1849 : La Constituante romaine, un symbole de liberté du peuple

1849 : La Constituante romaine, un symbole de liberté du peuple

Mardi 25 août 2009, par J.M.


La Constitution de la République romaine de 1849, de même que la Constitution jacobine de 1793, ne fut jamais appliquée. Néanmoins, elle constitue une grande étape du constitutionnalisme démocratique. Pourquoi s’y intéresser ? Parce que ses articles furent rédigés par une Assemblée Constituante élue au suffrage universel direct suite à la proclamation de la République romaine le 9 février 1849 et après d’intenses combats. Elle a pour principal organisateur et défenseur Giuseppe Mazzini. Celui-ci, observateur de la Deuxième République française, était à Marseille pour l’anniversaire de l’insurrection de la Sicile, le 12 janvier 1849. En quelques jours, il forma le plan de réunir une « Constituante romaine » puis « italienne » qui proclamerait le principe républicain face aux Etats du pape. L’Association pour une Constituante entend imprimer ce mouvement en France face aux traités européens [1].

Selon Mazzini, des hommes appartenant à la Sicile, aux Etats pontificaux, à la Toscane, à Venise, à l’émigration lombarde, aux cercles et associations de patriotes des autres régions devaient se grouper autour du gouvernement de Rome pour former le Parlement préparatoire de la Constituante. Ils le feront, en effet. Très lié aux Constituants français de 1848 (entre autres à Lamartine, Georges Sand, Lamennais, Ledru-Rollin et Victor Hugo) Giuseppe Mazzini n’hésita pas à faire connaître ses craintes quant à la fin de la Deuxième République avec la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte. Revenu en Italie pour constituer sa République dans le « printemps des peuples » où Vienne prend feu, Berlin s’insurge, la Bohême, la Hongrie, la Galicie, l’Autriche, et Milan se dressent contre les usurpateurs, il refuse de se mettre aux côtés du roi Vittorio Emanuele II et entreprend de redonner le pouvoir politique au peuple de Rome : « J’ai refusé, dit-il, toutes les offres du tentateur, et je demeure Joseph le républicain  ». Avec l’appui du peuple suite à des élections, la République romaine naît. Cette naissance est saluée par cinquante-neuf Constituants français exilés ou « proscrits », le 24 février 1849, par la lettre ci-jointe que nous reproduisons :


« 24.II.1849. AUX CITOYENS MEMBRES DE L’ASSEMBLEE CONSTITUANTE ROMAINE.



Citoyens,

La Démocratie française vient saluer en vous, avec enthousiasme, la République glorieusement fondée sur les bords du Tibre. Honneur au peuple romain ! L’histoire admirera la grandeur de son œuvre.

Cette proclamation solennelle du droit nouveau dans l’antique Rome sera certes un des mémorables événements des temps modernes ; les amis de la liberté s’en réjouissent d’autant plus que le peuple romain a montré plus de magnanimité dans l’usage de sa force. Maître de lui-même, calme, et ferme, en reconquérant ses titres imprescriptibles il a respecté la liberté religieuse, il a séparé le pape du prince.

Rome affranchie, c’est le signal de l’affranchissement de l’Italie entière, c’est le premier pas vers le rétablissement de la nationalité italienne, sous la seule forme où elle soit désormais possible, LA REPUBLIQUE.

Courage, Frères ! Déjà la Toscane est libre, Venise combat, la Lombardie est frémissante, le Piémont s’agite, le sang versé à Naples aura ses vengeurs ; bientôt de tous ces états émancipés sortira resplendissante l’unité italienne.

Jusque-là, Romains, veillez sur votre victoire, ne vous en laissez ravir les fruits par aucune faction rétrograde. Voyez ce qui se passe en France, que cette leçon ne soit pas perdue pour vous : c’est par l’énergie révolutionnaire que l’on sauve la révolution. Maintenez le peuple en armes toujours prêt à défendre sa conquête et à foudroyer ses ennemis.

L’Espagne, Naples, et l’Autriche forment, dit-on, une alliance sacrilège pour étouffer le pouvoir populaire à Rome ; ces bruits ne peuvent vous troubler, Citoyens, dans l’austère travail de votre constitution. Les vieux tyrans hésiteront avant d’attaquer les Romains fondant leur indépendance. S’ils l’osaient jamais…Citoyens d’Italie, les sympathies de la démocratie française sont ave vous ; ses volontaires, à votre appel, vous viendraient en aide pour chasser les barbares.

VIVE LA REPUBLIQUE ROMAINE. – VIVE LA REPUBLIQUE ITALIENNE !

LES CITOYENS REPRESENTANTS DU PEUPLE ».

Signataires de l’adresse à la Constituante romaine : Deville – Ledru-Rollin – Pyat (Félix) – Gent (Alphonse) – Schoelcher (Victor) – Mie (Auguste) – Sarrut (Germain) – Buvinier (Isidore) – Ollivier (Démosthénes) – Martin-Bernard – Brives – Benoit – James Demontry – Clément – Menand – Robert (de l’Yonne) – Pégot Ogier – Terrier – Greppo – Pelletier – Bruys – (Amédée) – Doutre – Joly (Edmond) – Gambon (Ferdinand) – Morhéry – Dubarry – Calés – Cholat – Leroux (Pierre) – Joly père – Raspail (Eugène) neveu – Bac (Théodore) – Labrousse – Guinard – Fargin-Fayolle – Dain (Charles) – David d’Angers – Lagrande (Charles) – Delbetz – Signard – Bravard – Toussaint – Madet – Proudhon – Mathé (Félix) – Bertholon – Perdiguier (Agricol) – Maichain – Baune – Lasteyrie – Astaix – Lamennais – Breymand – Joigneaux – Detours – Vignerte – Lefranc (Pierre« ) – Michot ». [2]

Le pape Pie IX et les conservateurs italiens sont désormais en difficulté. Pourtant, en France, ils bénéficient de l’appui du gouvernement aux mains du parti de l’Ordre et de Bonaparte qui vient d’éliminer toutes les résistances de démocrates à l’Assemblée nationale. Une intervention militaire de la France contre cette Repubblica naissante est lancée. D’avril 1849 au 4 juillet, jour où elle capitule, la République romaine ne cesse d’être soutenue par le peuple italien et si «  on chantait la Marseillaise, disait-on, c’étaient ceux que la France combattait [en Italie] qui la chantaient  ». Revenu d’Amérique latine, Garibaldi est aux côtés de Mazzini pour la défendre. En vain, si le lien entre les « Républiques sœurs » a vu le jour, la Constitution de la République romaine n’a pas le temps d’être appliquée.

Cent soixante ans après, elle permet de mettre en avant l’actualité du processus Constituant à l’échelle nationale. Le Risorgimento italien a ainsi rendu possible l’inscription dans la loi, le 3 juillet 1849, de la souveraineté populaire. L’élection d’une Assemblée Constituante en fut le seul et unique moyen…qui semble aujourd’hui devenu pour la France le plus raisonnable.


Constitution de la République romaine [3]


3 juillet 1849

Principes fondamentaux


I La souveraineté réside par droit éternel dans le peuple. Le peuple de l’Etat Romain est constitué en République démocratique.

II Le régime démocratique a pour règle l’égalité, la liberté, la fraternité. Il ne reconnaît pas les titres de noblesse, ni les privilèges de naissance ou de caste.

III La République promeut avec ses lois et ses institutions l’amélioration des conditions morales et matérielles de tous les citoyens.

IV La République considère tous les peuples comme frères : elle respecte toutes les nationalités : elle se bat pour l’italienne.

V Les Municipalités disposent toutes des mêmes droits : leur indépendance n’est limitée que par les lois d’utilité générale de l’Etat.

VI La plus juste répartition possible des intérêts locaux, en harmonie avec l’intérêt politique de l’Etat, est la règle du partage territorial de la République.

VII L’exercice des droits civils et politiques ne dépend pas de la croyance religieuse.

VII Le Chef de l’Eglise Catholique obtiendra de la République toutes les garanties nécessaires pour l’exercice indépendant du pouvoir spirituel.

Titre I Des droits et des devoirs des citoyens


Art. I. Sont citoyens de la République :
Les personnes nées dans la République ;
Ceux qui ont acquis la citoyenneté par l’effet des lois antérieures ;
Les Italiens qui y résident depuis six mois au moins ;
Les étrangers qui y résident depuis dix ans ;
Les naturalisés par décret du pouvoir législatif.

Art. 2. La citoyenneté se perd :
Par naturalisation ou résidence dans un pays étranger avec la décision de ne plus revenir ;
Par l’abandon de la patrie en cas de guerre, ou lorsqu’elle est déclarée en danger.
Par l’acceptation de titres conférés à l’étranger.
Par l’acceptation de grades, d’avantages et par le service militaire fait à l’étranger, sans autorisation du gouvernement de la République ; l’autorisation est toujours accordée quand l’on combat pour la liberté d’un peuple ;
Par condamnation judiciaire.

Art. 3. Les personnes et les propriétés sont inviolables.

Art. 4. Nul ne peut être arrêté ni ses droits naturels lui être enlevés, sinon en flagrant délit ou par mandat de justice. Aucune cour ou Commission exceptionnelle ne peut s’instituer sous n’importe quel titre ou nom. Nul ne peut être mis en prison pour des dettes.

Art. 5. La peine de mort et la confiscation des biens sont interdites.

Art. 6. Le domicile d’autrui est sacré : il n’est pas permis d’y pénétrer sauf dans les cas et modalités déterminés par la loi.

Art. 7. La manifestation de la pensée est libre ; la loi en punit l’abus sans censure préventive.

Art. 8. L’enseignement est libre.
Les conditions de moralité et de capacité, pour qui souhaite enseigner, sont déterminées par la loi.

Art. 9. Le secret de la correspondance est inviolable.

Art. 10. Le droit de pétition peut s’exercer individuellement et collectivement.

Art. 11. L’association est libre tant qu’elle se fait sans armes ni fin délictueuse.

Art. 12. Tous les citoyens appartiennent à la garde nationale dans les limites et exceptions fixées par la loi.

Art. 13. Nul ne peut être astreint à perdre la propriété de ses biens, sinon pour la chose publique, et suite à une juste indemnité.

Art. 14. La loi détermine les dépenses de la République et la façon d’y contribuer. Nulle taxe ne peut être imposée sinon par la loi, ni perçue pour un temps plus grand que celui déterminé par la loi.

Titre II Du système politique


Art. 15. Tout pouvoir vient du peuple. Il s’exerce par l’Assemblée, le Consulat, l’Ordre judiciaire.

Titre III De l’Assemblée


Art. 16. L’Assemblée est constituée par les Représentants du peuple.

Art. 17. Tous les citoyens qui jouissent des droits civils et politiques sont électeurs à 21 ans et éligibles à 25.

Art. 18. Un fonctionnaire public nommé par les consuls ou les ministres ne peut être représentant du peuple.

Art. 19. Le nombre des représentants est déterminé à proportion de un pour vingt mille habitants.

Art. 20. Les Comices généraux se rassemblent tous les trois ans le 21 avril.
Le peuple y élit ses représentants par un vote universel, direct et public.

Art. 21. L’Assemblée se réunit le 15 mai suite aux élections.
Elle se renouvelle tous les trois ans.

Art. 22. L’Assemblée se réunit à Rome, là où elle ne se détermine pas autrement, et dispose de la force armée dont elle croira avoir besoin.

Art. 23. L’Assemblée est indissoluble et permanente, exception faite du droit de s’ajourner pour le temps qui lui semblera nécessaire. Elle peut être convoquée d’urgence dans cet intervalle par l’invitation du président et des secrétaires, de trente membres, ou du Consulat.

Art. 24. Elle n’est pas légale si elle ne réunit pas la moitié plus un de ses représentants. N’importe quel nombre de présents décrète les mesures pour réclamer les absents.

Art. 25. Les séances de l’Assemblée sont publiques. Elle peut toutefois se constituer en comité secret.

Art. 26. Les représentants du peuple sont protégés pour les opinions émises dans le cadre de l’Assemblée, restant interdite à toute enquête.

Art. 27. Toute arrestation ou enquête contre un représentant est interdite sans la permission de l’Assemblée, sauf en cas de flagrant délit.
Dans le cas d’une arrestation en flagrant délit, l’Assemblée qui en sera immédiatement informée, détermine la poursuite ou l’interruption du procès.
Cette disposition s’applique dans le cas où un citoyen emprisonné peut être élu représentant.

Art. 28. Chaque représentant du peuple reçoit une indemnité à laquelle il ne peut renoncer.

Art. 29. L’Assemblée dispose du pouvoir législatif : elle décide de la paix, de la guerre et des traités.

Art. 30. La proposition des lois appartient aux représentants et au Consulat.

Art. 31. Nulle proposition n’a force de lois tant qu’elle n’a pas été adoptée par deux délibérations prises dans un intervalle supérieur à huit jours, sauf si l’Assemblée décide, en cas d’urgence, d’abréger cette durée.

Art. 32. Les lois adoptées par l’Assemblée sont promulguées sans délai par le Consulat au nom de Dieu et du peuple. Si le Consulat tarde, le président de l’Assemblée fait la promulgation.