Risque constitutionnel
Vendredi 28 février 2014, par
« Le gouvernement estime qu’introduire cet amendement dans la loi porterait un risque constitutionnel et ne veut pas prendre ce risque, il a donc décidé aujourd’hui de supprimer cette décision. L’amendement ne figurera donc pas dans la loi, qui sera votée la semaine prochaine. » explique la députée socialiste Annick Girardin (BFM TV, 13 décembre 2013). L’élue fait allusion à l’amendement soumettant les clubs basés à l’étranger à la fameuse taxe à 75%. Cet amendement avait été voté à l’unanimité en décembre 2013, mais avec un avis défavorable du gouvernement. Finalement, M. Jean-Marc Ayrault est parvenu à faire reculer les élus de sa majorité qui invoquaient pourtant la nécessaire recherche d’équité et de justice dans cette mesure fiscale.
« Risque constitutionnel » ? La formule est pour le moins étrange. Depuis quand, en effet, la Constitution constitue-t-elle un risque ? N’est-il pas entendu qu’elle constitue une garantie pour la démocratie. En effet, depuis les Lumières, l’adoption de Constitutions approuvées par le peuple formalise le contrat social entre les élus et leurs mandants, entre les dirigeants et les administrés. La « loi fondamentale », comme on dit en Allemagne, définit le fonctionnement des pouvoirs publics (les pouvoirs de l’exécutif et du législatif notamment) mais surtout une hiérarchie des normes. La Constitution est la norme de laquelle procèdent toutes les autres normes. En France, elle est appuyée sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui figure dans son préambule au même titre que les principes de la Constitution de 1946 issus du Conseil national de la Résistance. On y trouve en particulier le principe de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance de l’autorité judiciaire, les fonctions du Parlement et celles du Président.
L ‘adoption des Constitution représente une victoire contre l’arbitraire des pouvoirs qui fonctionnent sans règles écrites. Les lettres de cachet de l’Ancien Régime symbolisent l’injustice et l’insécurité de tels systèmes où les pouvoirs publics n’ont d’autres juges qu’eux mêmes. En Angleterre, la Constitution n’est pas formellement écrite, mais elle est constitué de textes et de coutumes confirmées par la pratique, sous le contrôle du Parlement qui, selon le dicton local, « peut tout sauf changer un homme en femme ». C’est une victoire de la démocratie que d’avoir obtenu que le peuple valide les règles fondamentales régissant la dévolution du pouvoir et le fonctionnement des institutions.
Voir la Constitution comme un risque symbolise un renversement des valeurs et des modes de pensées. L’impératif technocratique impose en effet de petits calculs destinés à anticiper une éventuelle censure du Conseil constitutionnel. Le devoir de respecter le contrat adopté par les Français à l’automne 1958 passe au second plan. L’évolution de la construction européenne accentue cette dérive qui fait de la « loi fondamentale » un chiffon de papier : lorsqu’un traité, signé par les chefs d’Etat et de gouvernement, se révèle contraire à la Constitution, c’est cette dernière qu’on modifie afin de mettre les deux textes en conformité. Le traité est souvent adopté sans l’aval les peuples, comme l’a souligné l’adoption scélérate du traité de Lisbonne. C’est pourtant lui qui, de facto, l’emporte sur la Constitution choisie par les citoyens. Et on ne peut guère compter sur le Conseil constitutionnel pour protéger les droits souverains du peuple français. Contrairement à son homologue allemand de Karlsruhe qui dénonce franchement le « déficit démocratique », la haute juridiction française ne trouve quasiment jamais rien à redire. C’est une instance finalement assez politicienne, composée par les présidents de la République, du Sénat et de l’Assemblée. Ses jugements sont variables et souvent très contestables.
Un élu ou un ministre a évidemment tout à fait le droit de ne pas trouver la Constitution à son goût et celle de 1958 suscite à raison de nombreux débats. En revanche, il est de son devoir de la respecter avec scrupule et déférence car elle a été décidée par le peuple. Si l’élu ou le ministre en conteste les principes, il peut toujours demander son changement par une l’élection d’une Assemblée constituante.