La stratégie de la culpabilisation

La stratégie de la culpabilisation

Jeudi 15 mars 2018, par André Bellon

La volonté d’Emmanuel Macron d’imposer son projet institutionnel nous oblige à un vrai débat. Voici ci-dessous mon analyse de ces perspectives.

La stratégie de la culpabilisation


Le Président de la République a annoncé son intention de modifier la Constitution dans une nouvelle étape de remise en cause du pouvoir parlementaire. Si le Parlement ne voulait pas avaliser ses modifications institutionnelles fondamentales décidées de façon arbitraire, il menace de recourir au référendum. On pourrait s’étonner de voir le référendum brandi comme une menace si l’Elysée ne spéculait pas sur un rejet présumé du Parlement par les citoyens. Dira-t-on alors que son attitude est « populiste », comme à chaque fois qu’on fait appel au peuple ? Sans doute pas puisque le projet va dans le sens souhaité par la classe dirigeante et par les autorités de Bruxelles. Ainsi, l’exécutif qui, depuis des années, affaiblit le pouvoir des parlementaires, voudrait utiliser le rejet que ces derniers susciteraient pour l’affaiblir encore plus.

Il est plus que temps de réagir contre l’antiparlementarisme qui s’est développé au fil des ans dans notre pays.

J’ai été député et j’ai été fier de représenter nos compatriotes. Certes, il existe au sein du Parlement, comme dans toute communauté, des brebis plus ou moins galeuses, certains ayant utilisé leur influence à des fins financières. Il est bon que la justice puisse se saisir de leurs écarts. Mais ce n’est pas le cas de la très grande majorité des membres de l’Assemblée. Jetterait-on l’opprobre sur le corps des pompiers s’il s’y révélait un pyromane ? Un Balkany humilie-t-il toute la droite ? Un Tapie humilie-t-il toute la gauche ?

Le rejet du Parlement par les citoyens s’alimente surtout, et non sans raison, à la vision qu’ont les électeurs de leurs élus. Les citoyens ne se considèrent plus représentés. Certes, il existe des élus qui oublient leurs responsabilités, la nécessité de respecter leurs engagements vis-à-vis des électeurs, qui renient la parole donnée. Ne fut-ce pas aussi d’ailleurs, le cas de plusieurs Présidents de la République ou du Président actuel de l’Assemblée nationale ? Mais si le fait est avéré, la cause se trouve dans les institutions mêmes dont le fonctionnement, depuis plus d’un demi-siècle, a transformé les députés en professionnels de la soumission, en vassaux du Président.

J’ai vécu cette dégradation de la fonction parlementaire, de la possibilité d’être un vrai représentant des citoyens. Même si j’ai rompu, il y a deux décennies, avec un parti qui soutenait de moins en moins les valeurs républicaines, je continue de croire en la force du Parlement et à son rôle démocratique, la souveraineté populaire qu’il porte étant de plus en plus détestée par les dirigeants. Le mépris croissant exprimé par les citoyens est aussi, et peut-être avant tout, l’expression de leur inintérêt devant des élus qui ne jouent pas ou ne peuvent pas jouer leur rôle.

Nombre de députés, déçus, parfois humiliés, dans un mandat auquel ils croyaient se sont éloignés d’une fonction à laquelle ils avaient donné leur talent et leur volonté. Très peu ont failli. Mais beaucoup ont, de façon inattendue, intégré la culpabilisation que tout le système médiatico-politique a dessiné au fil des ans. Accusés de tous les maux, rendus incapables d’assumer leur mandat et de s’opposer au pouvoir présidentiel, ils sont souvent d’autant plus leurs propres accusateurs qu’ils sont devenus des professionnels soumis à leur hiérarchie.

C’est cela qu’il faut changer. Au-delà de la critique justifiée de certaines pratiques, il importe de rappeler que, dans l’Histoire, c’est souvent au nom d’une prétendue « moralisation » que les pouvoirs exécutifs ont remis en cause les fondements de la démocratie. L’Histoire prouve que la marge est très étroite entre la condamnation nécessaire de certains et un antiparlementarisme alibi de dérives autoritaires. Il incombe à tous les républicains que le pas entre les deux ne soit pas franchi. Rappelons que notre pays a été confrontée à plusieurs reprises à l’alternative entre tentation césariste et reconstruction républicaine nécessaire.

La dernière élection a montré la grave crise de régime et des tendances réelles à l’illégitimité des pouvoirs. Au-delà des méthodes moralisatrices qui, pour être nécessaires, ne s’attaquent qu’aux conséquences et pas aux causes, il importe aujourd’hui de rétablir la confiance par un véritable débat au sein de la population et non par un diktat. Confondre bon fonctionnement du Parlement et réduction de ses moyens peut être malheureusement populaire, mais ne fait que renforcer l’idée que la démocratie est un fardeau. Par exemple, diminuer le nombre de parlementaires peut se discuter, mais fait partie de ces bonnes/mauvaises idées qui s’appuient sur la méfiance. A quand l’Assemblée réduite à 3 membres (il faut un impair et au moins un homme et une femme) ?

Rappelons que ce n’est pas un hasard si la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 confie à la loi l’organisation des matières essentielles aux libertés et aux droits fondamentaux. C’est cette mission essentielle de représentation des intérêts des citoyens et de définition de l’intérêt général que le Parlement doit retrouver.

Les parlementaires ne doivent pas se laisser entrainer par la facilité des discours démagogiques. Ils doivent réaffirmer leur attachement aux principes de la République, aux valeurs de la démocratie, avec toutes les conséquences tant organiques que morales que ce choix implique. C’est en l’occurrence une mesure de salut public car elle concerne la vie même de notre société politique.

Cet article a, par ailleurs, été publié dans l’Humanité du 14 mars 2018 - Voir pièce jointe

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