Coup de théâtre en Allemagne
Samedi 14 juillet 2012, par
Nous avons déjà indiqué le flou politique dans lequel se joue la mise en place des nouveaux traités européens. Jean-Pierre Crémoux met ci-dessous en lumière les contradictions qui se développent en Allemagne.
Un évènement de première importance du point de vue de l’évolution des institutions européennes a consciencieusement été passé sous silence par nos grands médias. En effet le texte approuvant le ralliement au pacte budgétaire (traité Merkozy) moyennant un engagement de la direction allemande en faveur d’une taxe sur les transactions financières, y compris par un groupe réduit d’États, n’a pas pu être ratifié.
Le 29 juin dernier, alors que démarrait le Conseil européen de Bruxelles, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a été saisie d’un recours contre le nouveau traité européen, tout juste validé par la coalition au pouvoir, chrétiens-démocrates (CDU) et libéraux (FDP), avec l’accord des sociaux-démocrates (SPD) et des Verts. Ce recours est soutenu par près de 12.000 signataires et déposé devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe par Die Linke, le parti de la gauche radicale allemande, en arguant que le traité porte atteinte à la souveraineté du Parlement, que son approbation viole les principes de la démocratie et que son sort doit être soumis à un référendum.
Le président de la République fédérale, Joachim Gauck, a en conséquence sursis à la signature du texte.
Contrairement au Conseil Constitutionnel français issu des institutions de la Vème République et dont les membres sont, outre les anciens présidents de la République, neuf membres désignés par le président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale et donc peu de magistrats de profession mais tous intégrant un raisonnement politique à ce qui devrait n’être qu’un strict énoncé du droit, la Cour constitutionnelle fédérale est une institution caractéristique de la démocratie d’après-guerre en Allemagne constituée de seize juges réputés pour leur intégrité et d’aucune personnalité politique.
La Loi fondamentale lui a donné le droit d’invalider des lois élaborées démocratiquement quand elle est d’avis que ces lois transgressent la Loi fondamentale. La Cour constitutionnelle ne peut se réunir que si un recours est déposé. Les organes fédéraux (le président fédéral, le Bundestag, le Bundesrat, le gouvernement fédéral) ou des membres de ces organes comme les députés ou les groupes parlementaires, sont admis à déposer un recours auprès de la Cour, de même que les gouvernements des Länder.
En cas de conflit, la Cour constitutionnelle agit de manière à protéger l’État fédéral et la séparation des pouvoirs garantie par la Loi fondamentale. Elle a le monopole de l’interprétation de la Constitution.
Ainsi à l’occasion de la ratification du traité de Lisbonne, le Tribunal Constitutionnel fédéral a posé des limites draconiennes à la dérive fédéraliste européenne. Le passage à un État fédéral européen exigerait l’approbation par une procédure garantissant les droits fondamentaux du peuple allemand. En outre, l’Allemagne conservait la possibilité de poursuivre ou non ses engagements dans l’Union Européenne (Arrêt du 30 juin 2009). Le Tribunal a par ailleurs jugé qu’il doit subsister un périmètre de souveraineté au sein duquel les États doivent conserver une "latitude suffisante". Ce périmètre comprend, en particulier, les recettes et dépenses budgétaires.
Au vu des tenants et aboutissants de l’Arrêt du 30 juin 2009 sur le traité de Lisbonne, il est tout à fait possible, sinon même probable, que le Tribunal Constitutionnel Fédéral de Karlsruhe déclare que le Traité sur la Stabilité la Coordination et la Gouvernance (TSCG) et/ou plus encore le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) sont contraires à la Constitution allemande.
Dans ce contexte on peut s’attendre à de nouveaux rebondissements sur le plan judiciaire et constitutionnel, avec l’ajournement au niveau européen du TSCG et du MES pour cause de saisine du Tribunal Constitutionnel Fédéral allemand.
Cette procédure pouvant durer des mois avant de rendre ses conclusions, il est à la fois consternant de constater que le sommet européen du 29 juin était une fois de plus un coup d’épée dans l’eau en dépit des rodomontades de nos dirigeants et pour le gouvernement allemand, mis au pied du mur, peut-être bien l’obligation, comme en 2009, de renforcer la garantie des droits fondamentaux.
Encore une fois nous pouvons constater la faiblesse de nos propres institutions prêtes à ratifier MES et règle d’or avec l’accord tacite de toute notre oligarchie politique et ceci bien sur pour encore une fois imposer des choix qui pourraient être rejetés par ailleurs par la volonté populaire.