Les politiques et médias ou le niveau zéro de la pensée

Les politiques et médias ou le niveau zéro de la pensée

Mercredi 29 août 2012, par Anne-Cécile Robert

Anne-Cécile Robert, Vice-Présidente de l’Association pour une Constituante, s’inquiète ci-dessous et avec des exemples bien concrets de la dilution de la pensée politique face à des médias consternants.

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Comment expliquer que des responsables politiques, a priori sérieux, se prêtent aux pratiques médiatiques les plus indigentes ? Quelques exemples parmi d’autres : Benoît Hamon (ministre socialiste) et Chantal Jouanneau (ex-ministre de Nicolas Sarkozy) s’affrontant dans un jeu télévisé - basé sur leurs vies privées - sous la houlette de Thierry Ardisson ; Jean-Marc Ayrault, à peine nommé Premier ministre, se promenant - très naturellement - main dans la main avec sa femme dans les rues de Nantes au milieu d’une forêt de caméras ; François Bayrou en promenade sur un tracteur ; Jean-Luc Melenchon racontant sa vie dans Gala et dans Voici ; Olivier Besancenot sur le canapé de Michel Drucker ; et on ne parlera pas de Nicolas Sarkozy dont on sait qu’il a fait de sa vie personnelle un show permanent…

Les mêmes personnes déplorent souvent que la parole politique soit dévaluée, que les responsables publics aient perdu leur crédibilité, etc. D’aucun y verrait un lien (même si ce n’est pas la seule explication, évidemment) avec ce qui précède. Pas eux. Ils trouvent normal de répondre à la moindre sollicitation médiatique, même dans les circonstances les plus inconfortables. Ainsi, sur le bord d’un trottoir, on répond à une question sur la guerre en Syrie ; on commente le déficit budgétaire en montant en voiture ; on glose sur la crise sociale entre un chanteur et une vedette de téléréalité sur le plateau d’un talk show…

Tout ça n’est pas neuf. Certes. On se souvient de Ségolène Royal à la maternité en 1992 ou de Valéry Giscard d’Estaing jouant de l’accordéon (Jean-François Copé, c’est le piano) ou encore de Lionel Jospin entonnant (faux) les feuilles mortes dans une émission de variété… Ce n’est pas neuf mais cela devient systématique. Et surtout, cela se développe sans susciter de réflexions critiques de la part des intéressés, quelles que soient leurs opinions politiques. Lorsqu’on les interroge, ils répondent tous la même chose : aujourd’hui « on ne peut pas se passer des médias », il faut « jouer le jeu », cela permet de « toucher le plus grand nombre de gens possible », etc.

On est frappé par l’abdication de la pensée que représente des phrases aussi convenues et simplistes, sans compter le mépris sous-jacent qu’elles révèlent pour les électeurs. Ceux-ci sont supposés préférer connaître le plat préféré d’un député plutôt que de savoir ce qu’il pense vraiment du dernier traité européen. A l’heure de la crise de l’euro, est-ce aussi sûr ? L’incapacité ou le refus de penser le rapport aux médias est encore plus frappant de la part de ceux qui prétendent lutter contre le « grand capital » ou les rapports de domination dans la société. Apparemment, leur réflexion s’arrête à l’entrée des studios de télévision…

On aimerait au moins entendre les responsables politiques se poser quelques questions. Par exemple :

- intervenir dans la presse, certes, mais pourquoi ne pas poser de conditions ? Par exemple, pouvoir s’exprimer sans être interrompu tous les deux mots par des animateurs en surnombre (Le Grand journal de Canal +) ; demander la liste des invités afin de ne pas se retrouver à parler de choses graves entre deux artistes en tournée promotionnelle ?

- répondre aux questions, d’accord, mais en marchant sous la pluie dans une rue encombrée de véhicules bruyants, est-ce le meilleur moyen de se faire comprendre ?

- passer à la télé, pourquoi pas, mais chez un animateur d’extrême droite (Thierry Ardisson), est-ce bien nécessaire ?

- suis-je obligé d’aller au très réactionnaire journal de TF1, par exemple ? Ne pourrais-je pas privilégier la presse indépendante quand j’ai quelque chose à dire…

- parler de soi, pourquoi pas, mais parler de sa vie sexuelle (Michel Rocard chez Ardisson toujours), cela intéresse-t-il vraiment les gens ? Il y a vingt ans, Danielle Mitterrand avait tranquillement déjoué les questions personnelles d’une journaliste en répondant toujours en prenant sa fondation en exemple.

Une relation normale entre les politiques et les médias n’imposerait-elle pas qu’on définisse des règles du jeu ? La dignité du débat public ne nécessiterait-elle pas qu’on pose des limites à certaines pratiques ? Un peu de pensée, juste un peu de pensée, cela ferait sans doute du bien à une démocratie dont les citoyens commencent à douter.

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