Le communautarisme : une invention française ?
Jeudi 9 janvier 2020, par
Le mot communautarisme, terme aux contours flous à connotation plutôt négative, est apparu dans les années 80 dans le discours politique et s’il est la traduction du mot l’anglosaxon « communautarism » selon lequel -chaque individu appartient nécessairement à une communauté dont, en un premier temps à tout le moins, il faut suivre les règles pour devenir plus tard un citoyen accompli - il en va tout autrement dans l’hexagone, ou dans l’imaginaire politique, la notion est identifiée à une menace contre l’unité nationale, la République, l’universalité, les droits de l’Homme.
Vu sous cet angle, le communautarisme peut être défini comme un projet socio politique visant soumettre les membres d’un groupe aux normes supposées propres à ce groupe, à telle communauté, bref à contrôler les opinions, les croyances, les comportements de ceux qui appartiennent en principe à cette communauté. Loin d’incarner le droit à la différence, le communautarisme renverrait donc à la tyrannie du groupe sur l’individu.
Souvent, par réaction de défense, d’auto-victimisation, ce terme désigne une forme d’ethnocentrisme ou de sociocentrisme qui s’oppose aux notions de libéralisme, d’individualisme, de rationalisme et à l’universalisme.
Au final il s’agit bien d’un mot valise unifiant un ensemble de thèmes disparates qui organisent le débat public selon une perspective que l’on peut qualifier d’ethno-nationaliste, d’un mot à géométrie variable.
Même si le terme peut s’appliquer au mouvement LGTB dont certains adeptes s’estiment exclus de la société, aux communautés accrochées aux langues régionales, aux sociétés mystiques, à la thématique de l’Ecole, du logement voire du sport, à l’auto ségrégation du communautarisme de classe, entre soi des beaux quartiers, les premiers visés sont à l’évidence les populations issues de l’immigration, les maghrébins en particulier dont une minorité revendique une volonté de séparatisme adossée à une tradition fantasmée propagée par un islam politique rigoriste. Il est clair que la crise économique, les discriminations à l’embauche et au logement, sans parler du racisme ordinaire renforcent la revendication identitaire qui s’abrite derrière la proclamation de l’appartenance ethno- religieuse.
Depuis quelques années ce type de communautarisme a trouvé avec un certain succès une traduction politique : l’U. D. M. F. (Union des Démocrates Musulmans de France) dont le programme s’appuie entre autre sur les prescriptions du Coran, bien implanté dans les quartiers dits sensibles, au demeurant territoires perdus de la République, où les troubles à l’ordre public, incendies de bâtiments publics, agressions contre les forces de l’ordre, les pompiers sont récurrentes au point où l’ex ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, au moment de quitter ses fonctions affirmait « La situation est très dégradée et le terme de reconquête républicaine prend son sens dans les quartiers trop sensibles ».
Toutefois il est nécessaire de prendre de la distance avec BFM TV, l’une des machines à décerveler, au service du néo libéralisme. Si on en croit un sondage commandé par le C.R.I.F., sur 18% des immigrés, 11% de leurs descendants habitent les Z.U.S. (zones Urbaines Sensibles) dont 6% de la population connait un fort taux de chômage. L’absence de mixité sociale tient moins à leur volonté de se regrouper qu’à leur manque de ressources, à la discrimination à l’emploi et au logement. Les résultats d’enquêtes menées par des sociologues tempèrent sinon contredisent le repli identitaire. Seulement 12% des descendants des immigrés sont actifs dans des associations communautaires ou religieuses regroupant des membres de la même origine qu’eux. La mixité religieuse ou ethnique progresse, 75% d’enfants d’immigrés choisissent leur partenaire parmi la population majoritaire. De fait, l’identité française sur la base d’une identité ethnique n’est pas attestée. Selon une enquête d’Opinion Way, 83% des sondés n’ont pas le sentiment d’appartenir à une communauté spécifique fondée sur leur origine et 86% en rapport avec leur religion. Parmi les 17% qui estiment appartenir à une communauté, 20% se décrivent comme français et 12% seulement comme « français de souche ». Sur la foi de ces statistiques, on en conclut qu’il s’agit d’un phénomène marginal. Par ailleurs on note un fort attachement à la laïcité. Le développement des inégalités, la crainte des conflits internationaux, dépasse les préoccupations religieuses ou ethniques. Il convient donc de rapporter le discours à la réalité, le discours islamophobe se voile souvent derrière les habits des principes démocratiques, du féminisme, de la laïcité du républicanisme.
J’emprunterai la conclusion de cette réflexion au sociologue Fabrice Dhume qui souligne de façon pertinente le mode opératoire du concept. « L’intérêt fonctionnel de cette catégorie, ( le communautarisme) pour forcer la réalité, réside précisément dans sa malléabilité et son flou. Ces caractéristiques en font l’outil d’une police de terrain. Police du langage, à travers laquelle l’Etat dessine la frontière du dicible. Police des corps, ordonnant la frontière du visible (les minorités visibles, l’interdit du voile dans l’espace public, etc… une police de la pensée qui vise à rendre impensable une autre relation à l’Etat. Cette catégorie tente de contenir la dicible, le visible et le pensable… […] Cette catégorie tente de contenir le dicible, le visible et le pensable. »
Ainsi en 2004 la présidente du Haut Conseil à l’Intégration considérait que la réparation de la « panne de l’intégration » passait par la « reformulation du projet contre la discrimination ». En mettant en cause la société française tenue responsable des discriminations, on a renoncé à l’intégration et ou on a privilégié la prise en compte des communautés. Ainsi, on a pu voir l’Etat s’adresser aux grands frères pour éteindre le feu dans des banlieues ravagées.
Il faut donc rompre avec cette logique de la culpabilité et de discrimination. A travers le terme communautarisme, il semble que se joue l’avenir du modèle de l’intégration. Il existe une alternative. D’un côté, la poursuite de la contention pour maintenir à toute force un modèle obligeant à un travail militaro policier, de l’autre la réouverture du mythe national pour repenser les conditions politiques de la redistribution des places dans lesquelles le travail constituant, fondé sur un humanisme universaliste incarné dans les valeurs de la République, a toute sa place.