Pour une Constituante, du débat au combat - suite -

Pour une Constituante, du débat au combat - suite -

Mardi 4 septembre 2018, par Pascal Geiger

Dans son papier « Pour une Constituante, du débat au combat », Damien Loup nous encourage à saisir la double occasion des prochaines élections européennes et du projet de révision constitutionnelle pour nous débarrasser du cadre institutionnel moribond (sic) de la Vème République et d’exiger l’élection d’une Assemblée Constituante.

Personnellement, je ne peux que souscrire à cet appel.

Mais nombre de nos concitoyens s’interrogent sur la pertinence d’une telle exhortation.

Pour la plupart d’entre eux, en effet, nos institutions sont stables et respectent l’essence même de la démocratie, à savoir : la souveraineté du peuple, la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et l’égalité des citoyens devant la loi, le multipartisme, l’alternance du pouvoir et (pour ce qui concerne particulièrement la France) la laïcité, depuis 1905.

Il est indéniable, pensent-ils, que la France est un Etat souverain dont on ne peut mettre en cause la qualité de son caractère démocratique.

1. En cela, ils s’appuient, sans doute, sur le raccourci pris par les Constitutionalistes qui ont abusivement substitué, dans leurs écrits doctrinaires, la notion de « société », que fonde le peuple, à celle d’Etat que dirige une classe oligarchique qui, comme le souligne George Scelle , légifère toujours dans son intérêt propre.

En droit constitutionnel, … « l’Etat est la forme institutionnalisée du pouvoir politique et …. le pouvoir politique s’inscrit dans le cadre de l’Etat, qui constitue le support de toutes les institutions existant sur le plan national comme sur le plan international …. Sa caractéristique première est l’exercice de la souveraineté, qui est un pouvoir inconditionné, dont tous les autres pouvoirs dérivent. ».

Or, à nul endroit dans la Constitution, il n’est précisé ce que recouvre cette notion d’« Etat », ni attribué à l’Etat la responsabilité de la souveraineté. L’exercice de la souveraineté est confié au peuple directement par voie de référendum ou indirectement à ses représentants.

Mais au fil des législatures, l’Etat est devenu un mode d’organisation sociale captif, territorialement défini, qui mobilise un ensemble d’institutions détenant le monopole de la règle de droit et de l’emploi de la force publique.

Voilà pourquoi les institutions de la Vème République paraissent, en effet, stables.
Sous le contrôle depuis des décennies d’une classe politique autopoïétique, cette forme institutionnalisée du pouvoir s’arroge le droit d’agir au nom du peuple sans donner à celui-ci d’autre choix que d’accepter (ou de refuser) ce qui est constitué en dehors de lui.

La révision constitutionnelle envisagée par le gouvernement veut renforcer considérablement le poids l’Etat au détriment de celui du peuple constitué.

2. Pour autant, la France est-elle un Etat souverain ?

Si la question peut sonner comme une provocation, elle n’en est pas, pour autant, dénuée de sens. Elle dépend, surtout, de l’appréhension que l’on a de cette notion de « souveraineté ».

Jean Bodin (1530- 1596) la définit comme la puissance absolue et perpétuelle d’une République. Aucun pouvoir n’est supérieur à la puissance souveraine qui ne peut être anéantie. Il la caractérise, entre autres, comme le pouvoir de la république de fabriquer la loi, de battre (sa) monnaie, de rendre la justice, de veiller à l’intégrité du territoire.

Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que la France a perdu, depuis des lustres, ces attributs.

Sa loi est sous l’influence de traités et pactes internationaux lui imposant de modifier sa Constitution pour en intégrer leurs orientations et autres principes et ce sans en référer directement au peuple, ou comme en 2005 en contournant la décision populaire.

Sa justice est sous la double tutelle de la Cour de Justice de l’Union Européenne - dont chacun mesure, aujourd’hui, la vision anglosaxonne des interprétations et arrêts qu’elle émet -, et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Sa politique financière dépend des directives de la Commission européenne. Ainsi, depuis l’introduction de la monnaie unique, la France a perdu son autonomie monétaire et les leviers qui fondaient sa politique économique.

Celle-ci, au demeurant, dépend des principes d’action pris par différentes organisations internationales notamment l’OMC, l’OMS et autres partenariats internationaux de libre échange.

Pour Dominique Rousseau , le mouvement du monde rend la forme « Etat », aujourd’hui, décalée. Elle n’est plus la conclusion « naturelle » de l’organisation politique des sociétés.

Il en est de même pour le principe de souveraineté nationale.

Mise à mal par l’hégémonie économique des GAFA, par le diktat des barrières commerciales imposées par certaines grandes puissances, par la crise des migrants, par l’idéologie communautariste, la souveraineté nationale se dissout dans ce mouvement brownien du capitalisme débridé et écologiquement destructeur dans lequel évoluent les sociétés humaines.

Ainsi, au regard de ces « forces tectoniques » qui façonnent, aujourd’hui, le monde, les Constitutionalistes, en faisant de la souveraineté l’instrument légitime de la puissance de l’Etat sur son peuple, ont fait prendre à la République une voie qui ne peut mener qu’à une impasse sociétale : désenchantement politique, dépendance économique, augmentation du communautarisme, dégradation accélérée de l’écosystème, frictions identitaires, ….

3. Mais, s’écriront les thuriféraires de la Vème République, la France reste malgré tout une démocratie !

Oui à n’en pas douter.

La France fait partie des pays réputés démocratiques. Comme le sont le Botswana ou Israël.

Telle qu’elle se présente aujourd’hui, la démocratie est une invention récente qui tend à se développer.

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, un nombre croissant de pays se convertissent à ce régime politique. Devenue même la forme dominante de gouvernement en vigueur dans le monde, elle se réfère, depuis 2006, à une échelle de valeurs qui classe les pays selon leur implication dans la mise en œuvre des principes qui la caractérisent (processus électoral et pluralisme, libertés civiles, fonctionnement du gouvernement, participation politique et culture politique).

Ainsi, selon The Economist Group, sur 167 pays audités en 2017, 11,4% d’entre eux (représentant quelque 4,5% de la population mondiale – PM -) sont identifiés comme démocratie pleine ; 34,1% (soit 44,8 % de la PM) comme démocratie imparfaite ; 24% (soit 18% de la PM) comme régime hybride, et 30,5% (soit 32,7%de la PM) comme régime autoritaire.

La France, reconnue comme démocratie imparfaite , se classe 29ème. Juste derrière le Botswana et devant Israël.

Le plus inquiétant est la baisse constante de son indice de démocratie. De la 23ème place en 2014 avec un indice de 8,04 (Démocratie), la France descend sous la barre des 8 (7,92 en 2015 et 2016) pour atteindre en 7,8 en 2017.

La raison de cette chute constante tient à la faiblesse de son indice : culture politique qui identifie l’écart croissant entre les élites politiques et les électeurs, d’une part et d’autre part l’influence grandissante des experts et autres institutions, ne relevant d’aucun mandat électif, auprès des élus.

Cet indice a été évalué pour la France à 5,63/10 en 2017. Soit l’indice le plus bas des 28 pays européens.

Décidément, Damien Loup a raison lorsqu’il évoque le cadre moribond de la Vème République.

Le peuple constitué doit recouvrer ses droits, (re)devenir cette force institutionnalisée du pouvoir politique et replacer l’Etat à la place qui est la sienne, à savoir : une instance en charge de veiller à la bonne application de la constitution voulue et élaborée par le peuple.

Les prochaines élections européennes ainsi que le projet de révision constitutionnelle sont les occasions rêvées pour entamer ce combat en exigeant l’élection d’une Assemblée Constituante.

Pascal Geiger

22 Août 2018

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