Intervention d'André Bellon à Saint Denis le 12 janvier

Intervention d’André Bellon à Saint Denis le 12 janvier

Vendredi 18 janvier 2019, par Association pour une Constituante

Dans le cadre du rassemblement autour de l’Universalisme, voici la vidéo de l’intervention d’André Bellon. Elle est suivi du texte correspondant.

Texte

D’entrée de jeu, je tiens à exprimer la gêne d’être qualifié de Philosophe, ce que mon pedigree ne permet pas. Cela étant, quand je vois les philosophes qui hantent les plateaux télé, il m’arrive de me dire « Au fond, pourquoi pas moi ? ».

Depuis des années, un discours est devenu dominant, celui qui ne voit l’Histoire de la République qu’au travers des horreurs coloniales. Des historiens en ont fait leur fond de commerce. Je pense par exemple à Pascal Blanchard qui résume la République aux zoos humains, … Une presse leur fait largement écho et ne répercute jamais des historiens qui donnent une vision non pas moins critique, mais moins apologétique. Je pense par exemple à Claude Liauzu ou Samuel Tomei, l’un communiste, l’autre radical.

Avant toute chose, et pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur ma vision de la colonisation, je veux dire que je me présente souvent comme un disciple de Robert Bonnaud, mon professeur d’Histoire à Marseille qui fut emprisonné aux Baumettes du fait de sa lutte contre la guerre d’Algérie.

La critique de la colonisation n’a donc pas attendu les combattants de la 25ème heure. Je suis, pour ma part, frappé de voir certains trouver leur chemin de Damas en se posant en combattants de guerres coloniales depuis longtemps terminées par leurs ainés, justifiant de la sorte l’idée que ces guerres sont toujours présentes. Du coup, il n’y a plus de débats. Il y a simplement des bourreaux et des victimes plus ou moins construites d’ailleurs, la victime étant, comme on le sait, le héros des temps modernes. Il ne peut donc y avoir de contrat social, ni d’espace public.

Comment en est-on arrivé là ?

1/ La République est la traduction politique de l’universalisme humaniste, l’idée d’un homme libre dans une société libre. Pas un homme déterminé, mais un individu qualifié par sa seule condition humaine. Je précise que je ne dirai pas à chaque fois « les hommes et les femmes », me situant dans la pensée des penseurs de la Renaissance pour qui Homme voulait dire « être humain », la langue française étant encore marqué à l’époque par le neutre issu du Lain et que j’aimerais bien voir réhabilité. Rappelons-nous donc cette phrase de Montaigne : « Tout homme porte en soi toute l’humaine condition » C’est donc un système où la liberté des uns porte celle des autres.

L’universalisme humaniste se différencie des autres universalismes, en particulier religieux, en ce qu’il est le combat pour la raison, pour l’esprit critique, donc pour la liberté. Il a confiance en l’homme. Il ne demande à l’individu ni son sexe, ni sa couleur, uniquement son humanité. Il se base sur la conviction que tous les humains sont également dotés de droits naturels et de raison, ainsi que sur une vision de la Nation comme une libre construction politique fondée sur le contrat social et l’espace public, plus que comme une communauté déterminée, en particulier ethnique. Il est symbolisé par la DDHC de 1789, la déclaration de Philadelphie de 1944 ou par la DUDH de 1948.

La critique des valeurs humanistes est malheureusement très développée. Les deux guerres mondiales ont ouvert la voie à la remise en cause souvent ridicule d’ailleurs. Toute une philosophie dite postmodernisme a fait son terreau d’une critique de la raison. On a même vu Monseigneur Lustiger explique que la raison a mené à Auschwitz, comme si Hitler était un symbole du rationalisme. On ne regarde plus les progrès de l’esprit humain, chers à Montesquieu, mais les horreurs. On cherche à lire les Lumières comme une philosophie de domination, les philosophes des Lumières comme des racistes.

J’ai même entendu un jour un de ces penseurs à la sauvette expliquer en quoi Montesquieu était raciste car il avait déclaré, parlant d’un noir : « Comment peut-on avoir une âme blanche dans un corps aussi noir ? » Entrainé par sa haine, notre « penseur » n’avait pas noté, ce que sait le moindre élève de terminale, l’utilisation de l’ironie pour faire passer un message progressiste. La citation exacte est d’ailleurs « On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir ».

2/ L’apparition du concept de mondialisation, fondé sur une conception des relations économiques, a légitimé la remise en cause de l’Etat républicain. Il n’y a plus en la matière de Liberté, sinon sur les questions annexes. Ce qui est frappant, c’est la manière dont s’est faite la montée de cette pensée mondialiste. Elle s’est développée dans les années Thatcher/ Reagan sur des bases qui ne sont pas seulement économiques. Rappelons-nous La phrase de Madame Thatcher : Le concept de société n’a pas de sens. Il n’y aurait que des individus isolés, thèse contraire à la pensée d’un Léon Bourgeois qui affirmait « L’individu isolé n’existe pas ». Il est important d’insister sur ces deux aspects apparemment contradictoires : renforcement de la pensée commune et disparition du lien social. La mondialisation, avant d’être une vision économique, est une idéologie, une idéologie de la soumission. Elle ne peut donc s’accommoder de l’universalisme humaniste car celui-ci est fondé sur l’esprit critique, et sur la liberté de penser. La philosophie républicaine, dans un telle évolution, était une gêne et tout a été fait pour la détruire. Ce fut malheureusement largement l’œuvre de la gauche.

Etant moi-même un produit de la gauche, j’ai vu croitre cette volonté d’interpréter la République comme une oppression. La Gauche, incapable ou ne voulant pas s’opposer au diktat d’un discours mondialiste présenté comme universel (voir Pascal Lamy), a trouvé plus moderne et surtout plus électoral, de se poser en meilleur défenseur de ce discours, d’assimiler l’antiracisme à la magnification des différences, d’instrumentaliser l’antiracisme (ce n’est pas un hasard si SOS racisme est créé par Mitterrand en même temps que le tournant de la rigueur). Dans un même souffle, la Gauche soumet l’analyse de l’Histoire au développement des repentances, allant jusqu’à élaborer des lois mémorielles qui décident de la vérité en Histoire. C’est au nom de minorités magnifiées par quelques Jack Lang que se développait un discours sur la dictature de la majorité. C’est au nom de celles-ci qu’a été organisé un bicentenaire de la Révolution ridicule, d’ailleurs tellement peu en phase avec 1789 que la cérémonie était organisée en même temps que le G7. Bref, le discours identitaire s’est substitué au combat républicain ou à la lutte des classes. Le slogan « Vivons ensemble nos différences » ignore le combat social.

Je voudrai donc insister sur la démystification de la mondialisation. Lutter pour la liberté, c’est s’opposer justement s’opposer à ce nouveau Léviathan. Je conseille, en la matière, de lire « L’esprit de Philadelphie » d’Alain Supiot, professeur au Collège de France, dans lequel il déclare que la Mondialisation n’est pas un fait de nature, mais une construction humaine. Comme toute construction humaine, elle peut être contestée, voire remise en cause.

3/ La soumission à la mondialisation fut évidemment aussi la soumission à sa clef de voute, à savoir les Etats-Unis d’Amérique. Je pense souvent à Aplusbegalix, cher gaulois de la bande dessinée d’Astérix intitulée « Le combat des chefs ». Ce personnage veut faire un aqueduc alors que la rivière traverse son village parce que ça fait Romain. On trouve aujourd’hui révolutionnaire de reprendre les discours produits par les université d’outre atlantique. Du coup, sont considérés comme présentables ceux qui y ont leurs entrées. Prenons le cas de Madame Rokaya Diallo qui se répand aux Etats-Unis, dans les colonnes du Washington Post ou dans les couloirs de l’ONU, pour dire du mal de la France et magnifier le modèle américain. C’est cela qui lui donne bizarrement une légitimité.

Grace à ce tour de passe-passe, on en arriverait à un extraordinaire renversement historique. Ainsi les Etats-Unis seraient le symbole de l’antiracisme et la France le type même de l’Etat raciste. Lorsqu’on se rappelle que les Etats-Unis n’ont accepté, en 1942 après le débarquement en Afrique du Nord, de ne fournir du matériel à la 2ème DB que sous réserve qu’il n’y aurait pas de soldats noirs, lorsqu’on se souvient qu’Eleanor Roosevelt ne put faire chanter Ella Fitzgerald dans la maison blanche, lorsqu’on se souvient que les noirs n’ont eu des droits civiques aux Etats-Unis qu’en 1964, on croit rêver.

Il ne s’agit pas de donner dans l’antiaméricanisme primaire, mais de rappeler qu’un alliance n’est pas une soumission et que la France a depuis longtemps une tradition républicaine marquée par des figures telles qu’Alexandre Dumas, Blaise Diagne, Aimé Césaire ou Gaston Monnerville. Rappel d’autant plus salutaire aujourd’hui que la situation semble contestée sur le territoire américain lui-même.

Reprenant une enquête de Pew Research Center, Clay Routledge a tenté d’expliquer pourquoi 58 % des sympathisants Républicains considèrent que les universités ont un impact négatif sur la nation américaine tandis que seulement 19 % des Démocrates partagent le même avis. Et la tendance semble hésiter dans une Amérique qui se remet en cause. L’affrontement entre Hillary Clinton et Bernie Sanders en a été une illustration.

La question devient cruciale car une société émiettée où un Citoyen est seulement défini par son appartenance, ou sa soi-disant appartenance, n’a plus de capacité à analyser, à produire.

Même les lois découvertes par les sciences de la nature n’échappent plus aux injonctions communautaires. Comment expliquer autrement la publication du fameux texte parodique inventé par Alain Sokal « Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique ». Comment les responsables d’une revue scientifique ont-ils pu publier sans problèmes un texte proclamant que « l’enseignement de Ia science et des mathématiques [...] doit être enrichi par l’incorporation des aperçus dus aux critiques féministes, homosexuelles, multiculturelles et écologiques » ? (Social text 1986)

Du coup, un américain sur Twitter déclare-t-il : « Nous sommes littéralement arrivés au point où les gens auront peur de publier des découvertes scientifiques qui pourraient contrarier l’idéologie politique. Salut, Galilée ! »

Cette obsession du refuge, de la construction de micro-sociétés qui ne trouvent leur but que dans la diabolisation des autres, peut rassurer certains. Elles ne sont que le reflet de la destruction de l’humanisme. Elle prétend permettre de vivre. Fausse réponse qui me fait penser à cette assertion de Big Brother dans 1984 : « Tant que votre but sera de rester vivants, non de rester humains, rien ne changera. Mais, à la qualité d’êtres humains, vous avez préféré celle d’êtres vivants, vous confinant ainsi dans un éternel présent et vous assurant que je serais toujours là. Ne vous en plaignez pas ».