Le paradis du hasard
Samedi 16 mai 2009, par
Le paradis du hasard
La crise profonde de la démocratie que nous traversons génère des réactions aussi passionnées que discutables. Dans cet océan d’incertitudes et d’inquiétudes, la dernière trouvaille des réformateurs, se présentant comme une avant-garde des évolutions positives, serait d’exhumer la vieille idée du choix des représentants du peuple grâce au tirage au sort. La main de Dieu en quelque sorte !
Si l’Association pour une Constituante a mis dans ses statuts le principe et le respect du suffrage universel, ce n’est pas par fétichisme.
C’est tout d’abord par confiance dans le citoyen. Combien de fois n’avons-nous pas entendu blâmer son inconséquence, sa versatilité, sa propension à être manipulé par des forces obscures et réactionnaires ? Ces anathèmes sont le plus souvent lancés par des minorités qui ont le plus grand intérêt à se débarrasser de la souveraineté populaire et justement à manipuler le pouvoir. Elles cherchent à faire croire que le peuple est formé d’irresponsables qui doivent être guidés par « les gens bien ». Nous considérons, à l’inverse, que l’homme est un être social, concourt à l’expression de la volonté populaire et que c’est un de ses droits fondamentaux de pouvoir exercer, en toute liberté, sa responsabilité dans la société.
C’est ensuite par confiance dans le débat. Une société vit par ses contradictions et les affrontements sont nécessaires à l’évolution. La démocratie n’est donc pas une manière de supprimer les affrontements, mais une méthode pour les conclure au mieux. Encore faut-il, évidemment, que les institutions politiques permettent que les oppositions s’expriment et soient véritablement représentées. C’est pourquoi une Constitution réellement démocratique est indispensable à la résolution optimale des contradictions sociales.
C’est enfin par hostilité à toutes les oligarchies. Certes, on nous dira que nous ne sommes plus sous l’ancien régime, qu’il n’y a plus de noblesse. Officiellement non. Mais au prétexte de la complexité du monde, une classe très restreinte a confisqué le droit de gérer les affaires publiques comme les affaires privées……avec les résultats catastrophiques que l’on constate à nouveau aujourd’hui.
L’expression de la volonté populaire n’en est que plus nécessaire. Un débat raisonné conclu par un vote est indispensable pour poser les enjeux, s’opposer aux idées dominantes et proposer des solutions nécessaires à la Société.
Le système est bloqué. Une assemblée Constituante élue au suffrage universel direct est la seule réponse à l’indispensable changement de système politique. Contre le monopole politique que s’est octroyé une étroite classe dirigeante, elle seule peut être, en effet, l’émanation de cette volonté populaire.
Prétendre, dans ce contexte, remplacer, pour la désignation des constituants, le choix des citoyens par celui du hasard est une illusion particulièrement perverse. Le tirage au sort des députés est, si on y regarde de plus près, le rêve de la classe dirigeante. Des citoyens isolés, sans identités politiques, sans liens avec les citoyens, sans mandats et sans responsabilités devant les électeurs sont, en effet, une proie idéale pour toutes les technocraties. Il est d’ailleurs révélateur que les tenants de ce système évoquent subrepticement la nécessité de conseillers qui donneraient leurs précieux conseils aux nouveaux délégués, sortes de Robinsons politiques. La soumission heureuse en quelque sorte !
Histoire de rire un peu, observons aussi que les partisans du hasard en politique ne proposent pas de tirer au sort les membres et les présidents des conseils d’administration, des conseils de direction des entreprises, de la haute fonction publique et militaire.
L’entrée du hasard, par le tirage au sort, transforme la vie politique en une vie hasardeuse. De tels discours soumettent la vie publique aux aléas alors que les institutions sont censées protéger tout individu du hasard de la vie par des lois et des mécanismes redistributifs. Il en va de même de tout système politique, et des élections : si le hasard les gouverne, rien ne peut jamais être remis en cause, les critiques étant alors à adresser à la Providence.
Affirmons toutefois que ce n’est pas sans raisons qu’un tel projet rencontre de l’audience et qu’on ne saurait le critiquer sans s’attaquer aux causes qui l’ont fait naître. Les partis politiques ont, pour l’essentiel, accepté la « pensée unique » qui domine aujourd’hui le monde et en mettent souvent même en œuvre les conséquences néfastes. Bien plus, leur fonctionnement disciplinaire archaïque empêche toute possibilité d’expression dissidente significative. Sanctionnant tous les écarts, ils ne sont souvent que des acteurs corrompus de la dégénérescence de la démocratie.
C’est donc tout le fonctionnement de la vie publique qui demande à être remis en chantier. Loin de reproduire encore l’identique, il faut trouver les moyens de désigner des constituants liés à leurs mandants dans une vraie dynamique du débat collectif.
On nous dira que le vote reproduira ce qui existe déjà. Répondons avec fermeté que cette affirmation pessimiste revient à dire qu’il est impossible de surmonter les forces aujourd’hui titulaires du pouvoir. Heureusement que les révolutionnaires de 1789 avaient plus d’audace. Sinon la Bastille serait toujours à sa place.
Au lieu de s’en remettre au ciel pour régler les problèmes à notre place, rassemblons nous pour trouver les moyens d’une relation saine et démocratique entre les citoyens et leurs représentants. Les questions sont multiples : Sur quels critères doivent-ils être élus ? Quels rapports avec leurs mandants ? Comment donner un rôle au contrôle des élus ? Quelle place au référendum d’initiative populaire ?......................
C’est aujourd’hui que ce débat doit commencer, loin des futilités que nous imposent des échéances électorales imposées. La démocratie, la Constituante ne sont pas des détours de plus dans une société amorphe. Elle est le symbole et le moyen de la réaffirmation de la volonté des citoyens, de leur prise de leurs propres problèmes, de leur combat contre la soumission.
André Bellon