Parlons des élections
Mercredi 19 février 2014, par
"Interview croisée entre Nathalie Koscuisko-Morizet (UMP) et Anne Hidalgo (PS), candidates favorites à la Mairie de Paris", propose Télérama le 15 février dans un numéro qui affiche les visages de deux femmes en une. Où sont passés les autres candidats ?
Le Parisien organise lui aussi le second tour sans passer par le premier : « Municipales à Paris : les enseignements du débat NKM/Hidalgo », annonce le quotidien du 30 janvier 2014. Apparemment factuel, le titre révèle pourtant l’état d’esprit des journalistes : à Paris, il n’y a que deux candidates.
Le débat auquel il est fait référence regroupait pourtant cinq personnalités politiques. Entre les représentantes du PS et de l’UMP, Wallerand de Saint-Just (FN), Danielle Simonnet (FG) et Christophe Najdovski (EELV) ont tenté d’exposer leurs points de vue. Mais Jean-Pierre Elkabach, qui animait les échanges avec Michel Field, avait annoncé la couleur dès les premières minutes : « Le second tour devrait opposer Nathalie Kociusko-Morizet et Anne Hidalgo » Ce pronostic est sans doute juste mais, matraqué à longueur d’éditos et posé en évidence alors que la campagne a à peine commencé, il tourne au mot d’ordre conservateur. L’émission politique de Canal+, le Supplément, a lui aussi, le 22 novembre, consacré un reportage aux « deux candidates » sans même faire allusion à l’existence des autres…
On se souvient des cris d’orfraies poussés par les éditorialistes lors de la dernière élection présidentielle, exaspérés par la loi qui les obligent à accorder le même temps de parole aux candidats du premier tour. Officiant sur RTL et Canal +, Jean-Michel Apathie s’était offusqué de cette contrainte en affirmant benoîtement que les journalistes savaient d’eux-mêmes répartir équitablement l’attention portée aux uns et aux autres. On en doute au vu de ce qui précède et lorsqu’on se remémore que la loi sur les temps de parole est précisément critiquée parce qu’elle oblige à écouter les « petits candidats » ou jugés tels... sans parler d’ailleurs des abstentionnistes qui, malgré leur nombre croissant, n’intéressent les journalistes que pour les critiquer.
La préférence accordée aux « grands candidats » peut parfois être amoindrie par la capacité des politiques à jouer les « bons clients ». C’est-à-dire d’amuser le spectateur par quelques bons mots ou, involontairement, par un style décalé dont on peut se gausser ou s’attendrir. En son temps, Arlette Laguiller parvenait à franchir le mur de l’atlantique érigé par les médias grâce à son rafraichissant côté « populaire ». Mais jamais trop longtemps. La presse manque apparemment de lucidité sur ses capacités à demeurer impartiale ou simplement juste.
Une fois parvenu devant un micro, le « petit candidat » devra encore franchir le barrage des questions biaisées ou réductrices. La principale consiste évidemment à savoir à qui le « petit » entend se rallier au second tour. Son programme importe peu ; il est plus simple de savoir pour qui il « roule ». La « cuisine électorale » passionne les journalistes qui consacrent des articles entiers et des éditos interminables aux luttes de clans à l’UMP ou dans l’entourage de « NKM » au lieu d’analyser la sociologie de la droite parisienne. De même, les bisbilles internes au PS font toujours l’objet des premières questions posées aux députés socialistes en conférence de presse, quelle que soit l’actualité sociale ou la situation militaire en Centrafrique. Il est vrai que les élus prêtent souvent le flan à ces dérives. Ainsi, Mme Hidalgo ne craint-elle pas de mettre en scène sa vie privée (photos à l’appui avec son mari) tout en déplorant la propension des interviewer à perdre de vue l’essentiel ou le machisme des questions qu’on lui pose parfois.
Elections « de proximité », les municipales imposent souvent aux médias d’aborder plus concrètement les enjeux : logement, sécurité, propreté… Mais, comme dit le proverbe « Chassez le naturel… ». Ainsi Le Parisien commence-t-il sa description du débat entre les deux candidates » par leur « look » et leur attitude. On apprend alors que Mme Hidalgo portait un « Tailleur pantalon, une veste au revers satiné éclairé d’un petit ruban rouge. Le tout sur un discret chemisier blanc. » tandis que Mme Kociusco-Morizet avait revêtu un « tailleur cintré couleur blue-jean avec un tee-shirt noir. ». Faut-il y voir le nouveau clivage « droite-gauche » ?