On respire dans les bureaux européens
Mardi 1er août 2023, par
La polémique suscitée par la nomination de Fiona Scott Morton à Bruxelles a, semble-t-il, pris fin au grand soulagement de beaucoup.
Pris fin ? En apparence oui. Un des principaux postes de l’Union européenne n’a donc pas été attribué à une Américaine, ce qui permettra à Emmanuel Macron de continuer à parler de souveraineté européenne sans sombrer dans le plus parfait ridicule.
Voire. L’Union européenne a-t-elle vraiment une réalité indépendamment des Etats-Unis ? La nomination d’une citoyenne américaine faisait-elle autre chose que briser une fiction ? La question est particulièrement intense en ce moment où s’impose un discours européiste qui masque plus ou moins bien un renforcement de l’emprise américaine en Europe.
En fait, en nommant Fiona Scott Morton, Ursula Von der Leyen avait démontré, avec une simplicité désarmante, qu’elle était davantage préoccupée par l’alliance atlantique que par l’autonomie stratégique européenne.
La coordination militaire dans l’espace européen, souvent évoquée par des journalistes complaisants comme un projet de défense européen vit une apparente contradiction. Alors même que les Etats-membres prétendent, tout en assumant leurs particularités, unir leurs actions en matière de politique étrangère et de défense, c’est en fait l’OTAN qui apparait comme le seul lien réel. L’intervention russe en Ukraine a supprimé les dernières velléités de neutralité (Suède, Finlande) et la politique de défense commune est désormais sous l’égide du pacte atlantique. La fameuse "boussole stratégique" de l’Union, adoptée en 2022, cadre tout à fait avec les objectifs américains et la vision du monde défendue par Washington.
En ce qui concerne la France, la défense nationale cède ainsi le pas à la défense de l’Occident. Toute notre politique étrangère est ainsi enfermée dans les intérêts stratégiques d’un espace particulier. Or, ce qu’on appelle l’Occident, dominant le monde sans grand partage depuis l’éclatement de l’URSS, voit aujourd’hui son influence largement contestée dans le monde. Ainsi Ghassan Salamé, grand diplomate auprès de l’ONU, constate-t-il que « jamais l’Occident n’a été aussi uni, jamais il n’a été aussi isolé ». Nous sommes solidaires de cet isolement qui, par exemple, éloigne la France de la méditerranée.
Mais, comme en tant de questions, au sein de l’Occident, certains sont plus égaux que d’autres.
Inégalité en matière militaire. Si les pays européens investissent massivement dans la défense, c’est largement au profit de l’industrie américaine, accélérant ainsi la dépendance vis-à-vis du parapluie américain et des intérêts géostratégiques américains.
Inégalité en matière économique. Cette dépendance envers les Etats-Unis est, par ailleurs, renforcée par l’utilisation d’un droit que s’est autoritairement octroyé Washington, la justice américaine accusant les entreprises européennes de ne pas respecter des sanctions décidées unilatéralement par la Maison Blanche. L’extraterritorialité est devenue une une arme pour absorber ou éliminer des concurrents. Nous sommes bien loin de la préférence communautaire initialement défendue par la France dans la construction européenne. En bref, la fameuse concurrence libre et non faussée, pilier du droit défendu par l’OMC, devient la propriété de certains.
Nihil novi sub sole.