problèmes sociétaux, le débat sur l’identité nationale ou dernièrement sur la laïcité, tel qu’engagé par les pouvoirs publics, en est resté à une vision centralisée du patrimoine national, ignorant les réalités linguistico-culturelles pourtant répertoriées depuis 2009 dans la Constitution, celles des régions historiques et des DOM-TOM...Ce déni s’inscrit dans une tendance lourde à la séparation de l’exercice des pouvoirs centraux de celui des collectivités territoriales, des questions métropolitaines de celles des DOM-TOM. Ainsi, à l’occasion des élections de 2010, a été souligné le peu de visibilité des équipes régionales : l’ARF (Association des régions de France) qui représente les présidents des régions, est inconnue de l’opinion. Combien de métropolitains connaissent par ailleurs l’histoire tourmentée et la riche littérature des DOM-TOM ou le parcours de leurs représentants, Aimé Césaire, Jean-Marie Djibaou, Françoise Vergés, Oscar Témarou, Elie Domota...? Quant aux banlieues dont certaines basculent dans un no man’s land républicain, devenant des lieux de relégation des plus défavorisés et des maffias locales, se pose aussi la question d’une meilleure représentation de leurs instances, pour leur pleine intégration dans la communauté nationale.

II- Le contre-pouvoir exercé par les territoires dans l’UE et en France

Cela dit, malgré leurs limitations actuelles et à rebours du passif féodal qui était le fait des provinces sous l’Ancien régime, les collectivités territoriales -régions, cantons, municipalités- ...constituent un contre-pouvoir important à la politique menée par l’exécutif. Singulièrement depuis 2004, date du basculement de la quasi-totalité des régions à gauche et dans l’opposition au sarkozysme, sous l’influx également du sursaut progressiste espagnol qui mit fin à la gestion atlantiste et belliciste d’Aznar peu auparavant, à l’époque de la guerre en Irak.

« Depuis qu’elle a repris l’Elysée à la gauche, en 1995, la droite a subi comme autant d’échecs la plupart des élections locales. Ces défaites répétées ne l’ont pas empêchée de conserver le pouvoir, mais elles ont peu à peu sapé ses assises territoriales, jusqu’aux plus anciennes, œuvrant lentement à l’effondrement d’un édifice : entre 1998 et 2010, la droite a perdu, en métropole, 744 cantons, 34 départements et 18 régions ».

Si le pouvoir central est historiquement dominé par les droites en France, les conquêtes démocratiques dans le domaine de la gestion territoriale sont le fait des gauches : loi sur la départementalisation à l’initiative d’Aimé Césaire élu martiniquais, votée en 1946 et qui octroya aux territoires colonisés des outre-mers le même statut que celui des départements de l’hexagone ; loi sur la décentralisation à l’actif de Gaston Deferre maire de Marseille et votée en 1982. Le principe de la "diversité" a été acquis suite au « mai 68 des banlieues », les émeutes de 2005 ayant été les plus violentes commues dans le cadre de l’Union européenne au cours des dernières décennies.

Concernant la gestion territoriale, cette évolution se manifeste dans de nombreux pays européens et voisins de la France, qu’ils soient fédéraux (Allemagne, Belgique, Suisse, …) ou décentralisés (Espagne, Royaume uni, Italie...). La représentation des régions à l’échelle nationale y est un fait sous une forme ou une autre, que ce soit par l’existence d’une deuxième chambre qui cohabite avec la chambre des citoyens (Chambres des Communes ou chambre basse au Royaume uni qui jouxte la chambre des Lords, Bundersrat allemand parallèlement au Bundestag....) ou par l’intégration des partis régionalistes dans une chambre unique (Cortés espagnols). De même qu’à l’échelle de l’UE, sous la forme d’organismes interrégionaux à caractère consultatif, le Comité des régions (CdR) ou l’Assemblée des régions d’Europe (ARE) qui évoluent aux côtés du Parlement européen et de la Commission. Ces institutions promeuvent une coopération interrégionale et décentralisé, favorisée par le caractère transfrontalier de nombreuses régions européennes.

III- La guerre des cultures : pour la promotion de l’interrégionalité et d’une francophonie de progrès

Au-delà de la gestion des affaires politiques, il y a en effet un enjeu culturel. Le « choc des civilisations » ne concerne pas uniquement les pays les plus fragilisés économiquement tels les pays du Sud précités. Face à la pression exercée par la culture anglo-américaine, en particulier sur les jeunes générations, il est important de renforcer la transmission des patrimoines acquis par l’histoire, pour leur pérennisation. En tout état de cause, du fait des abus du technoscientisme et du technocratisme, de la dégradation de la vie psycho-sociale et du maintien d’une partie de la jeunesse dans une sous-culture atlantiste appelée culture people, le relais est loin d’être assuré. L’hégémonie grandissante de l’anglo-américain comme langue scientifique, commerciale, diplomatique... fait peser de graves menaces sur l’avenir du français, langue de l’unité républicaine.

Dans ces conditions, la représentativité des citoyens ne peut être définie sur le seul principe de la responsabilité individuelle et d’une juxtaposition d’élus, par exemple sur le mode du tirage au sort, même sous une forme qui garantisse l’égale représentation des différentes catégories sociales. Si éduqués soient-ils, les individus ne peuvent assumer à eux seuls la complexité des enjeux socio-culturels et philosophiques, ceux-ci étant véhiculés par des forces collectives d’envergure : nations ou nationalités, traditions élitaires ou populaires, arts, mythologies et religions....La profonde démoralisation des citoyens, qui se traduit par le désengagement ou la perte croissante des liens socio-professionnels, syndicaux, associatifs, partidaires, familiaux...ne pourra être enrayée que par des stratégies solidaires et des dynamiques fraternitaires de grande ampleur, qui relient les individus aux collectifs ainsi que les collectifs entre eux. C’est à un paradigme de cet ordre que la « mondialisation des peuples » (ou altermondialisation) convie les citoyens, paradigme qui correspond finalement à l’étape superstructurelle théorisée par le marxisme.
Aux acquis spécifiques des démocraties politique et sociale, s’ajoutent donc les droits émergents de la démocratie culturelle. Dans les DOM-TOM, les Etats généraux qui ont résulté de la grève générale à l’initiative du Lyannaj guadeloupéen ont mis à l’ordre du jour la question de l’inculturation des DOM-TOM, stratégie devant pondérer la contestable politique métropolitaine d’assimilation. Dans les banlieues, le choc des civilisations donne lieu à un intense travail de la part de la société civile pour retisser des liens sociaux respectueux des cultures et des individualités qui les portent.

IV- Pour la création d’une assemblée des régions et d’un institut de la Francophonie

Comme le montre le basculement du Sénat à gauche, la stratégie gagnante réside dans un décentrement salutaire à l’égard des instances conjuguées du pouvoir et de l’argent ; cela de manière à rééquilibrer les relations entre capitale et territoires, entre métropole et DOM-TOM, entre monde rural et monde urbain, entre sciences et cultures, entre individu et collectivité. Suite à la départementalisation des territoires d’outre-mer (1946), à la décentralisation des pouvoirs territoriaux à l’échelle des régions (1982) et à l’instauration du principe de diversité pour la réhabilitation des banlieues, serait bienvenue une réforme du Sénat, qui transformerait cette chambre de notables provinciaux en une assemblée des représentants des territoires et plus particulièrement des régions. Cette élaboration parachèverait le long processus d’émancipation du peuple-nation à l’égard des dérives autoritaires de l’Etat central, tout en cultivant le principe d’unité républicaine cher au pays. Aux côtés d’un Parlement lui -même démocratisé comme Assemblée de citoyens porteurs du débat d’idées sociétal, une assemblée des régions serait représentative des forces vives territoriales ancrées sur plusieurs continents et parties du monde. Elle favoriserait des médiations précieuses entre citoyens et pouvoirs centraux de même que la coopération interrégionale. Ce faisant, une telle institution permettrait de résister plus efficacement à la déferlante des marchés et de leur médiatisation ainsi qu’à la constitution d’une oligarchie politico-financière au sommet de l’Etat.

En complément de ce dispositif, la création d’un institut interdisciplinaire et interculturel de la Francophonie contribuerait à pondérer l’hégémonie anglo-américaine, par la réhabilitation des relations de la France avec les peuples et nationalités notamment du Sud ainsi que de leurs langues-cultures. Ces formes instituées de dialogisme fraternitaire sont autant de conditions à l’émergence d’ un « altermondialisme intérieur », reflet du monde multipolaire en construction et à la réhabilitation, ce faisant, du jeu démocratique dans notre pays.


[1]www.arf.asso.fr

• L’Assemblée des régions de France (ARF) est une force de proposition pour l’ensemble des Régions auprès du Gouvernement, du Parlement, et de tous les réseaux de dimension nationale susceptibles de travailler en partenariat avec les régions.

• Elle fait connaitre au Gouvernement la position des conseils régionaux sur les politiques publiques et les textes qui concernent les compétences et les activités des Régions. Elle entretient des relations étroites avec les parlementaires afin que l’avis des Régions soit pris en compte dans les travaux législatifs.

• L’ARF représente et promeut aussi les Régions et leurs actions auprès des institutions européennes (Commission européenne, Parlement européen, Comité des Régions…).
[4]www.cor.europa.eu/

Le Comité des Régions est l’assemblée des représentants locaux et régionaux (collectivités territoriales) de l’Union européenne, créée suite au Traité de Maastricht, le 9 mars 1994.

[5]www.aer.eu/fr/: