De la laïcité positive à la laïcité soumise.

De la laïcité positive à la laïcité soumise.

Jeudi 30 novembre 2017, par Loïck Gourdon, Tribune libre

Si pendant la campagne électorale le discours de l’actuel « Premier de cordée » était resté politiquement correct mais surtout flou sur sa conception de la laïcité, ses dernières déclarations ne laissent guère de doute sur son positionnement intime en la matière.

Ainsi, dans la déclaration au « Parisien » du 10 octobre 2017 on peut lire : «  la laïcité n’est pas la négation des religions, c’est la capacité de les faire coexister dans un dialogue » Nous voilà donc entrés, comme dit Philippe Portier, Directeur du Groupe Société, Religions, Laïcité au CNRS, dans une « laïcité de coexistence » c’est-à-dire un œcuménisme exactement contraire à la tradition laïque, qui, faut- il le répéter, se fonde sur la stricte séparation des Eglises et de l’Etat.

Auparavant, le 1er octobre 2016, au cours du débat qui l’opposait à Jean François Khan, Emmanuel Macron déclarait : « La République est le lieu magique qui permet à des gens de vivre dans l’intensité de leur religion  » dont acte, à ceci près que République ne rime pas avec pensée magique mais avec pensée rationnelle. D’ailleurs, la phrase suivante dissipe toute équivoque. Un catholique pratiquant peut considérer que « les lois de la religion dépassent les lois de la République, dans sa conscience profonde  ». Ce n’est pas dit explicitement, mais on peut légitimement voir là un encouragement à imposer ses convictions intimes dans la sphère publique, comme à Latran, c‘est à dire de faire prévaloir la loi de Dieu -à moins qu’il ne s’agisse des commandements de cléricaux- sur celle des hommes. D’ailleurs les évêques, via Sens commun, n’ont-ils pas appelé à la désobéissance civile en ce qui concerne le projet de loi sur la procréation médicale assistée ? Et que dire des fondamentalistes qui ne reconnaissent qu’une seule loi, celle d’Allah, et qui, devant les tribunaux demandent conseil aux théologiens de l’Islam plutôt à leurs défenseurs, comme ce fut le cas au cours du procès Merah.

L’hommage prononcé lors de la commémoration de l’assassinat du Père Hamel, le 26 juillet 2017 mérite que l’on s’y attarde. Discours de circonstance ou profession de foi ? Telle est la question. Dans un article de « la Croix » daté du 27.07.2017, Jean Louis Schlegel, Directeur de la revue « Esprit » se déclare sidéré d’avoir « pour la première fois entendu un Président de la République (laïque) parler avec les mots de l’Eglise : l’espérance, le don de soi, l’amour » Notons qu’à aucun moment n’ont été prononcés les mots : Liberté Egalité Fraternité non plus que Laïcité. Nous conviendrons avec Philippe Portier que le fait de reconnaître que les croyances peuvent « cohabiter à la fois dans l’intimité et dans l’intensité » c’est admettre que la société doit se construire à partir des valeurs portées par les religions. En cette circonstance il n’a pas été dit que c’était à l’Eglise d’accepter la loi de la République laïque mais que « l’Eglise faisait partie de la République, et qu’en cette circonstance elle était exemplaire ». Faut- il voir dans cette affirmation une « valeur supplémentaire  » du catholicisme eu égard aux autres convictions, héritée de Paul Ricœur, pour qui le catholicisme constituait «  l’énergie centrale  ».

Par ailleurs, le 2 novembre 2017, le journal « La Croix », encore lui, révélait que le Président Macron acceptait officiellement le titre de « Premier et unique Chanoine Honoraire de la Basilique de Latran  », cathédrale du pape, et qu’il avait l’intention de d’aller rapidement en prendre possession à Rome. Or, rien n’oblige un Président de la République à accepter cette charge symbolique qui fait tache en République laïque. S’agit- il de mettre à genoux à terre devant le Souverain Pontife par conviction intime, abandonnant par là même un pan de la souveraineté nationale, ou d’un signe adressé à l’électorat catholique ? C’est en tout cas une entorse, une de plus, à la Loi de Séparation. C’est la liberté de conscience et non la foi qui détermine le rapport de l’Etat à l’ensemble des religions en général et de chacune en particulier. La conscience n’est pas la foi et l’égalité entre citoyens justifie que l’Etat demeure extérieur aux considérations théologiques et à leurs pratiques. La liberté de conscience ne vise pas l’égalité de traitement entre les religions, l’article premier de la Loi de 1905 est clair sur ce point, l’Etat - au sens juridique du terme- ne reconnait aucun culte. Ainsi, la liberté de conscience ne peut être effective que par une stricte séparation entre le fait religieux et le champ politique. La seule façon cohérente de se prémunir contre le retour en force des religions dans la sphère publique et préserver la paix civile est de les assigner à «  l’intimus  », la sphère privée. Prétendre les traiter sur un plan d’égalité renvoie à un œcuménisme faussement laïque, conception qui pollue actuellement le discours sur la laïcité.

A cet égard, la déclaration récente de l’actuel Ministre de l’Intérieur et des Cultes est particulièrement édifiante « nous voulons que les musulmans se sentent fiers d’être français, fiers d’appartenir à la nation ». Mettre sur le même plan l’appartenance supposée à une religion et la citoyenneté constitue une grave dérive. En oubliant que la République ne reconnait personne d’autre que le citoyen, à mots couverts, Gérard Collomb engage l’Etat sur la voie d’une gestion larvée du communautarisme qui affaiblit et pervertit la République.

Faut- il s’en étonner ? Un élément d’explication explication réside sans doute dans l’adhésion philosophique hautement proclamée du Président aux thèses du philosophe Paul Ricœur qui vécut à Chatenay Malabry dans un lieu communautaire fondé par Emmanuel Mounier. Quant au Ministre chargé de faire respecter la laïcité de l’Etat, souvenons- nous que dans son fief lyonnais, il a mis en place «  une instance de dialogue et de concorde  » qui renvoie à « l’instance de dialogue permanent entre les Eglises et l’Etat  » instituée par l’Union Européenne. On est plus près des thèses de la laïcité ouverte, rebaptisée inclusive, du christianisme social que de la laïcité de Jaurès, fervent adepte de la séparation, adossée au mouvement ouvrier, pour qui, sans République sociale il ne pouvait y avoir de République laïque. Pour les laïques l’heure du repos est loin d’être arrivée, plus que jamais le combat pour l’émancipation des consciences reste l’ordre du jour. L’appel des laïques constitue un point d’appui, un pas vers la reconstruction du mouvement laïque sur ses bases historiques.

Loïck GOURDON le 16.11.2017.