Réflexion sur la Constitution de 1958

Réflexion sur la Constitution de 1958

Vendredi 16 juin 2017, par Denys Renaud

Depuis 1958 nous vivons dans une « monarchie républicaine », selon l’expression avec laquelle le juriste constitutionnaliste Maurice Duverger désignait la V° République.

Les conditions tout à fait particulières de la naissance de notre actuelle constitution s’estompent ou s’oublient au fil du temps. Il se trouve qu’en 1958, les réseaux gaullistes et l’extrême droite avaient en commun le souhait de renverser la IV° République. Il vont ensemble surfer sur l’agitation des ultras d’Algérie, pour favoriser la crise insurrectionnelle du 13 mai (prise d’assaut du Gouvernement Général à Alger), puis vont ourdir avec des militaires l’opération « Résurrection » réussissant la sécession de la Corse (24 mai) et projetant un débarquement sur Paris. Ce qui, devant la menace d’une guerre civile, amène le gouvernement et l’Assemblée de la IV° République à céder les pleins pouvoirs à De Gaulle, et se dissolvant eux-mêmes ouvrent la voie au régime de la V° République.

Particularité :

=> c’est donc dans la précipitation que fut rédigée la Constitution de 1958 et devant une menace de « putsch militaire », réelle ou supposée qu’elle fut votée par les Français.

Anomalies

1. la loi du 3 juin 58 donne mission au gouvernement de préparer la constitution donc ce n’est pas une « Assemblée Constituante », ayant reçu « mandat » du peuple qui rédige les textes mais un petit comité constitutionnel autour de De Gaulle et de Michel Debré.

2. La rédaction ne s’élabore pas autour de commissions et de débats publics mais dans le secret et l’opacité.

3. la session du Parlement ayant été suspendue dès l’adoption de la loi du 3 juin 58 il n’y aura aucune possibilité d’insérer, des commissions parlementaires dans la procédure d’élaboration de la Constitution.

4. Le principe d’une Constitution veut qu’elles ne soient pas rédigée par ceux-là mêmes qui vont gouverner ce qui fut le cas de celle de 1958.

Le but d’une constitution étant, par principe, de donner une limite et un cadre à l’exercice du pouvoir, de protéger les citoyens contre l’arbitraire et contre l’inclination naturelle à abuser de ce pouvoir de la part de ceux qui le détiennent, de permettre son fonctionnement dans la transparence, le fait d’en confier la rédaction à ceux qui vont l’exercer apparaît comme un non-sens absolu.

Créant un régime parlementaire à exécutif fort (« semi-présidentiel »), voulant en finir avec les « régimes d’assemblée » précédents, il confie à l’exécutif l’initiative des lois et la possibilité de légiférer par ordonnances, réduisant considérablement le rôle du Parlement, lequel soumis à la discipline parlementaire des élus de la majorité va vite se transformer en une simple chambre d’enregistrement.

L’initiative du référendum n’appartient qu’au seul Président excluant toute idée de référendum d’initiative populaire.

La possibilité de déclencher l’article 16 autorise l’attribution de pouvoirs exceptionnels et arbitraires.

Différents amendements successifs vont aggraver ce déséquilibre autour de la fonction présidentielle, quelques exemples :

28 octobre 1962 : l’élection présidentielle se fait désormais au suffrage universel direct

=> renforce la légitimité dont peut se prévaloir la fonction présidentielle.

24 septembre 2000 : loi du quinquennat

=> le rythme plus bref tend à faire tourner toute la vie politique sur l’échéance présidentielle

=> en la couplant avec les élections législatives, le président n’a plus à se préoccuper d’une forme d’échéance-test devant l’électorat en cours de mandat et du risque de devoir cohabiter avec une autre majorité.

23 février 2007 : la qualification de « Haute trahison » pouvant viser le président est supprimée et remplacée par « ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » (article 68 nouveau)

=> renforce l’irresponsabilité et l’impunité de la fonction présidentielle et affaiblit les garanties des citoyens.

Février 2007 : le Président peut désormais prendre la parole devant le parlement

=> ce qui lui confère en même temps le rôle d’un chef de gouvernement.

Différentes pratiques vont encore renforcer ce déséquilibre.

Normalement il revient au Premier Ministre de déterminer et conduire la politique de la Nation, tandis que le Président en définit seulement les grandes orientations, or la réalité de la pratique tend à ce que le premier abandonne au second le rôle qui devrait lui revenir.

L’habitude d’évoquer un « domaine réservé » supposé dévolu au président concernant la politique étrangère et les interventions extérieures ne correspondent pas à un texte défini et permettent à des décisions importantes d’échapper aux citoyens et à leurs représentants. Constitution « prêt à porter » pour le général De Gaulle, dans une période d’exception, les textes de 1958 avec leurs amendements ne sont plus en mesure de répondre aux exigences d’un véritable vie politique dans laquelle les citoyens peuvent aujourd’hui se retrouver, Aussi la mise en place d’une Assemblée Constituante qui restitue une légitimité à nos institutions apparaît aussi urgente qu’indispensable.