Réponse de André Bellon à Anicet Le Pors

Réponse de André Bellon à Anicet Le Pors

Mardi 11 septembre 2012, par Association pour une Constituante

Réponse de André Bellon,
Ancien Président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale,
Président de l’Association pour une Constituante
à Anicet Le Pors
Ancien ministre, Conseiller d’État honoraire (Institut d’histoire de la CGT – 5 avril 2012).

Dans un texte largement diffusé le 5 avril 2012 et intitulé « Le rôle de l’État et son évolution », Anicet Le Pors analyse la question des institutions à la fois sur un plan historique et quant à l’opportunité de faire de ce problème une question centrale du moment.
Disons tout de suite que ce texte est particulièrement utile en cette période ; il prolonge d’ailleurs d’autres écrits du même auteur et je souhaite particulièrement qu’il puisse être à l’origine d’un débat bien nécessaire.

Au-delà d’un survol de l’Histoire des institutions en France, Le Pors cible sur la période actuelle en y voyant, avec raison d’ailleurs, une volonté de nos responsables de banaliser la France, d’en gommer les singularités, en particulier les options républicaines. Il déclare ainsi : « Comme l’a écrit le philosophe Marcel Gauchet : « Le programme initial du sarkozysme, c’est un programme de banalisation de la France », phrase d’ailleurs reprise dans le préambule du texte. Rien de plus vrai, mais pourquoi spécifiquement Sarkozy ? C’est là le programme de tous les gouvernements successifs depuis plusieurs décennies. Il serait plus juste de dire que le Président de la République, assez omnipotent par rapport à son peuple, est, pour l’essentiel, le porte parole de Bruxelles en matière économique et financière.

Cette remarque serait accessoire si elle n’expliquait pourquoi le peuple, en tant que tel, n’apparaît pas comme acteur dans ce texte, au-delà des références nécessaires à la démocratie. Car s’il est bon de se poser la question de l’équilibre des institutions, en particulier quant au rôle du Parlement, il conviendrait évidemment de se demander en amont si le Parlement sert encore à quelque chose. Car, s’il ne sert à rien, est-il vraiment nécessaire de se poser la question de l’équilibre des pouvoirs sur l’espace national ? J’avais moi-même posé la question de cet équilibre dans une article du Monde Diplomatique de mars 2007, ( http://www.pouruneconstituante.fr/spip.php?article130) intitulé « changer de Président ou changer de Constitution ? », mais je concluais en déclarant que l’élection d’une Assemblée Constituante au suffrage universel était à l’ordre du jour.
C’est là que réside une divergence profonde avec Anicet Le Pors. Celui-ci nous déclare : « La même argumentation (que celle opposée aux partisans de la 6ème république -souligné par nous-) pourrait être opposée aux partisans d’une Constituante. Toutes les constituantes sont survenues après des évènements majeurs et sur les décombres de l’ordre précédent. Ce n’est pas la situation actuelle et une telle proposition permet de ne rien dire du contenu. C’est encore une facilité ». Le moins qu’on puisse dire est que limiter la réponse à l’idée de Constituante à une soixantaine de mots dans un texte qui en comporte environ douze mille est une remarquable facilité.

Dans l’Histoire, on ne peut proclamer que des évènements étaient « majeurs » qu’après ces évènements. Par exemple, comme le dit Claude Nicolet, grand Historien de la République, la Révolution de 1848 aurait sans doute pu être évitée si Louis-Philippe avait tout simplement triplé un corps électoral exsangue dans le système censitaire qu’il avait créé. Qui décide donc que les évènements justifient un changement radical ? Qui, sinon les citoyens ? Qui considère qu’ils s’accommodent très bien de la situation dramatique dans laquelle s’enfonce le pays ? N’ont-ils pas d’ailleurs répondu le 29 mai 2005 et qui a décidé que leur avis n’avait pas d’importance ?
La vraie question n’est d’ailleurs pas là. Elle est de savoir qui décidera d’un nouvel équilibre des pouvoirs. Qui, sinon le peuple ? Et qui a les moyens de passer outre aux diktats de Bruxelles ? Qui, sinon les citoyens ? Au nom de quelle enquête a-t-on décidé qu’ils n’avaient pas plus d’idées que les quelques experts qui proposent des modifications institutionnelles ? Ceux-ci ont-ils, plus que l’ensemble des citoyens, la capacité d’imposer des réformes ? En fait, la question posée par la Constituante est la reconnaissance du rôle éminent du peuple en tant que corps politique souverain dans une phase de contradictions majeures. En aucun cas, cela ne saurait signifier une vision romantique du peuple trouvant naturellement la voie du salut. Les appels aux élus, aussi bien nationaux que locaux, que nous avons lancées prouvent, de notre part, la recherche d’une solution équilibrée.

En revanche, le refus de donner la parole aux citoyens, au nom d’une situation qui ne le justifierait pas, porte en germe des révoltes qu’on déclarera plus tard ne pas avoir voulues.

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Réponse d’Anicet Le Pors

Merci pour ta réponse au texte qui m’avait servi de base à une intervention devant l’Institut d’histoire de la CGT, le 5 avril dernier.

Nous avons sans doute une divergence quant à l’importance à accorder au thème de la constituante dans le débat sur les institutions, mais sur un fond d’intérêt commun accordé à la question institutionnelle. C’est à mes yeux l’essentiel et on peut dire que, dans le contexte actuel, cet intérêt n’est pas largement partagé.

Ton intervention discute de la reconnaissance du caractère « majeur » à accorder à un événement. Sur ce point je suis d’accord avec toi : c’est ex-post que l’on peut en reconnaître, mais cela n’empêche pas d’en envisager l’occurrence si on ne peut en décrire l’importance et le contenu. C’est bien aussi le peuple qui doit faire l’histoire s’il ne sait pas toujours l’histoire qu’il fait.

Mais l’importance n’est pas dans le mot-valise « constituante », il est dans le contenu qu’on envisage de lui donner. C’était le but de mon texte dans lequel je prenais position sur : souveraineté nationale et populaire, démocratie directe (place du référendum), parlement et élaboration de la loi, exécutif, État et citoyenneté, etc. Se contenter d’évoquer, ou de privilégier, le mot par rapport au contenu fait écran aux choix fondamentaux et au débat à leur sujet. Je fais la même remarque concernant l’invocation, (de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen) d’une VIe République.

Il y aura sans doute un jour une Constituante. Pas plus que je ne sais reconnaître ex-ante le caractère majeur d’un événement à venir, tu ne saurais identifier une constituante aujourd’hui indéterminée. L’essentiel est donc de dire ce que nous mettrions dans ce projet pour que, le moment venu, nous soyons prêts à l’écrire.