Vive le suffrage universel ! Entretien avec André bellon.

Vive le suffrage universel ! Entretien avec André bellon.

Jeudi 15 novembre 2012, par John Groleau

Cher(e)s ami(e)s,

Vous trouverez ci-dessous le texte d’un entretien que j’ai conduit avec André Bellon et que vous pouvez retrouver sur

http://www.lecanardrépublicain.net/spip.php?article623

John Groleau

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Après Besançon, une nouvelle intervention d’Étienne Chouard a été annulée cette fois-ci à Toulouse [1] du fait des liens supposés de celui-ci avec l’extrême droite. Dans ce contexte, j’ai jugé utile d’interroger André Bellon, Président de l’Association pour une Constituante (www.pouruneconstituante.fr), qui, dès mai 2009 [2], s’est opposé aux thèses d’Étienne Chouard favorables au tirage au sort et a refusé les dialogues publics avec ce dernier sur ce sujet. J.G.

J.G. [3] : Certaines réunions dans lesquelles devait intervenir Étienne Chouard ont été annulées du fait de ses liens supposés avec l’extrême droite et constatés en particulier sur son site Internet. Qu’en pensez-vous ?

André Bellon : Les liens sur son site sont là depuis longtemps et certains de ceux qui les découvrent aujourd’hui avaient simplement décidé jusqu’alors de ne rien analyser et donc de ne pas se poser de questions. Pour beaucoup, Chouard était un homme de gauche depuis qu’il avait publié un texte, d’ailleurs très intéressant, appelant au Non lors du référendum de 2005, texte qui avait donné lieu à un important soutien de presse, bien supérieur à celui donné à d’autres comme Yves Salesse. Par ailleurs, sa campagne en faveur du tirage au sort et contre le suffrage universel a suscité, depuis quelques années, un engouement improbable. Du coup, beaucoup utilisaient son image et son audience sans plus se poser de questions.

Ainsi, vous semblez considérer qu’il n’est pas de gauche ?

Les qualifications politiques sont assez compliquées et l’Histoire prouve les difficultés d’analyses en la matière. Je dirai que, par-dessus tout pour moi, la gauche croit en l’Humanité, en sa capacité d’action sur la vie, en la maîtrise par l’Homme de son propre destin. Le principe du suffrage universel est une traduction de cette philosophie humaniste dans la vie publique ; le tirage au sort, c’est le contraire.

S’agissant des rapports entre Chouard et certains groupes de Gauche qui ont participé à sa promotion, il y a donc deux ambiguïtés : d’abord par rapport à la démocratie, les positions de ces groupes nous ramenant à des discours datant d’un siècle contre le suffrage universel, discours qu’avait d’ailleurs, à l’époque, dénoncés Jaurès ; ambiguïté ensuite de ceux qui considèrent qu’il suffit de soutenir certains thèmes pour être qualifiés de gauche : dénonciation des banques, non au Traité Constitutionnel européen,… Or, ces thèmes amalgament des citoyens au delà des frontières politiques habituelles. Le Non au référendum de 2005, par exemple, rassemblait non pas la Gauche ou une fraction de celle-ci, mais la majorité du peuple français. C’est pour cela d’ailleurs que le slogan du « candidat du non de gauche » à la présidentielle de 2007 n’avait pas de valeur opératoire. Il aurait fallu, après le référendum, des slogans rassembleurs (démission de Chirac, dissolution de l’Assemblée nationale, Appel à une Constituante,…).

Oui, mais où situez-vous Chouard ?

Il semble se révéler comme n’étant pas conforme à l’image que certains avaient voulu construire de lui. Mais c’est le problème de ceux qui ont construit et valorisé cette image. Ils ont, en l’occurrence, pour des citoyens qui se veulent démocrates, commis deux fautes bien courantes dans la période que nous traversons. D’abord, le besoin d’icones, besoin contradictoire à toute pensée humaniste. Ensuite, le soutien au thème central du discours de Chouard, à savoir le tirage au sort. Je ne sais où est la pensée politique de Chouard qui, lorsqu’on recolle les morceaux, m’a l’air assez confuse. Mais, ce que je sais, c’est que la lutte contre le suffrage universel est profondément antihumaniste, contre-révolutionnaire et contraire aux principes démocratiques.

Et pourtant, les apôtres du tirage au sort s’appuient sur la période dite démocratique à Athènes…

Je sais que tout un discours s’est développé, en particulier du fait de Chouard, pour assimiler démocratie athénienne et tirage au sort. C’est, a minima, une lecture complaisante et bien peu sérieuse de l’Histoire. Reprenez les interventions de l’historienne Florence Gauthier sur ce sujet. Sous forme de boutade, je dis toujours que, si les responsables athéniens étaient tirés au sort, Périclès qui est resté plus de trente ans au pouvoir à Athènes a eu tort de ne pas jouer au loto. Quelle veine il avait !

Alors, quand même, pourquoi le succès de ce thème et des conférences de Chouard ?

Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que la vie publique est en crise profonde, que la « démocratie » est dévoyée, que des « représentants » sans contrôles en cours de mandat ne représentent pratiquement plus le peuple, que la souveraineté populaire est bafouée, en particulier après le référendum de 2005. Face à ces faits, s’est développé un rejet malheureusement légitime non seulement des élus tels qu’ils sont aujourd’hui autant que des institutions qui détruisent la démocratie qu’elles prétendent incarner, mais du fondement même de ce qui fait la substance de la démocratie, c’est-à-dire le suffrage universel. Or, celui-ci est, en France, le résultat du combat du peuple, marqué en particulier par le renversement de la monarchie le 10 août 1792, évènement qui affirma la souveraineté populaire, donc le rôle fondamental de la volonté du citoyen, de sa capacité à comprendre individuellement et à agir collectivement. Ceux, donc, qui utilisent l’égalité « suffrage universel = formes démocratiques actuellement perverties » sont inconscients de leur grave responsabilité : en assimilant la caricature de démocratie qui opprime la liberté aujourd’hui et le principe même du suffrage universel, ils font le jeu de ceux qui désirent, sans le dire, détruire les fondements de la démocratie qui gênent leurs intérêts particuliers et leur vision du pouvoir, ceux qui veulent officialiser le totalitarisme. C’est l’humanisme lui-même qui est ici en jeu.

Est-ce pour cette raison que vous avez toujours refusé de débattre avec Chouard sur ce sujet ?

Si j’admettais que l’Humanisme doit donner lieu à débat, j’admettrais déjà qu’il n’est plus fondamental, qu’il est une option parmi d’autres. Si je débattais du principe même du suffrage universel, je dis bien de son principe et non pas de ses manipulations antidémocratiques, j’accepterais déjà l’idée qu’il n’est qu’un moyen technique parmi d’autres et non pas un principe de la liberté individuelle et de la souveraineté collective. Si nous avions le temps, je vous citerais de très belles pages de Jaurès qui vont dans le même sens.

Alors, ceux qui invitent Chouard à débattre sur cette question sont-ils, quant à eux, démocrates ou pas ?

Pourquoi cette question ? Analysons plutôt les raisons de leur attitude. Devant la crise politique profonde, nous cherchons tous et chacun peut se tromper de chemin. C’est justement pour cela qu’il faut, à mon sens, se garder des idées simplistes comme le tirage au sort. Il faut réfléchir à deux fois avant de céder aux idées qui suscitent des enthousiasmes immédiats.

Comme dit Régis Debray, « à force de toujours vouloir prendre le premier train qui passe, on risque de se tromper de quai ».

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