La Constitution colombienne dans la guerre civile

La Constitution colombienne dans la guerre civile

Mercredi 15 décembre 2010, par Jorge Hernandez

Plusieurs pays d’Amérique latine ont connu récemment avec des fortunes diverses des processus constituants. L’Argentine, la Bolivie, le Chili, l’Equateur, la Colombie, le Pérou et le Venezuela tous ont eu des processus Constituants plus ou moins novateurs. Le coup d’Etat militaire contre le président Zelaya d’Honduras, sous la houlette des étasuniens, pour contrer l’Alba (littéralement, l’aube…) a mis un coup d’arrêt dans ce pays au mouvement Constituant populaire qui n’a eu d’autre effet que radicaliser celui-ci.

Le nouveau constitutionnalisme latino-américain, apparaît comme un résultat de l’irruption du peuple dans la vie politique, à un moment de recul des maigres acquis sociaux érodés par le néo-libéralisme. Il est lié plus largement aux besoins d’indépendance vis-à-vis de l’Empire nord-américain. La remise en cause de l’ordre économique, socioculturel et politique se fait jour un peu partout dans le Continent et dans la Caraïbe, exception faite de Cuba et du Nicaragua, pays dont les régimes politiques sont issus de révolutions armées. Ce processus s’inscrit dans la révolution démocratique et sociale commencée il y a déjà deux siècles avec l’indépendance des colonies espagnoles. C’est ainsi qu’on a reprit Abya Yala, mot indigène désignant le continent, emblématique dans la conjoncture actuelle de la volonté d’une deuxième indépendance. Les pays de l’Alba cristallisent les Constituantes les plus innovantes préfigurant déjà cette deuxième indépendance, fort dommageable aux intérêts états-uniens.

Partout où la mobilisation politique du peuple a réussit des changements dans les institutions centrales, la relation entre le droit et la société globale ont pris une synergie positive vers un véritable progrès social. Sauf en Colombie où cette relation semble antinomique. En Colombie, dès la promulgation de la nouvelle Constitution de 1991, sensée répondre aux problèmes d’un pays en perpétuelle guerre civile, les conflits plutôt ont monté d’un cran et la situation générale n’a fait que se dégrader. Penchons-nous à présent sur cette Constitution, née d’une Constituante, dans ce pays en guerre civile depuis soixante ans, à un moment du conflit où le M 19 dépose les armes et négocie avec l’Etat un nouveau cadre institutionnel.

La Constitution de 1991 consacre -selon le préambule- en Colombie la démocratie participative comme « garantie d’un ordre politique, économique et social juste, tourné vers l’intégration dans la communauté latino-américaine. » Elle s’inscrit formellement dans le constitutionalisme contemporain (avec l’adoption du concept d’Etat social de droit par exemple) et plus précisément dans le néo-constitutionnalisme latino-américain consécutif à la chute des dictatures. Les Constituants de Colombie se réclament de la démocratie directe, participative. Ils sont partisans de l’intégration du pays dans le concert latino-américaine et reconnaissent à l’intérieur de la diversité ethnique et culturelle de la nation. En cela la Constituante colombienne anticipe la Constituante vénézuélienne de 1999. En Bolivie (2006), en Equateur (2008) des Assemblées constituantes ont promulgué des Lois fondamentales qui introduisent de fortes innovations institutionnelles. Le tout, en consonance avec des véritables changements stratégiques dans l’orientation politique et économique qui bouscule l’ordre socio culturel établi.

Malgré le caractère avant - gardiste de la Constitution colombienne, elle n’apparaît pas comme une référence dans le constitutionnalisme latino-américain car l’oligarchie a bloqué les avancées. Parce que maintes garanties inscrites dans le texte constitutionnel, ont été subverties et synonymes de reculs des libertés dans les faits. Par exemple, tandis qu’on inscrit dans le marbre la paix, en tant que droit pour les Colombiens et devoir pour ses gouvernants, sur le terrain, ceux-ci, pour préserver leurs privilèges hérités de la colonie, attisent les brasiers de la guerre civile que le peuple subit sans répit. Autre exemple. La Constitution octroie aux communautés indigènes et afro-colombiennes l’usufruit inaliénable de leurs territoires ancestraux. Conséquence : des escadrons de la mort à la solde des grands propriétaires et des multinationales massacrent indigènes, qui abandonnent de plus en plus leurs territoires sur lesquels comme par miracle, prospèrent les mines ou les cultures d’agro-combustibles.

L’existence de la Constitution par elle-même ne garantie donc pas l’ordre politique et social comme il est de rigueur dans la démocratie libérale. Par contre, si on croit, avec Ferdinand Lasalle, que « les problèmes constitutionnels ne sont pas, d’abord, des problèmes de droit, sinon de pouvoir », en Colombie c’est bien l’exercice des armes le centre de gravité des forces et pouvoirs qui s’expriment à travers les aléas constitutionnels.

La guérilla n’a jamais menacé l’ordre constitutionnel. Mais, l’ordre constitutionnel en vigueur n’arrive pas à soumettre les forces belligérantes. C’était également le cas de la Constitution antérieure, celle de 1886, en vigueur pendant plus de cent ans. Le dernier quart du XIX siècle a été marqué par trois guerres civiles destructrices. Depuis 1948, le conflit interne perdure sans que l’on puisse présager un dénouement proche. Néanmoins, peut-on augurer une longue vie à la Constitution de 1991 ? Au regard de l’histoire -sans cynisme- on peut répondre que la Colombie bénéficiera d’une stabilité institutionnelle tant que la guerre interne perdurera. Au demeurant peut- on attribuer le mérite d’une stabilité institutionnelle à un texte constitutionnel resté lettre morte ?


Notre ami Jorge Hernandez est sociologue.