Colloque sur la souveraineté populaire : André Bellon

Colloque sur la souveraineté populaire : André Bellon

Mardi 26 mai 2009, par Association pour une Constituante

REFUSER LA SERVITUDE VOLONTAIRE
La souveraineté populaire, parlons-en !

Colloque du 28 mars 2009, organisé par Association pour une Constituante ,
Droit-Solidarité, Mémoire des luttes et Utopie critique.

Salle du Conseil régional d’Ile-de-France, 57, rue de Babylone, 75007 Paris.
Métro : Sèvres-Babylone ou Saint-François Xavier.

Présentation générale du Colloque
Intervention de

André BELLON

Président de l’Association pour une Constituante

Ancien président de la commission des affaires
étrangères de l’Assemblée nationale

Auteur de Une nouvelle
vassalité
(1001 Nuits, Paris, 2005)

Présentation de l’Association

Les élections se succèdent et marquent de plus en plus à quel point les élus ne représentent pas le corps social dans sa diversité et dans ses contradictions. Il n’y a même plus d’opposition réelle dans une phase aussi critique. Au contraire, ceux là même qui ont dirigé notre société vers le précipice sont chargés de l’en sortir. Les institutions ne permettent plus la représentation des citoyens. Elles sont caduques.

Certes, tout le monde en parle. Certes, des changements ont lieu. Mais c’est sans le peuple, voire contre lui. A deux reprises, des changements fondamentaux dans les institutions ont eu lieu. On a profondément modifié la Constitution par la seule voie parlementaire alors que la Constitution résultait d’un référendum. On a imposé un traité européen contre la volonté exprimée par le peuple le 29 mai 2005.

Une seule solution à cette crise institutionnelle, face à ce système aristocratique : l’appel à une Constituante élue par les citoyens par un vote au suffrage universel direct, les élus étant sélectionnés sur le seul critère de la Constitution à construire. C’est pour populariser cette idée, élaborer des cahiers de doléances pour la préparer comme autrefois les Etats généraux que l’Association a été construite.

www.pouruneconstituante.fr

Réaffirmer le peuple

Traversant récemment Paris, je suis passé place de la République. Tout autour, des banderoles annonçaient : « Quelle place de la République voulez-vous demain ? ». Je me suis dit que j’aurais préféré qu’on me demande « Quelle république voulez-vous ? ».
Au fond, c’est un peu ça la démocratie participative. On déplace les problèmes. On parcellise la volonté des citoyens vers des questions annexes. Plus ça évolue, plus on parle de démocratie, et moins on parle de peuple. Et une démocratie sans peuple, ça n’a pas de sens.
Le 21 avril 2002 a été particulièrement révélateur des perversions de la démocratie. A l’issue du résultat du 1er tour de l’élection présidentielle qui a vu l’éviction de Lionel Jospin par Jean-Marie Le Pen, nous avons assisté à 15 jours de repentance collective, à des marches d’expiation. Bref, nous avions fauté. Et, à aucun moment, n’a été posée la seule question qui vaille : pourquoi diable les électeurs avaient-ils voté ainsi ? Cette question pourtant évidente, naturelle, n’avait pas effleuré les remarquables commentateurs. Il s’est alors produit, dans cette logique, ce qu’il faut bien appeler une inversion de la démocratie. C’étaient les représentants, les « élites », qui jugeaient les citoyens alors qu’il appartient évidemment aux citoyens de juger leurs représentants.
Pour les penseurs de la prétendue modernité, il est de bon ton de parler de démocratie tout en dénigrant le peuple ou même en contestant son existence. En résumé, pour eux, le peuple n’existerait pas en tant qu’être politique, mais seulement comme expression de passions vulgaires. Il serait pour la violence, par exemple pour la peine de mort. Il serait incompétent. Pour ma part, je ne sais pas si le peuple est favorable à la peine de mort. Je sais, en revanche, qu’on ne lui a pas demandé dans le cadre d’un vrai débat démocratique contradictoire. Et lorsque j’entends que le peuple est vulgaire, violent, incompétent, je me demande toujours si la personne qui exprime cette idée est consciente que le peuple, c’est aussi elle-même. Pour trop d’entre nous, le peuple, c’est toujours les autres.
Nous avons, avant toute chose, un travail à faire sur nous-mêmes, pour éviter d’être pris dans le piège qui nous a été tendu dans le but de déconsidérer le peuple.

La souveraineté populaire, c’est l’inverse. C’est l’affirmation d’une confiance dans le peuple en tant qu’être politique. La démocratie, c’est l’affirmation que la volonté collective doit émaner du peuple, c’est le retour à cette immanence. C’est donc un combat contre tous ceux qui ont œuvré pour le retour de transcendance en politique.

Je citerai deux parmi les penseurs qui ont dévoyé ainsi la vie démocratique.
1/ Rosanvallon. Pour lui, les lois économiques sont l’élément déterminant de la vie sociale. Il n’y a pas à tenter de réduire la contrainte exercée par une "économie ouverte" sur une aspiration à "changer la vie". Il faut, au contraire, entériner l’étroitesse de la marge de manœuvre qui en découlait. Elle interdirait aux gouvernants de gauche de "faire des bêtises" au nom de ceux qui les ont mandatés. La contrainte économique prime la volonté populaire. C’est ce qu’exprimait avec une grande vulgarité une autre figure de la Fondation Saint Simon, Francis Mer, alors ministre des finances lorsqu’il publia un ouvrage intitulé « Vous, les politiques » comme si un ministre n’en était pas un. Mais il entendait dire, vous qui êtes soumis au suffrage universel, considérant celui-ci comme méprisable par rapport aux gens tels que lui qui appliquaient la « bonne gouvernance ». Le mépris des prétendues élites vis-à-vis du suffrage universel n’est évident, en l’espèce, que parce qu’il est affirmé publiquement.
2/ Antonio Negri, idole de certains milieux altermondialistes. Dans son ouvrage « Empire », il considère que le monde est unifié dans le cadre de cet Empire nouveau et que le concept de peuple est ainsi devenu archaïque. Il estime même que les concepts de peuple, de nation et de race, sont assez proches, analyse que ne renierait pas le Front national. Pour lui, l’Empire crée un potentiel révolutionnaire plus grand que ne l’ont fait les régimes modernes de pouvoir, parce qu’il nous présente, à coté de sa machine d’autorité, une solution de rechange : l’ensemble de tous les exploités et soumis, multitude directement opposée à l’Empire, sans médiation entre eux. Comme si la médiation était par nature extérieure aux humains, comme si le peuple organisé n’était pas justement organisé pour affirmer sa volonté. Mais non, pour Negri, le peuple, supposant une forme d’unité, tend à étouffer la « multitude des individualités ». Mais si le peuple n’est pas appréhendable, que dire de la multitude ? En fait, sous une forme de nouveau panthéisme, cette thèse crée, en la multitude, une nouvelle transcendance qui soumet les volontés individuelles autant que collectives.
Toutes ces thèses ont contribué à un retour de la soumission, à la disparition de l’homme libre, de l’esprit critique, de la liberté individuelle.
D’où la question essentielle aujourd’hui :

le peuple existe-t-il ?

D’après Engels, la preuve du pudding, c’est qu’on le mange. De même, la preuve du peuple c’est qu’on lui tape dessus. Merveilleux sophisme : on lui refuse une représentation sérieuse ; il exprime alors des hurlements ; donc il est dangereux et violent ; donc il ne peut, ni ne doit être représenté. On lui laisse la rue, tout en expliquant d’ailleurs que ce n’est pas la rue qui gouverne. Les jacqueries, les révoltes, et diverses expressions, parfois violentes, ayant eu lieu, on justifie alors qu’il ne mérite pas d’être représenté.
Face à ces dérapages, à ces attaques indignes autant qu’antidémocratiques, il est temps de réaffirmer le principe même de la démocratie : sur le plan juridique, le peuple existe parce qu’on a décidé qu’il existait, parce que c’est le principe qu’on choisit pour la vie sociale, pour la vie politique. De ce fait, on arrête de poser des questions oiseuses destinées à dénigrer subtilement le peuple. Par exemple, on cesse de se demander « qui fait partie du peuple ? » Car s’il n’y a pas de peuple, ça ne sert à rien de se demander qui en fait partie. S’il y en a un, l’appartenance se définira dans la construction de la démocratie même, dans la volonté de fraternité.
En fait, ce sont les luttes qui dessinent le peuple. Comment oublier que le principe du suffrage universel est né d’une insurrection, celle du 10 août 1792 qui a vu le peuple renverser le roi lorsqu’il a prie le palais des Tuileries ? Jusque là, la révolution même n’avait instauré qu’un suffrage censitaire, qui revient d’ailleurs insidieusement aujourd’hui dans la pratique. On réservait l’expression du suffrage à une partie de la population en fonction de la richesse. A partir du 10 août, le principe est différent, universel, même si, comme on le sait, sa pratique le réserve aux hommes et exclue les domestiques ou, sous la 2ème République, la plupart des ouvriers. Néanmoins, en dépit de son application souvent condamnable, son principe n’a jamais été remis en cause. Il demande à être réellement appliqué.
En bref, face aux attaques auxquelles la démocratie est soumise, la réaffirmation du peuple est plus que jamais nécessaire ; nécessaire aussi à l’expression de la vie sociale. Le peuple doit pouvoir exprimer ses besoins, ses contradictions, ses divergences.
Cela implique une révolution de la pensée, un renouveau de l’esprit critique, de la liberté de pensée. La pensée doit être jumelée avec l’action sans laquelle il n’y a pas de vie politique démocratique. L’objectif doit être gardé avec persévérance, c’est-à-dire la volonté de rénover cette vie politique pour qu’elle permette réellement la représentation.
Lorsque l’historien républicain Claude Nicolet déclare : « si on regarde aujourd’hui ce qui se passe…le bilan est ruineux et presque effrayant », il affirme une épouvante. Mais aussitôt, il indique son optimisme en ajoutant : « Il ne suffit pas, à mon sens, de demander à nouveau la parole pour le peuple. Il faut, par tous les moyens à notre disposition, agir d’abord pour le libérer de ce qui l’empêche de savoir, de comprendre et de vouloir librement. Chacun de nous peut et doit agir, à la mesure de ses forces, sur un plan ou sur un autre Chacun de nous doit agir en fonction de ses forces, sur un plan ou sur un autre. » C’est cette volonté que nous devons, à notre tour, affirmer.

Conclusion

Comme toujours, dans une journée de colloque, on finit par se répéter. Ce qu’on appelle démocratie aujourd’hui n’est pas de la démocratie. Elle ne représente pas le peuple. Que cette démocratie soit mauvaise doit-il nous pousser au pessimisme ? On a réussi, au travers de concepts qui nous oppriment, à nous contraindre à une pensée pessimiste, du type : « On ne peut rien faire ». On impose l’idée selon laquelle la politique se résume à l’affrontement PS/UMP. Disons aujourd’hui, à l’inverse, qu’on peut rompre le cercle infernal de la vassalisation qui nous opprime de tous côtés, philosophiques, économiques, internationaux. La Constituante est un mot d’ordre, parmi d’autres, car elle fait foi en la capacité de libération de l’individu. Penser par vous-même, ça ira beaucoup mieux.