Jaurès, Condorcet et la démocratie : une vision très actuelle
Mercredi 19 août 2009, par
La démocratie est un combat. Celui-ci n’a pas cessé depuis que la Révolution française a affirmé la souveraineté populaire et le suffrage universel. Dans son « Histoire socialiste de la Révolution française », Jean Jaurès présente et commente les analyse de Condorcet vis-à-vis de la Révolution, de la démocratie qui en a découlé comme principe de la vie politique, des attaques et des détournements qu’elle subit. Voici ci-dessous leurs positions sous forme d’échange dont on verra la remarquable convergence et l’étonnante actualité.
Condorcet : « Nous montrerons pourquoi les principes, sur lesquels la Constitution et les lois de la France ont été combinés, sont plus purs, plus précis, plus profonds que ceux qui ont dirigé les américains ; pourquoi ils ont échappé bien plus complètement à l’influence de toutes les espèces de préjugés ; comment l’égalité des droits n’y a nulle part été remplacée par cette identité d’intérêts qui n’en est que le faible et hypocrite supplément ; comment on y a substitué les limites des pouvoirs à ce vain équilibre si longtemps admiré ; comment, dans une grande nation, nécessairement dispersée et partagée en un grand nombre d’assemblées isolées et partielles, on a osé, pour la première fois, conserver au peuple son droit de souveraineté, celui de n’obéir qu’à des lois dont le mode de formation, s’il est confié à des représentants, ait été légitimé par son approbation immédiate ; dont, si elles blessent ses droits et ses intérêts, il puisse obtenir la réforme, par un acte régulier de sa volonté souveraine [1] »
Jaurès : « C’est parce que la Révolution affirme toute l’idée de la démocratie qu’elle a produit une commotion profonde dans le monde qui rejette la démocratie ou qui ne l’accepte qu’en l’abâtardissant. Et Condorcet, avec un sens merveilleux de l’avenir, comprend que c’est cet abâtardissement de la démocratie qui est le plus grand péril : il ne sera plus possible, sans doute, de revenir à l’Ancien Régime, de ressusciter la tyrannie féodale et l’arbitraire princier. Mais peut-être le doctrinarisme bourgeois interviendra-t-il pour fausser, pour rapetisser la Révolution. Peut-être une classe riche, entreprenante, égoïste et audacieuse, prétendra-t-elle substituer sa domination étroite au gouvernement démocratique. Elle alléguera qu’elle n’est point une classe, qu’elle se recrute dans la nation et ne peut être séparée d’elle, et qu’en vertu de l’identité de ses intérêts à l’intérêt général elle représente celui-ci mieux qu’il ne saurait se représenter et s’exprimer lui-même. Oui, c’est ce resserrement pédantesque, doctrinaire, censitaire de la Révolution et de la démocratie que Condorcet redoute toujours. »
Condorcet : « Nous prouverons combien ce principe de l’identité des intérêts, si on en fait la règle des droits politiques, en est une violation à l’égard de ceux auxquels on se permet de ne pas en laisser l’entier exercice, mais que cette identité cesse d’exister, précisément dans l’instant même où elle devient une véritable inégalité. Nous insisterons sur cet objet, parce que cette erreur est la seule qui soit encore dangereuse, parce qu’elle est la seule dont les hommes vraiment éclairés ne soient pas encore désabusés. »
Jaurès : « Ce n’est donc pas la démocratie fausse et rétrécie, la démocratie oligarchique, c’est la démocratie entière que Condorcet promulgue au nom de la Révolution. La démocratie est la grande loi de l’avenir, non seulement parce que seule elle réalise le droit de l’homme, de tous les hommes, mais parce qu’elle tend à procurer le bien des hommes, de tous les hommes. C’est toute la masse humaine, si pesante jusqu’ici et si obscure, qu’elle veut hausser à la lumière et au bien-être. »