5 mai 1789 - 5 mai 2009

5 mai 1789 - 5 mai 2009

Jeudi 28 mai 2009, par Anne-Cécile Robert

5 mai 1789-5 mai 2009

Il y a deux cent vingt ans, à Versailles, s’ouvraient les Etats généraux, prélude à la Révolution française. Louis XVI avait convoqué cette assemblée exceptionnelle car le Royaume était confronté à une grave crise budgétaire. Seuls les Etats généraux - qui ne s’étaient pas réunis depuis 1614 - avaient le pouvoir d’imposer aux privilégiés les réformes (notamment fiscales) nécessaires. Mais au-delà des problèmes financiers, la réunion de 1789 va consacrer un changement politique majeur : le passage de la souveraineté royale à la souveraineté du peuple.
Déjà les cahiers de doléances, rédigés dans le cadre des assemblées électorales, montrent que les Français aspirent dans leur ensemble, à la liberté individuelle ainsi qu’à la suppression des droits seigneuriaux et de la dîme (impôt d’Église). Ils souhaitent une limitation des pouvoirs du roi. Signe de la détermination de la population, les électeurs continuent de se réunir après les opérations de vote et suivent l’évolution des débats à Versailles grâce aux messagers qui parcourent le royaume. Un bras de fer commence rapidement entre Louis XVI et les délégués, au cours duquel le Roi, arc-bouté sur son pouvoir absolu, va perdre bataille sur bataille et d’abord la confiance de son peuple, initialement attaché à sa personne et à l’institution qu’il représente.

Les Etats généraux devaient se réunir par ordres (clergé, noblesse, tiers état) composés d’un nombre égal de délégués, ce qui ne reflétait évidemment pas le rapport réel entre ces trois catégories sociales (le tiers-état représentait en fait 97% de la population). Avant le 5 mai, le tiers obtient du ministre Jacques Necker le doublement de ses élus. Puis, des dissensions éclatent sur la manière de voter. Le clergé et la noblesse souhaitent que le vote ait lieu par ordre, ce qui leur assure la majorité (2 contre 1) ; le tiers état réclame le vote par tête, ce qui lui assurerait l’égalité. Le 10 juin, à l’initiative de Sieyès, les députés du tiers états invitent ceux des autres ordres à se joindre à eux. Progressivement, des représentants du clergé répondent à leur appel, constituant ainsi une majorité des députés. Le 19 juin, ceux-ci se proclament Assemblée nationale et le 20 juin (serment du jeu de paume), jurent de ne pas se séparer avant d’avoir donné une Constitution à la France. Dans l’esprit des Lumières, la Constitution est le pacte des peuples libres. Le 23 juin, Louis XVI ordonne aux députés de retourner siéger par ordres et tente de casser les décisions de la « prétendue Assemblée nationale ». Une fois le roi parti, le marquis de Dreux Brézé essaie vainement de faire obtempérer les députés. Si la réponse de Mirabeau est restée célèbre (« Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous ne quitterons nos places que par la force des baïonnettes ! »), celle de Bailly semble encore plus significative : « Je crois, monsieur, que la Nation assemblée n’a d’ordre à recevoir de personne ». Elle exprime en effet une révolution politique : le pouvoir a changé de mains.

Le roi capitule le 27 mai : « Eh bien, dit-il, s’ils ne veulent pas s’en aller, qu’ils restent ! » Il ordonne aux privilégiés des deux autres ordres de se joindre au tiers, en une assemblée unique. Celle-ci se proclame « Assemblée Constituante » le 9 juillet suivant et commence donc l’élaboration de la Constitution.

Avec la prise de la Bastille le 14 juillet de la même année, ces événements marquent l’entrée du peuple dans l’histoire : il devient acteur de son destin et accède à la souveraineté. Ils rappellent que les décisions les plus importantes qui régissent une communauté politique ne peuvent être prises que par des représentants légitimes et reconnus comme tels. En 1789, l’aristocratie et le roi avaient perdu cette légitimité. La crise financière de 1788-1789 n’a fait que révéler une perte d’autorité latente depuis des décennies.

Il est frappant de constater, deux siècles plus tard, qu’une crise semblable de légitimité affecte les dirigeants français, comme leurs homologues occidentaux, sur fonds de crise économique et financière. Symbole de cette crise de légitimité : 93 % des élus avaient ratifié le traité constitutionnel européen que 55% des Français rejetèrent le 29 mai 2005. Et comme en 1789, les dirigeants se refusent à imposer aux privilégiés les réformes (notamment fiscales) indispensables au renouveau des finances publiques, à la relance de l’économie et à la protection sociale. A l’image des Etats généraux de 1789, élus par tout le pays, une assemblée constituante élue au suffrage universel direct est nécessaire pour débloquer la situation politique.