Le juste prix

Le juste prix

Mercredi 14 juin 2017, par André Bellon

En l’honneur d’un nouvel élu, nous reproduisons l’article ci-dessous publié en 2013.

***


Cédric Villani, mathématicien français, lauréat de la prestigieuse médaille Field - l’équivalent du prix Nobel pour les mathématiciens - a déclaré, dans le blog du Nouvel Observateur, qu’il voulait s’impliquer en politique pour défendre et promouvoir l’Union européenne et l’option fédéraliste pour celle-ci. La preuve même qu’il s’agit là de la bonne piste, a-t-il déclaré, est la découverte de la nouvelle particule appelée Boson de Higgs. Celle-ci symbolise, a-t-il ajouté, la réussite de l’Union européenne, la nécessité d’une Europe fédérale, celle qui réussit et qui gagne. Pourquoi ? Parce que c’est grâce au CERN (Centre Européen de Recherche Nucléaire) qu’a été faite la découverte.

On pourrait penser que, tel le savant Cosinus, notre mathématicien est un peu dans la lune. Il lui a, en effet, apparemment échappé que le CERN fut une création intergouvernementale -comme aussi l’Airbus- et qu’il n’est donc pas le produit de l’Union européenne ; il n’a sans doute pas non plus remarqué que le CERN est situé en Suisse, pays qui n’est justement pas membre de l’Union européenne et qui a toujours refusé d’en faire partie. Il fait donc allégrement le pas entre projets intergouvernementaux et fédéralisme de l’UE. Le Boson de Higgs aurait-il des effets politiques considérables sur les esprits les plus éminents ?

La chose serait comique, presque sympathique, si elle ne mettait pas une fois de plus en lumière la manière dont le système politique promeut ses idées grâce à l’utilisation de VRP qui, tel notre mathématicien, utilisent leur notoriété acquise sur d’autres terrains pour participer à des propagandes politiques.

Parmi les outils de cette propagande, il nous faut donc noter l’instrumentalisation des prix. Nul n’ignore que le prix Nobel a, pendant longtemps, servi d’instrument dans le cadre de l’affrontement Est-Ouest. L’attribution de celui de la paix en1973 à Henri Kissinger, dont le rôle est notoire dans le coup d’État militaire au Chili contre un régime démocratiquement élu, n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Mais comment ne pas noter combien de nombreuses campagnes, sur des sujets divers, se valorisent par la signature de prix Nobel, sans doute très compétents dans leurs domaines respectifs, mais sans relation avec le problème abordé ? Le label Nobel est censé légitimer une cause et, de ce fait, dévaloriser toute contestation. Du coup, on s’étonnera moins de voir des responsables européens (en particulier un secrétaire général du Conseil de l’Europe, présidant par ailleurs le jury du prix Nobel de la paix), attribuer cette récompense à l’Union européenne elle-même. On n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Mais les prix nationaux ne sont pas en reste. Dans l’année 2010, on a vu se développer, sous l’impulsion de responsables de l’UMP, en particulier Christian Estrosi, maire de Nice, une campagne pour la réhabilitation de Napoléon III. Dans ce moment d’échanges souvent inattendus, n’a-t-on pas vu un prix Goncourt, Didier Van Cauwelaert, commettre un article (le Point - 12 août 2010) pour expliquer que le coup d’État du 2 décembre 1851 ne fit « que » 400 morts (chiffre qu’on croirait sorti des bureaux de la Préfecture de police napoléonienne) et que le gouvernement napoléonien avait heureusement développé les chemins de fer (qui ne l’avaient pas attendu pour cela) et même le papier hygiénique. Certes, M.Van Cauwelaert est niçois, mais cela n’excuse pas tout.

Une chose étonnante lorsqu’on rapproche les prise de postions de personnages aussi différents que Van Cauwelaert ou Cédric Villani est que la nature des régimes, le souci de la démocratie, ne les tracassent apparemment pas. Le système réalise des projets scientifiques et techniques merveilleux, donc il est bon. La notion de progrès n’a plus, semble-t-il, pour eux, de fondement humaniste.

Finalement, les lauréats semblent souvent appartenir ou se soumettre à la pensée d’un petit milieu bien étriqué qui s’autoproclame et s’autocongratule.
Enfin… la réussite humaine n’a pas de prix !