Lettre ouverte sur la langue française

Lettre ouverte sur la langue française

Dimanche 14 janvier 2018, par Georges Gastaud

Lettre ouverte à Madame Leila SLIMANI, Romancière, Représentante permanente du Président de la République auprès de l’Organisation Internationale de la Francophonie.

Madame,

Vous venez d’être nommée représentante personnelle du chef de l’État sur les questions de la Francophonie et nous vous en félicitons.

Cependant l’heure est bien moins, hélas, aux congratulations qu’au sursaut personnel et collectif face aux menaces mortelles qui pèsent sur la langue française. Car en dépit de certaines apparences faussement rassurantes, les positions du français, « langue de la République » aux termes de l’article II-a de la Constitution, mais aussi « élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France, langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics » au titre de la loi Toubon-Tasca d’août 1994, sont gravement minées non seulement à l’échelle internationale, mais aussi et surtout sur notre propre sol.

En effet, nos associations sont submergés d’appels indignés de citoyens, mais aussi d’étrangers amis de notre langue, qui constatent avec angoisse et, de plus en plus, avec colère, que chaque jour, toutes sortes de décideurs (politiques, économiques, culturels…) quand il ne s’agit pas des plus hautes autorités de l’État, choisissent cyniquement de substituer l’anglo-américain, ou plus exactement, le Business Globish, aux expressions françaises comprises de tous. Cet arrachage linguistique est massif, méthodique, acharné, relevant tantôt de la « stratégie de communication » des chasseurs de profit dénués d’imagination (ceux que Michel Serres nomme les « collabos de la pub et du fric »), tantôt directement d’une politique d’État inavouable. C’est l’évidence quand on voit l’Union européenne privilégier systématiquement l’anglais dans sa communication (1) alors que, depuis le Brexit, l’anglais n’est plus la langue officielle déposée d’aucun État membre de l’UE. C’est flagrant quand on voit des représentants officiels de la France parsemer leurs discours d’anglais ou, rompant avec la tradition républicaine, s’exprimer ostensiblement en anglais à l’étranger, voire en France. C’est manifeste quand on sait qu’à l’arrière-plan de cette entreprise soustraite au débat citoyen, se trouvent l’invitation cynique du patronat paneuropéen à privilégier l’ « anglais, la langue des affaires et de l’entreprise » (dixit en mars 2006 Ernest-Antoine Seillières, alors président de l’UNICE) et plus encore, l’avènement en cours du « CETA » et d’autres négociations visant à instituer le grand Marché transatlantique (et ses pendants « culturels », au centre desquels se trouve évidemment le basculement transcontinental de facto, voire de jure, au tout-anglais, langue unique du futur marché unique).

Faut-il vraiment multiplier les exemples à l’heure où Renault et PSA ont illégalement décidé de basculer leur documentation interne à l’anglais, où des services publics, des Universités, des entreprises pilotées par l’État, ou des territoires de la République nomment ridiculement leurs nouveaux « produits » ou services en anglais (Loire Valley, Flying Blue, Lorraine Airport, Start in Lens, etc.), où des revues scientifiques subventionnées par le contribuable refusent les articles rédigés en français, où des Grandes Écoles et des Universités françaises privilégient l’enseignement en anglais à des Français et à d’autres francophones, où la France chante le plus souvent en anglais (ou en franglais) à l’Eurovision, où les J.O. de Paris se vendent en anglais sur la Tour Eiffel, où l’anglais se voit même érigé en « langue de travail » de… l’armée française arrimée à l’OTAN, et où la chaîne de télévision disposant de la plus large audience, (« My ») TF1, nomme en Basic English ses émissions les plus populaires (The Wall, The Voice Kids, etc.) ?

C’est pourquoi nous jugeons insupportable et terriblement violente la manière dont de hautes autorités de notre pays – mais cela semble hélas de plus en plus vrai aussi au Québec, en Belgique ou en Suisse francophones (des associations défendant la Francophonie y dressent le même constat angoissé que nous !) – laissent proliférer, voire encouragent par leur mauvais exemple, la délinquance et la pollution linguistiques tout en prétendant parfois « relancer » la Francophonie… à l’étranger. Mais que restera-t-il de la « flotte » francophone mondiale, donc à brève échéance, de la littérature, de la chanson, de la science, de la philosophie, du théâtre, du cinéma français et francophones, quand le berceau et le « navire-amiral » de la Francophonie que fut à l’origine la France, sont les premiers à se saborder, voire à promouvoir le tout-anglais en Europe, quand ce n’est pas en Afrique francophone ?

Les enjeux d’une nouvelle Défense et illustration de la langue française sont donc cruciaux, ancrés dans les combats du présent et de l’avenir. En effet, laisser détruire, reléguer ou corrompre notre langue pour permettre à quelques oligarques, snobs pseudo-cultivés et autres moutons de Panurge de se faire une place au soleil de la mondialisation néolibérale, aux dépens de la masse des Francophones de France (français et immigrés) et des cinq continents, ce serait à la fois :

- Planifier la fin de notre pays et du grand héritage qu’il porte ; tant il est vrai que le français est à la fois l’identifiant par excellence de notre peuple, le premier service public de France et le socle du lien social déjà si fragilisé dans notre pays ; bref, une France reniant le français ou le reléguant dans les seconds rôles ne serait plus guère qu’un « couteau sans manche dont on a jeté la lame »…

- Saper la Francophonie internationale, laquelle ne peut évidemment porter des « valeurs communes », comme ses dirigeants s’en targuent sans cesse, qu’à la condition de… parler la même langue, creuset d’une multiplicité de cultures dans une multiplicité d’usages ;

- Aggraver les inégalités sociales et les discriminations sociétales en durcissant comme jamais les stratifications culturelles et linguistiques ; c’est-à-dire miner les bases même de la République ;

- Favoriser insidieusement une forme de totalitarisme culturel porteur à terme, à l’échelle du monde, de l’Europe et de la France, d’une langue unique vectrice de pensée, de politique, d’économie et de culture uniques : celles-là mêmes qui déferlent sur tous les peuples en usant d’énormes moyens financiers, politiques, voire militaires… Comment cette entreprise transcontinentale d’uniformisation linguistique ne s’avèrerait-elle pas au final aussi mortifère pour l’humanité future que l’est déjà la dévastation en cours de la biodiversité qu’encourage l’omni-marchandisation actuelle des activités, des choses, voire des gens ?

- Femme de lettres attachée aux finesses de notre langue et au croisement des cultures, vous ne pouvez manquer de voir le gouffre qui sépare l’internationalisme véritable, qui suppose diversité, altérité, et dignité égale des cultures nationales, et le glacial mondialisme actuel qui, par les amputations symboliques et matérielles qu’il inflige sans trêve aux collectifs citoyens constitués, ne peut qu’attiser des crispations dangereuses pour la paix. Car, en dehors de l’agressivité aveugle, que reste-t-il d’une identité que l’on a amputée du substrat culturel, historique et politique dont la langue est la sédimentation sans cesse renouvelée ?

C’est pourquoi, à contre-courant du discours méprisant qui appelle à « supprimer les lignes de Maginot linguistiques » pour mieux « laisser faire, laisser passer » la langue unique et la servitude volontaire qui l’accompagne, nous vous demandons d’appeler avec nous à la résistance civique, au sursaut linguistique et à la créativité en français des habitants de notre pays. C’est indispensable pour que se renoue, avant que l’arrachage linguistique en cours n’ait franchi un seuil irréversible, l’alliance progressiste de l’écrivain et de sa langue qui a nourri les plus riches heures de la littérature francophone.

(1) Au point que M. Pierre Moscovici, l’ex-ministre français devenu Commissaire européen aux questions budgétaires, a naguère osé tancer en anglais, au nom de la Commission, ses ex-collègues du gouvernement français, lesquels n’y ont d’ailleurs absolument rien trouvé à redire…

Cette lettre ouverte est signée par Georges Gastaud, philosophe, président de l’Association CO.U.R.R.I.E.L.*, Robert Charvin, professeur de droit, doyen honoraire de la Faculté de droit de Nice ; Guy Chausson et G. Janot, animateurs de l’Association lotoise des Amis de la langue française ; Francis Combes, poète ; Jean-François Dejours, professeur de philosophie, syndicaliste ; Marceau Deschamps, secrétaire général adjoint et vice-président d’honneur de Défense de la langue française ; Aurélien Djament, mathématicien et syndicaliste CGT au CNRS ; Benoît Duteurtre, écrivain ; Eric Ferrières, professeur agrégé d’économie ; Barbara Flamand, écrivaine, Belgique ; Marie-Pierre Frondziak, professeur de philosophie ; Marcel Girardin, conseiller municipal ; Suzanne Körösi , journaliste et documentariste ; Annie Lacroix-Riz, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris-VII ; Laurent Lafforgue, Médaille Fields de mathématiques, chercheur à l’IHES ; Nikis Laguidis, écrivain, directeur de l’Atelier du roman ; Philippe Loubière, docteur ès lettres, de l’Association pour la sauvegarde et l’expansion de la langue française ; Aymeric Monville, éditeur, auteur ; Dominique Mutel, agrégé d’anglais ; Laurent Nardi, professeur de français ; Régis Ravat, délégué CGT à Carrefour-Nîmes ; Philippe Raynaud et Lucien Berthet, président et secrétaire de Défense de la langue française en Pays de Savoie ; Albert Salon, docteur d’Etat ès Lettres, ancien ambassadeur ; Véronique Stride, professeur de français (62) ; François Taillandier, écrivain ; Xavier Numa Borloz, entrepreneur franco-suisse d’origine malgache ; Claude Weisz, cinéaste.

* Collectif Unitaire Républicain pour la Résistance, l’Initiative et l’Émancipation Linguistiques, 10 rue Grignard, 62300 Lens – gastaudcrovisier2@wanadoo.fr – tél. : 07 61 05 99 21 ou 0321424372

1 Message

  • Lettre ouverte sur la langue française

    Le 2 février 2018 à 19:28 par Théodore

    Appeler à vous rejoindre pour défendre notre patrimoine et ce qui fait notre identité bien sûr que oui . J’ai commencé d’ailleurs ,il y a plus de 20 ans , alors que j’étais aux responsabilités ,en exigeant que les rédacteurs de rapport rédigent en français surtout quand ils s’adressaient à d’autres français. Mais comment faire ?

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