Violences Urbaines, émeutes Urbaines, un diagnostic et une politique tronqués…

Violences Urbaines, émeutes Urbaines, un diagnostic et une politique tronqués…

Samedi 5 août 2023, par Thierry Dechaume

Revenir sur les nombreuses causes à l’origine de ce qui s’exprime n’a plus grand intérêt.

D’un point de vue sociale et sociétale, beaucoup de choses pertinentes ont été dites même si les sujets majeurs comme le déni de démocratie et la primauté du modèle économique le priorisant au détriment du vivre ensemble et de la cohésion sur le territoire national ne sont que trop superficiellement évoqués.

Car ce que traduisent les Violences Urbaines c’est l’ampleur des problématiques de la non maitrise d’une cohésion nationale qui, par leurs massifications engendrant la saturation des outils institutionnels, échappent depuis des décennies à toutes les politiques publiques dans lesquelles les plus vulnérables à un contexte et à ses conséquences sont les plus exposés aux risques de déclencher un embrasement.

Les plus vulnérables à ces comportements à risques correspondent à ces profils d’individus qui naissent et évoluent, malheureusement, dans un contexte qui les favorise et qui, bien loin des postures réduisant à la seule responsabilité individuelle, sont les premières victimes de diagnostics et de politiques tronquées qu’aucun financement, aussi vertigineux soit-il, n’a pu réparer les effets.

Et pour cause, ces financements publics déployés en vain n’ont ciblé que des conséquences et non les causes intrinsèques des individus à risques naissant et évoluant dans un environnement de vie les développant.

Selon d’où s’expriment les perceptions, les Violences Urbaines sont perçues soit comme des actes collectifs qui répondent à des exaspérations sociales liées à des relégations, discriminations identitaires, aux races, aux cultures, au mépris de classe, à un rejet de la population historique, soit à une responsabilité parentale éducative déviante, carencée, défaillante, ou à un comportement individuel d’un individu-es conscient de ses actes et qui, dés lors, doit en accepter toutes les conséquences quelles qu’elles soient.

Si telles étaient les causes premières du déclenchement des Violences Urbaines, celles-ci ne s’exprimeraient alors pas tous les dix-huit ans, mais au quotidien. Ce qui est très loin d’être le cas.

Non, les Violences Urbaines sont déclenchées par l’insouciance, la non maîtrise de pulsions, la non conscience des comportements à risques et de leurs conséquences d’un individu qui réagit à des mécanismes intrapsychiques qui lui échappent parce que construits, bien malgré lui, par un environnement dans lequel il se développe et qui l’amène à ces comportements préjudiciables à lui-même et autrui.

Ces profils peuvent s’exprimer très précocement dès la petite enfance.

Grand nombres de professionnels de la petite enfance en contact direct au quotidien avec eux sont en capacités d’exprimer une nécessaire prise en charge permanente pédopsychologique ou pédopsychiatrique difficile à mettre en œuvre tant les PMI (Protection Maternelle et Infantiles) sont à saturations.

Ce jeune auteur d’un refus d’obtempérer a été victime d’une accumulation de facteurs contextuels et environnementaux à risques dont l’un des plus puissant est son rapport au regard des autres jeunes et à sa capacité ou pas d’y réagir sans conséquence pour lui-même et autrui.

Dans le cadre de ce profil d’individus commettant des actes tels qu’un refus d’obtempérer, il n’est pas exclu que si ce jeune avait été seul lors de son contrôle, non accompagné par les deux autres jeunes à l’intérieur du véhicule, son comportement aurait pu être tout autre.

Quant à l’usage de l’arme légitime ou pas du fonctionnaire de Police…

Bien loin de ce qu’il se diffuse dans les imaginaires construisant les idéologies bâties sur nos ignorances, ce n’est pas le juge, ni les magistrats du Parquet, ni l’IGPN, ni les politiques, ni la Police, ni les enquêteurs qui sont les maîtres des investigations mais bien le ou les avocats de la famille, car rien de ce qu’ils exigeront pour rechercher la vérité pleine et entière sur ce qu’il s‘est passé ne pourra être refusé.

Concernant la responsabilité de l’institution Police quant à la formation et tout ce qui est traditionnellement reproché aux policiers, on peut toujours faire mieux mais on peut aussi mieux faire pour que la cause première de ce terrible drame, le comportement particulièrement à risque de ce jeune homme, soit anticipé par une prise en charge spécifique le plus précocement possible. Et sur ce sujet…Tout est à faire !!!

Mais en réponse aux Violences Urbaines, quel décideur politique peut inscrire dans son programme et projet politique le développement généralisé d’unités pluridisciplinaires assujetties à chaque maison de quartiers et centres sociaux capables de prendre en charge très précocement à moyen et long terme ces individus et leurs familles ?

Sur le sujet, voici un écrit qui m’apparait pertinent issu d’un livre biographique auquel j’ai contribué.

Je n’en citerai pas le titre pour préserver « fréro » aujourd’hui, malheureusement, trop tôt disparu et que je refuse de soumettre à la violence de l’idéologisation de nos ignorances.

Sa devise était : « Chez tout être humain, rien n’est irréversible, tout est possible »

« Arrivé dans ce quartier, le choc fut à la mesure de ce à quoi je souhaitais me consacrer.

Ce n’était pas un Quartier constitué d’une place de village, de platanes, de commerces. Ce n’était pas une Cité, cette antique communauté politique démocratique constituée de membres libres participant à sa vie et aux décisions impactant au quotidien à la vie des Citoyens. C’était un endroit où vivait une population enfermée et recluse de premiers arrivants au nombre impossible à évaluer.

Initialement le bâti avait été construit pour accueillir deux mille cinq-cents habitants.

En fait, nul n’était capable de connaître le nombre de personnes pouvant y vivre.

Les seules estimations permettant de l’évaluer, n’étaient faites qu’à partir de la consommation de l’eau par foyer et du volume d’ordures ménagères.

Personnellement, je constatais la présence parfois de plusieurs familles vivant dans soixante-dix mètres carrés.

J’y découvrais des enfants insécurisés par des parents totalement noyés par une accumulation de facteurs les submergeant, les déboussolant.

J’observais des êtres perdre pied, l’esprit et l’énergie sans cesse déployés sans répit pour survivre au quotidien espérant décrocher des stages précaires, des contrats horaires à durées déterminés même tout juste suffisant pour garantir un loyer.
J’observais des familles partir à vau-l’eau, des parents se déchirer sous les assauts des difficultés dévastatrices du quotidien et du stress permanent lié à la précarité du quotidien qui les détruisait.

Dans ce quotidien angoissant, je les observais tenter de se dépêtrer avec les seuls moyens à leur disposition pour joindre les deux bouts, améliorer l’ordinaire, la débrouillardise, les petits trafics, les marchés parallèles.

Plus que soumis à la précarité, survivants grâce à l’illicite, ils étaient, en plus, les proies des prédateurs profitant des vulnérabilités pour proposer des avances pécuniaires pour finir les fins de mois à des taux d’intérêts exprimés en une redevabilité diverse et variée, des marchands de sommeils offrant l’accès à un toit insalubre en contrepartie d’une avance sexuelle payée à la demande.

Un jour, j’appris qu’un jeune que je côtoyais depuis des années avait été exécuté lors d’un règlement de compte.

À tous ceux qui pensent que ce jeune avait le choix ou qu’il n’était que le produit de lui-même, maître de sa vie et de son destin, ou victime de carences éducatives de parents irresponsables à condamner qui ne font des enfants que pour toucher des allocations, à tous ceux qui pensent que c’est une bonne chose pour la société que ces jeunes qualifiés de toxiques pour la société s’éliminent entre eux, personnellement, c’est une toute autre réalité que j’observais.

Ce jeune était extraordinaire, plein de vie, plein de principes parfaitement normatifs et d’attentions pour les autres. C’était un jeune bienveillant, intelligent avec un gros potentiel mais il était gouverné par une accumulation de facteurs de risques qui lui échappaient totalement.

Lorsque je tentais de le raisonner, comme je le faisais avec tant d’autres, ses arguments implacables me déstabilisaient :

— Tu me fais la morale, alors que les plus grands voleurs, les plus grands profiteurs du système sont les riches qui fraudent pour échapper à l’impôt. Tout comme certains élus qui détournent l’argent public, viennent au quartier pour acheter nos voix et offrir aux pires familles des emplois publics alors qu’on me demande de passer des concours !

Tu sais comment ils appellent ça quand on leurs balance ces réalités en pleine figure ?

Du complotisme de jeunes sans cervelle aux esprits dépourvus d’analyses des complexités.

Moi, j’appelle ça, « fais ce que je te dis mais pas ce que je fais ».

Allez vas-y, fais-moi la morale pour gagner un SMIC à 1200 euros pour payer le loyer d’un appartement insalubre à 850 euros par mois !

Que dire ?

Tout comme lui, combien se dirigeaient inconsciemment vers un même chemin, sourire éclatant, nourris de tant d’arguments, ignorant d’eux-mêmes et de tout ce qui les dirigeait vers un funeste destin ?

Sous des aspects fanfarons de maîtres de leurs vies, voulant briller aux yeux des autres comme aux leurs, ils ne passaient leur temps qu’à se faire remarquer pour se prouver et ne pas mourir sous les blessures des égos en permanence attaqués dans cet environnement où la survie se paye à grands coups de réputation.

Dans ce contexte, la capacité à porter un coup de couteau prévalait sur tous les mots.

Personnellement, je les observais agir comme des gamins hypersensibles, manipulés par de grosses ficelles qu’il suffisait d’actionner pour déclencher une réaction. Il suffisait d’un mot, d’un geste, d’un regard moqueur, d’une insulte, de railleries pour les voir gesticuler comme de petits pantins prêts à tout pour nettoyer ces blessures narcissiques qui les blessaient au quotidien au point d’y réagir par des comportements préjudiciables à eux-mêmes et autrui.

Leurs actes posés ne correspondaient qu’à des mécanismes de défenses pour s’en protéger et devenir quelqu’un afin d’être respecté afin d’en être épargné.

Je les observais littéralement happés par un apprentissage de la vie structuré par un cadre éducatif dont le maître sans visage s’appelait Image à acquérir, Image à conquérir, Image à sauvegarder pour ne pas mourir sous les rafales d’humiliations destructrices permanentes qui les piquaient, touchaient, blessaient, humiliaient.

Pour s’en protéger, il leurs fallait acquérir une image symbolique de celui qui, devant les autres, ose, et qui fait ce que la plus grande majorité est incapable d’effectuer, élevant, de fait, les plus vulnérables à ces mécanismes intrapsychique, aux plus hauts sommets des risques.

C’était terrible, c’était un véritable piège à crever.

Les observer épouser les représentations des postures guerrières et viriles qu’ils arboraient, me révélait que leurs actes étaient conditionnés bien plus pour se protéger des autres que par volonté de commettre des actes qu’ils savaient parfaitement à ne pas faire.

Mais combien pouvaient résister aux pulsions et à ces enjeux inconscients de survies qui les amenaient à une surenchère de commissions d’actes préjudiciables plus pour montrer aux autres qu’ils étaient capables de le faire que pour véritablement les faire.

A ces âges des sensibilités exacerbées aux regards des autres, entre le choix de la transgression d’actes à fortes valeurs symboliques inversées commis plus pour se protéger des autres que par volonté de les commettre, entre le choix de jouir de la représentation protectrice de celui ou celle qui est respecté parce que capable d’oser ce que les autres n’osent pas, entre devenir un boss aux yeux des filles, d’avoir de belles voitures, des vêtements de marques et de chiques montres de riches plutôt qu’être en permanence humilié…Qui peut résister ?

Qui choisit ce calvaire, cette tyrannie du quotidien qui happe les plus vulnérables à ces process qui dés lors développent proportionnellement des mécanismes de compensations générant des petits serviteurs de cheik-points aux entrées et sorties des cités pour effectuer des contrôles de populations où la moindre suspicion de balance ou de réfractaires aux trafics font de vous des sacrifiés pour l’exemple ?

Dans une société dans laquelle la précarité touche même ceux qui maîtrisent parfaitement les outils qui répondent au mieux à ses attendus, bien loin de l’idée de gens fainéants profitant du système, j’observais dans ce quartier, des pères et des mères se lever à cinq heure du matin pour mendier du travail au jour le jour, pour deux euros de l’heure sous la pluie, au froid ou sous un soleil assommant, au « black » imposé sans couverture sociale et sans aucune garantie d’un travail pour le lendemain.

Dans ce quartier, cherchant des moyens de subsistances au jour le jour, certains de ces pères avaient perdu pied et toute dignité, des mères étaient dépourvues des outils les plus fondamentaux de l’autonomie de notre mode de vie, des enfants cumulaient dès leur naissance des facteurs d’échecs et devaient gravir un Everest inatteignable pour atteindre une simple colline pour ceux pourvus d’un contexte le permettant.

J’observais des êtres autant assignés que s’auto-assignant, autant relégués que s’auto-reléguant dans un processus humain favorisant un entre-soi, entres semblables, aux mêmes conditions, s’accrochant aux mêmes origines et trouvant dans ces liens communs, la fierté de venir d’ailleurs, pour tenter, sous des airs bravaches de façades, de résister à l’humiliante condition de ne pas être comme tout le monde.

Durant dix années, j’observais que rien de ce qui nous est évident pour s’en sortir et de ce qui constitue nos valeurs fondamentales ne leurs est étranger.

La seule différence réside dans l’immense entrechoquement de référentiels si différents et le chemin à parcourir pour accéder à un simple contrat à durée indéterminée, le Graal à conquérir qui symbolisait, pour la très grande majorité, la fin, enfin, de la galère, de la survie au quotidien et la possibilité, enfin, de pouvoir vivre matériellement et psychiquement enfin en paix pour construire une vie comme tout le monde.

Un quartier sensible est violent pour ceux qui y vivent et encore plus par ce qu’il renvoie.

S’y manifestent des comportements condamnables et inacceptables dont les habitants sont les premières victimes. S’y constituent et s’y développent, pour ceux qui y naissent, y grandissent et y demeurent depuis des années, des comportements de survie pour se protéger d’un environnement imposé par une impossibilité économique d’en partir. S’imposent des comportements qui dépossèdent les familles de leur droit à la tranquillité, à la liberté d’aller et venir, de s’exprimer et de s’opposer à ce, à quoi, en termes de valeurs, elles n’adhèrent absolument pas mais qu’elles sont obligées de subir en silence, la tête baissée faute de ne pouvoir y échapper.

Dans ces quartiers sensibles s’imposent des règles aux valeurs inversées, des contrôles de populations sans précédent, une loi du silence infligée par 0,01% d’individus à 99,99% de personnes qui tentent de vivre paisiblement en baissant les yeux avec l’espoir de ne pas croiser ceux de ces petits maîtres en sursis s’accaparant des pans entiers de territoires.

J’observais que c’est le modèle économique qui gouverne les vies qui amène et aspire ces populations sur ces territoires où toute intrusion venant de l’extérieur était soumise à la question, aux interrogatoires intempestifs, spontanés.

Qui étais-je, qu’y faisais-je ? Il me fallut des mois pour faire les preuves de ma sincérité, mon passe-droit.

Je me devais de montrer patte blanche, de gagner les confiances et surtout de ne jamais laisser aucun doute émerger sur mes intentions.

Je marchais sur une crête où le moindre faux pas pouvait me faire tomber.

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