Un objet politique non identifié : Les primaires

Un objet politique non identifié : Les primaires

Mardi 15 novembre 2016, par Loïck Gourdon

L’IMPORTATION EN FRANCE D’UN SYSTEME DE « PRIMAIRES » A l’américaine...

Tel est le sujet dont parle Denys Renaud dans le texte ci-dessous.

Après Halloween, les Primaires, les Républicains, …l’habitude d’importer en bloc et sans trop de discernement ce qui vient des États Unis semble désormais en passe de devenir chez nous une seconde nature.

Pourtant la question doit se poser : Y a -t-il avec ces « Primaires », progrès de la démocratie ou degré supplémentaire de dérive du politique ?

L’importation progressive en France, et de façon extra-institutionnelle, de la pratique américaine de « primaires » pour la désignation des candidats à l’intérieur des grandes formations politiques vient bouleverser non seulement les habitudes électorales françaises mais encore l’esprit même de l’engagement politique et de son mode de représentation. Cette intrusion mériterait une réflexion approfondie et un débat public qui jusqu’alors n’ont eu ni la place ni le questionnement qu’on aurait pu en attendre.

S’agit-il d’un progrès de la démocratie ?

L’idée que ce soit aux citoyens de choisir le candidat appelé à représenter le courant politique dans lequel ils se reconnaissent plutôt qu’aux appareils des partis de les désigner peut séduire à première vue et apparaître comme un pouvoir accru rendu aux citoyens.

Conséquences négatives et effets pervers :

Toute modification dans la pratique électorale doit être examinée dans ses implications et conséquences et donner lieu à un bilan critique. Justement l’instauration de ces primaires modifie largement la donne.

Par exemple, on créé artificiellement un effet d’emboîtement de type poupées russes dans la mesure où on instille à l’intérieur des formations politiques les mêmes compétitions, rivalités et oppositions qu’au niveau de l’échiquier politique national ; avec comme conséquences :

→ une surenchère d’ambitions personnelles, favorisant les manœuvres, les intrigues, les coups bas,

→ une balkanisation des partis politiques, dans lesquels les électeurs peinent à se retrouver, et qui laisse des rancœurs, voire des rancunes chez les perdants de ces primaires,

→ un recours accru à la démagogie, pour départager des personnes supposées normalement partager les mêmes valeurs mais se retrouvant projetés d’un coup en rivalité,

→ une personnalisation à outrance, les programmes les nuances de lignes politiques finissant par s’effacer et compter beaucoup moins que les enjeux de personnes,

→ une féodalisation de la politique, on se regroupe par écuries avec des « hommes liges » autour d’une personnalité supposée « présidentiable » et non plus autour d’un programme,

→ une augmentation du financement et donc du coût final des élections, en obligeant à des campagnes, débats, temps d’antenne qui finit par être encore payé par les citoyens,

→ une dérive mécanique vers le bi-partisme, seul les plus grandes formations ont les moyens d’organiser ces primaires, les « petits partis » se retrouvent quasi éliminés de ce système, exactement comme aux États Unis.

La France n’est pas les États Unis : Si le système des primaires américaines peut se justifier (encore qu’il ne date que de la fin du XIX° siècle et n’est même pas adopté par tous les États), par le fait qu’il s’agit là d’une fédération d’États (par certains côtés proche même d’une confédération), qu’il est propre aux États Unis et qu’il n’existe nulle part ailleurs, il s’inscrit chez nous comme un postiche car la France n’a ni la même histoire ni les mêmes structures d’organisation, ni le même « esprit des lois ». Ainsi par exemple ce qui est officiellement légal aux États Unis comme le financement illimité des candidats par des groupes privés et des lobbies, normalement en France tombe sous le coup de la loi au titre du « trafic d’influences ».

La boîte de Pandore des trucages : Déjà des électeurs de gauche se proposent de voter dans la primaire de droite, qui pour éliminer le supposé « pire » dans la perspective d’une victoire adverse, qui pour placer le supposé pire comme épouvantail dans l’espoir d’une victoire de leur camp. Pour cela ils se soumettront à une fausse déclaration sur l’honneur de partager les valeurs de la droite. Ainsi assistons-nous à une dérive perverse des comportements électoraux vers des pratiques de caniveau.
Un président incarnant la Nation et devant se situer au-dessus des partis :

Normalement d’après l’esprit de nos institutions, il n’y a pas en France de « Spoils system » à l’américaine. Le président élu doit toujours se situer au-dessus des partis. Avec les Primaires, comment dans ce contexte de course d’obstacles afin d’obtenir par élection la légitimité des adhérents et sympathisants de son parti et ainsi muni de cette onction concourir à la compétition finale, pouvoir se situer véritablement en-dehors d’eux ?

Inventaire et bilan : L’élection d’une assemblée constituante devrait avoir comme première tache de faire l’inventaire et le bilan de la 5 ème République et de ses évolutions ou involutions afin de pouvoir réfléchir sur les bases institutionnelles d’une Constitution rendant à la République sa dignité et aux citoyens le pouvoir qui leur a été confisqué.