Et si on parlait sérieusement de la réforme des institutions
Vendredi 13 octobre 2023, par
Avec l’anniversaire de la Ve République le 4 octobre dernier, le besoin de réformer les institutions a soudain émergé officiellement. C’est l’occasion de toutes les propositions et de toutes les récupérations....
André Bellon et Anne-Cécile Robert développent leurs analyses dans les vidéos ci-dessous. Nous publions de plus, sous les vidéos, les textes de leurs interventions.
Nous sommes le 11 avril 2023 et je dirai qu’il est bon d’éprouver une certaine satisfaction. Parce que, après des années, depuis 2007 où a été voté le traite de Lisbonne bafouant la volonté exprimée par les Français, nous posons, comme d’autres d’ailleurs, la questions des institutions. A l’époque, beaucoup se moquaient, méprisaient la question,… Eh bien, il est enfin admis qu’il y a un problème d’institutions et c’est déjà une avancée considérable.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, en est tellement conscient qu’il est venu faire un discours à l’occasion du 65ème anniversaire de la 5ème République devant le Conseil constitutionnel où il a fait un florilège de « en même temps ». En même temps, il a fait le panégyrique de la 5ème et le besoin de la réformer. Il a valorisé le 49-3 tout en disant qu’il fallait développer le référendum d’initiative même si on sait pas lequel, ni comment. Il a valorisé la volonté du peuple tout en disant qu’il fallait la contraindre. Il a valorisé la volonté nationale, la souveraineté nationale en oubliant de signaler que le droit français était soumis au droit européen.
Devant cette espèce de contradiction, de flou, il est bien évident qu’à un moment, il va falloir trancher. Je pense qu’Emmanuel Macron serait tenté de donner une solution clefs en mains, puis dire : « maintenant vous la voulez ou pas ? ». Mais sa légitimité est actuellement un peu faible pour cela et puis ce n’est pas l’esprit du temps. L’esprit du temps, c’est de créer des relations entre le citoyens, un vrai débat cette fois, pas un débat plus ou moins truandé, pour qu’il y ait réappropriation des institutions qui sont quoi sinon un bien public, ce qui justifie le combat pour se les rapproprier. Et, au travers de cette réappropriation, de reconstituer cet être politique qu’on appelle le peuple, c’est-à-dire reconstituer une vie politique parce qu’il n’y a plus de vie politique dans ce pays. En fait, la question des institutions permet de reparler politique.
Je sais bien que beaucoup d’organisations prétendent faire la même chose, mais ce n’est pas toujours la même. Par exemple, j’ai vu qu’il y a eu une réunion colloque organisée par Mediapart sur la question des institutions. S’y sont rencontrés un certain nombre de personnages, en particulier des députés insoumis et des experts comme Dominique Rousseau. Les uns comme les autres se présentent depuis des années sinon comme les propriétaires de la question institutionnelle, mais du moins comme les référents par lesquels il faut passer pour poser la question. On le voit bien dans les articles publiés par Dominique Rousseau dans Le Monde de façon assez permanente. Autant il peut y avoir des personnages qui apportent leur expertise, leur connaissance, autant ils ne peuvent pas être, du moins en ce moment, les référents.
Il faut que la parole soit libre justement pour reconstituer le lien social, pour reconstituer la vie politique. Elle ne doit pas être dominée par la pensée de tel ou tel plus ou moins subtil et plus ou moins important. Non, il ne faut pas que ce soit ainsi. Il faut que, partout, avec l’aide des associations, il y en a plein qui travaillent sur la question institutionnelle, et avec la bonne volonté des citoyens qui, par ce processus, ont envie de participer à nouveau à la vie politique, ce qui n’était pas jusque là le cas, on aboutisse à créer effectivement la réflexion et donc la solution à la question « Les institutions, c’est quoi ? Comment ? ». Tel est le travail qui s’offre à nous. Cela s’appelle la démocratie.
Le 4 octobre dernier, à l’occasion de l’anniversaire de la 5ème République, on a vu dans la presse et sur les réseaux sociaux, un certain nombre de propositions formulées par des citoyens ou des groupes. Et, à cette occasion, on a vu ressurgir une figure, celle de l’expert médiatique, avec ce travers que souvent, y compris dans les milieux associatifs éclairés, sensibilisés, on prend la parole de l’expert pour une parole neutre et objective.
Rappelons-le : ce n’est pas parce qu’une personne a une compétence, une expertise technique dans un domaine que ça le rend compétant sur toutes les questions et, en particulier, sur l’intérêt général. L’intérêt général, c’est la compétence de tous les citoyens parmi lesquels figurent, bien entendu , les experts. Là, on a, à nouveau, ce travers puisqu’on voit des associations reprendre pour argent comptant, sans les discuter, telles quelles, des propositions formulées par des experts.
Je vais prendre une exemple particulièrement emblématique parmi d’autres, celui de Dominique Rousseau qui publie régulièrement des tribunes dans Le Monde et qui en a fait une la semaine dernière avec des propositions intéressantes par ailleurs. Mais ses propositions sont reprises dans certains milieux comme si elles étaient des vérités alors que, comme tout le monde et comme tous les experts, Dominique Rousseau a une philosophie, une idéologie et les propositions qu’il formule reflètent cette philosophie et cette idéologie.
De quoi s’agit-il ? Deux choses :
La première est, chez Dominique Rousseau, une méfiance vis-à-vis du suffrage universel. Il y a effectivement dans ses discours, le référendum, le retour au débat, mais tout cela est précédé de processus qui sont destinés à orienter, à encadrer le suffrage universel. Rappelons d’abord que le suffrage universel est une conquête politique et qu’il ne faut pas, parce qu’il y a des dérives aujourd’hui, le mettre de côté. Et c’est ce que fait Dominique Rousseau lorsqu’il propose par exemple que le changement des institution soit préparé par un comité 20 personnes qui serait composé pour moitié d’experts nommés par le gouvernement -déjà c’est un peu drôle du point de vue de la neutralité- et pour l’autre moitié de 10 citoyens tirés au sort, un petit peu pour décorer, ça fera peuple. On voit bien que ce comité préparera des propositions qui, ensuite, seront présentées comme un paquet au suffrage universel des citoyens qui devront les accepter ou les refuser en bloc.
Le deuxième biais dans la philosophie de Dominique Rousseau, c’est la survalorisation du rôle du juge. La plupart d’entre nous, lorsqu’ils entendent juge, pensent qu’il va trancher des questions de droit. Chez Dominique Rousseau, ce n’est pas cela, c’est plus que cela. Il se réfère d’ailleurs à l’idée d’une Cour constitutionnelle. Dans l’histoire du droit et dans ce qui est pratiqué en Allemagne ou aux Etats-Unis, les Cours constitutionnelle font plus que trancher des questions de droit, elles tranchent des questions politiques, des questions politiques, des questions éthiques, morales. On l’a vu par exemple aux Etats-Unis sur la question de l’avortement. Cette survalorisation du rôle du juge qui est bien représentée dans l’idée de Cour constitutionnelle est liée au concept d’État de droit qui est, lui aussi, considéré comme neutre lorsqu’on pense à la séparation des pouvoirs ou des choses de cet ordre. En fait ce n’est pas cela et j’en veux pour preuve que, au sens de l’Union européenne, l’État de droit comprend l’économie de marché. C’est vous dire à quel point c’est politique.
Dans cette politique de Dominique Rousseau, finalement on écrase le politique au profit de choses qui vont l’encadrer, l’orienter alors qu’aujourd’hui c’est exactement du contraire qu’on a besoin. On a besoin de politique, on a besoin de débats les plus ouverts possibles. Et de des débats naitront des propositions que le peuple s’appropriera en les tranchant par le suffrage universel.