La Constituante chilienne encore et toujours d'actualité

La Constituante chilienne encore et toujours d’actualité

Mardi 30 août 2011, par Association pour une Constituante

Vous trouverez ci-dessous un article que nous a transmis notre ami Chilien, M. Luis Casado, éditeur de la revue Politika, écrit par Armando Uribe Echeverría - Responsable des relations internationales - PAIZ, Parti de gauche du Chili. Cet article concerne le rôle des étudiants dans la promotion d’une Constituante.

Depuis plusieurs années, avec pour trait caractéristique de vouloir écrire une nouvelle Constitution, le peuple Chilien souhaite vivement un renouvellement politique et institutionnel de grande ampleur et des institutions remettant en cause la Constitution chilienne actuelle datant de l’ère Pinochet (malgré plusieurs amendements plus contemporains). Plusieurs mouvements politiques se sont constitués à cette occasion. En particulier, le mouvement d’orientation socialiste pour une Assemblée Constituante (http://asambleaconstituyente.cl/), qui comprend un nombre conséquent de jeunes militants dans ses rangs et consolide les forces démocratiques. Nous attirons aussi l’attention du public français sur les revendications pour une Assemblée Constituante faites par le collectif chilien pour le peuple Mapuche dont les arguments pour une Constituante sont essentiellement liés, d’une part, à l’intérêt de ce peuple autochtone pour la libération de ses prisonniers politiques, à la fin de la répression de la jeunesse, à la halte aux entreprises forestières et hydroélectriques et à la restitution des terres ancestrales, conformément au Traité de Tapihue (1826). Dans ce contexte, les appels se multiplient à la démission du gouvernement et des parlementaires souvent considérés comme coupables de haute trahison. C’est la raison pour laquelle la Constituante souhaitée l’est "avec la participation de toutes les couches de la société chilienne : habitants des poblaciones, femmes au foyer, étudiants, ouvriers, paysans, intellectuels, artistes et professionnels, afin de changer une fois pour toutes la constitution pinochettiste de 1980" [1]. Événement significatif : les étudiants s’organisent de façon très conséquente à ce sujet dans les universités, comme le relate le quotidien chilien El Chileno [2], pour faire valoir leurs droits de citoyens, lutter pour une école publique, laïque et gratuite (en réponse aux très dures vagues de privatisation) et exiger la résolution des conflits politiques, indigènes et sociaux par l’élection urgente de cette Assemblée. Les enjeux, motifs et arguments pour une "Constituyente" ne cessent donc de fleurir au Chili et prennent tous appui sur le fait que la Constitution actuelle n’a que pour fonction de maintenir la condition de dictature des années Pinochet. C’est ainsi, entre autres, que la revue Politika, 15 août 2011, p.2, de La Izquierda présente récemment un texte du jeune chercheur Salvador Muñoz, sur la façon dont une Constituante redonnera vie à la République chilienne :

"Le Chili a besoin d’une Constitution démocratique qui lui redonne sa qualité de République. Une Constitution approuvée par l’immense majorité de ses citoyens, qui soit le reflet fidèle de la volonté et de l’intérêt général et non d’un petit groupe de privilégiés. Une Constitution moderne, qui protège les travailleurs, l’environnement, nos richesses naturelles, qui reconnaisse les droits des peuples autochtones, qui ouvre des perspectives aux centaines de milliers de petites et moyennes entreprises" [3].

Nous continuons, dans ce cadre, à approfondir nos liens avec le mouvement démocratique qui ne cesse de s’approfondir au Chili.

JM


Les étudiants chiliens relèvent le défi.

par Armando Uribe Echeverría

Le Chili est un pays de fantaisie. Après la très sombre dictature du général Pinochet, avec le retour des civils au pouvoir en 1990, le Chili se présente comme un prospectus pour touristes, avec données économiques époustouflantes et une démocratie merveilleuse. Qui pouvait penser que derrière cette « image-pays » — comme elle a longtemps été désignée sérieusement par les gouvernants successifs — survivait une réalité sinistre : le maintien intégral du système institutionnel, juridique et économique de la dictature ? Personne. La « transition » était parfaite, avec un avantage considérable pour les auteurs de ce tour de passe-passe : le « modèle », comme ils l’’appellent, serait désormais géré par des personnes incontestables sur le plan international : des anciens exilés, des anciens activistes
anti-Pinochet, de purs démocrates. Les journalistes du monde entier, comme les spécialistes — politologues, économistes, sociologues…— se sont empressés d’applaudir.

Ce maintien intégral repose sur une Constitution inspirée par le franquisme et adoptée en 1980, en pleine dictature, avec un pays sous couvre-feu, avec des milliers de prisonniers politiques torturés dans des prisons secrètes, des dizaines de milliers détenus dans des camps de concentration, des centaines de milliers d’exilés, toutes garanties suspendues. Pour étonnant que cela puisse paraître, c’’est cette Constitution complétée par les « Lois Organiques Constitutionnelles » adoptées par Pinochet immédiatement avant de quitter le devant de la scène qui continuent d’’encadrer la vie politique,
sociale et économique du Chili plus de 20 ans après, en verrouillant toute possibilité de changement. La volonté déclarée des idéologues pinochetistes, dont la figure principale, Jaime Guzmán, reste une référence pour la droite au pouvoir, était que, quel que fussent leurs successeurs au pouvoir, ils fussent contraints d’’appliquer la même politique.

Parmi ces « Lois Organiques », celle de l’’éducation, la LOCE, démonétisait tout l’’enseignement secondaire public en en confiant la pleine responsabilité aux municipalités bien incapables de le gérer sans moyens. La dictature avait fermé dès 1973 les exemplaires écoles normales ainsi que l’’institut pédagogique, les lieux emblématiques de la formation des instituteurs et des professeurs, qui étaient un des orgueils de la République et le foyer de presque toute la vie intellectuelle de ce pays riche en écrivains, et qui avaient formé les deux prix Nobel de littérature chiliens, Gabriela Mistral et Pablo Neruda.

Les lycéens s’’étaient déjà soulevés contre cette éducation au rabais,
réservant l’’accès au savoir à ceux qui peuvent le payer, accroissant des disparités sociales traditionnelles et insurmontables sans la possibilité d’’accéder au savoir. La loi facilitait également l’’installation
d’’universités privées pratiquement non régulées, en principe à but non lucratif et libres de délivrer des diplômes à leur guise. Fort lucratives, en réalité, grâce aux subventions versées par l’’Etat pour chaque étudiant, grâce au prix exorbitant de chaque cursus —financés par des prêts à taux usuriers à chaque étudiant— et moyennant, enfin, les redevances payées par les universités aux sociétés immobilières possédant les campus et aux entreprises les entretenant, toutes aux mains des propriétaires des universités. Le Chili est le seul pays au monde où 70% du coût de l’’éducation des jeunes doit être pris en charge par la famille.

Le conflit lycéen s’’était réglé en 2006 par un « grand accord national sur l’’éducation » dont les promesses n’’ont pas été tenues. Le mouvement étudiant et lycéen de 2011, auquel on doit depuis trois mois les plus imposantes manifestations jamais vues depuis la fin formelle de la dictature, est mené ceux qui étaient lycéens en 2006, qui ont été floués par le gouvernement précédent et qui entendent ne pas se laisser faire cette fois-ci.

Ils ont été très vite rejoints par les professeurs, puis par les recteurs des universités traditionnelles, puis par un nombre incalculable d’organisations sociales de tout ordre, qui s’’étaient essayées à la mobilisation politique de masse lors des manifestations contre un projet écocide de centrale hydro-électrique dans le sud du pays. Les 24 et 25 août, c’’est les syndicats qui ont rejoint le mouvement, en appelant à une grève générale. Depuis trois mois, aussi, 32 lycéens s’’étaient lancés dans une grève de la faim à laquelle ils viennent de mettre un terme ce 25 août.

Toutes les manifestations ont été infiltrées par des policiers en civil et
des agents provocateurs. Toutes, sauf une, ont été aussi durement réprimées que l’’étaient les manifestations en pleine dictature, les Forces Spéciales des Carabiniers (la police militarisée) s’’en prenant aux manifestants avec une violence excessive. Ce 25 août des détachements des Forces Spéciales ont pénétré violemment à 1h30 du matin dans trois à quatre maisons dans plusieurs banlieues pauvres de Santiago (Pedro Aguirre Cerda et La Victoria, mais probablement d’’autres également) en détruisant tout sur leur passage et
en tabassant toutes les personnes présentes, y compris des enfants et des personnes âgées, dans ce qui semble bien être une opération planifiée d’’intimidation. Ils avaient fait de même dans plusieurs établissements scolaires de la capitale occupés par des lycéens, en provoquant également des destructions et des blessés.

Le gouvernement chilien et ses troupes parlementaires hésitent depuis trois mois entre l’’affrontement sous couvert de maintien de l’ordre public et l’’appel au dialogue afin d’endiguer une vague de colère sociale qui grandit de jour en jour. Les partis au pouvoir comme l’’opposition officielle (la « Concertation » qui réunit les Démocrates-Chrétiens, les Socialistes, les Radicaux et les opportunistes) essayent désormais de limiter le problème aux seules questions de l’’éducation, pour lesquels les uns comme les autres proposent des solutions partielles. Les lycéens et les étudiants continuent d’’exiger la garantie d’’une éducation gratuite et de qualité à tous les échelons et la fin du système imposé par la dictature et largement développé
par la Concertation.

Lorsque les journalistes demandent aux lycéens comment ils envisagent la sortie de crise, ils répondent sans hésiter : une nouvelle Constitution au moyen d’une Assemblée constituante. Pour le monde politique chilien régulé lui aussi par une « Loi Organique Constitutionnelle » et une loi électorale « binominale » aberrante c’est comme proposer l’’enfer ou, du moins, une promesse de purgatoire éternel. Les étudiants et les lycéens viennent de souligner, en effet, la véritable fracture politique qui traverse la société chilienne que les pouvoirs ont jusqu’’ici refusé de voir, car il n’’y a, en effet, que deux partis au Chili : d’’un côté ceux qui ont accepté l’’héritage de Pinochet et en ont fait leur propre patrimoine ; de l’’autre, tous les autres, tous ceux qui ont été soumis, contre leur gré, leur avis, leurs opinions et leurs valeurs, à cet héritage néfaste qui a fait du Chili le paradis du néolibéralisme, le premier pays où celui-ci a pu être mis en place avant que Reagan et Mme Thatcher en fassent leur pain quotidien et qu’i devienne une vulgate économique et politique mondialisée. Grâce aux étudiants on distingue désormais clairement les deux catégories de population : la poignée de ceux qui profitent du capitalisme contemporain et la grande majorité qui le subit. Le conte de fées de la main invisible du marché a vécu, et nous devrons certainement à la détermination des étudiants et des lycéens chiliens le retour prochain à une tradition républicaine qui avait cessé d’exister le 11 septembre 1973.

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