À Puerta del Sol, les Indignés se réapproprient la démocratie... et la Marseillaise
Mercredi 25 mai 2011, par
Depuis le 15 mai, la Puerta del Sol au cœur de Madrid est occupée par le mouvement los Indignados. Ce surnom s’inspire du titre de l’ouvrage de Stéphane Hessel, "Indignez-vous !" [1]. De façon inattendue pour les politiciens et nos médias hexagonaux, celui-ci a pris une ampleur considérable puisqu’il s’est étendu environ à 70 villes espagnoles.
Dimanche dernier, les élections en Espagne furent marquées par la Bérézina du parti de José Luis Rodriguez Zapatero. Ce dernier a déclaré que "Si j’avais 25 ans je serais sûrement à la Puerta del Sol" [2] en oubliant de rajouter qu’il préfère actuellement participer aux réunions du Groupe Bilderberg [3]. Tout comme le “socialiste” Papandréou en Grèce, celui-ci a “adopté un programme d’austérité recommandé par l’Union européenne et les marchés financiers avec des coupes à la hache dans les salaires des fonctionnaires, les prestations sociales, les services publics” [4].
Qui sont et que veulent les Indignés de la Puerta del sol ?
Céline Gesret, dans son article publié par ouest-france.fr [5], nous apprend que la protestation est “née spontanément il y a tout juste une semaine suite à une manifestation convoquée sur internet par le mouvement Democracia Real Ya (ndlr : La véritable démocratie maintenant)”. Ce mouvement , “qui n’est affilié à aucun parti, ne rassemble pas seulement des jeunes, mais aussi des chômeurs, des travailleurs et des retraités”. La Puerta del Sol est devenue une “agora, à la fois centre de débats et centre de vie”. Son reportage est accompagné d’une vidéo dans laquelle Noelia, porte-parole de Acampada de Puerta del Sol, déclare : “Ce que nous voulons c’est une vraie démocratie, une vraie politique élaborée par les citoyens. Nous voulons un système qui veille sur les citoyens et pas sur les intérêts des marchés. Le message que nous voulons envoyer c’est que nous ne sommes pas des marchandises entre les mains des politiques et des banquiers.” Ainsi, nous pouvons constater que les revendications dépassent l’exaspération face à l’austérité, la corruption des politiciens ou le chômage [6] ; elles atteignent le centre de ce “système économico-politique en perdition” pour reprendre une expression de Jean Baudrillard [7].
Ces manifestants veulent reconquérir leurs droits, en particulier leur droit naturel à l’existence [8]. Ils ont compris que cela ne pourra advenir qu’à partir du moment où les citoyen(ne)s reprendront le pouvoir confisqué à l’échelle nationale, européenne et mondiale par des institutions au service notamment de l’oligarchie financière. Ils souhaitent la démocratie au sens propre de son étymologie, des mots grecs “demos” (le peuple) et “kratos” (le pouvoir).
Avant-hier, lors d’une assemblée générale, le Movimiento 15-M. a décidé de poursuivre l’occupation de la Puerta del Sol pendant encore une semaine. La prochaine étape qu’ils se sont fixée consiste à décentraliser le mouvement, à déplacer les débats vers des assemblées à l’échelle des quartiers ou des villages de la communauté autonome de Madrid, puis à se coordonner avec les autres villes d’Espagne.
On ne peut qu’être admiratif devant de telles initiatives. Seul ombre au tableau, les élections de dimanche dernier ont vu la victoire d’un autre élément du système, le Parti Populaire. L’appel à l’abstention des manifestants n’a pas été suivi. Mais “Pour nous les élections ne changent rien, déclare Noelia. On dénonce ce système de représentation politique, qui nous force à choisir entre deux fois la même chose, puisque la droite et la gauche appliquent la même politique économique. Au final c’est le système financier qui nous gouverne...” [9] Une fleur espagnole de liberté et d’égalité vient d’éclore. Ces manifestants ont compris que “la souveraineté politique du peuple est le socle de l’émancipation sociale” comme le soulignait Jean Jaurès . Ils raisonnent en tant que Citoyen(ne)s, membre du souverain.
Et on entendit la Marseillaise…
À Puerta del sol, d’une certaine façon, on a retrouvé un vieillard avec son violon comme celui de Naguib Mahfouz, dans son livre Passage des miracles [10].Le patron Karcha dit au vieux poète : “Nous connaissons toutes tes histoires et nous les savons par cœur. Nous n’avons pas besoin qu’on nous les raconte à nouveau. Par le temps qui court, les gens ne veulent plus de poète”. L’universitaire Juan Carlos Monedero, sur le site sinpermiso.info [11], nous raconte la présence à Puerta del sol d’un vieil homme jouant la Marseillaise sur un harmonica. Peu à peu, les gens commencèrent à l’écouter attentivement. Puis, avant de commencer à jouer la Himno de Riego, il dit : “Si vous savez, voyez ! C’est comme la Marseillaise, mais ici.”
Oui, il est temps d’entendre ses vieilles histoires, d’écouter un ancien officier F.T.P.-M.O.I., comme M. Léon Landini [12] nous rappelant qu’ “Il convient de mettre en évidence que la Marseillaise n’est pas uniquement un hymne français, mais un chant révolutionnaire de la première heure, qui a été repris et adopté par nombre de révolutionnaires de tous les continents. En voici quelques exemples : * Le drapeau tricolore et la Marseillaise étaient l’emblème et le chant des sans culottes, qui à Valmy vainquirent la coalition royale accouru pour écraser la République française. [...] * Vers 1900, ceux qui en Russie chantaient la Marseillaise en public étaient arrêtés et déportés par la police du tsar. * Après la révolution d’octobre en 1917, les bolchevicks l’adoptèrent pour hymne, avant de reprendre un autre chant révolutionnaire : L’Internationale. * En 1931, à l’avènement de la Seconde République espagnole, les espagnols accueillirent le nouveau régime en chantant la Marseillaise, dans une version espagnole ou catalane. * En 1940, dans la France occupée c’est au chant de la Marseillaise que les 27 fusillés de Châteaubriant furent emmenés au poteau d’exécution. * C’est à Auschwitz, que 300 françaises pénétrèrent dans ce camp de la mort en chantant la Marseillaise, défit antinazi incomparable, ce qui redonna du cœur au ventre à l’ensemble des déportés. * Combien de résistants, militants communistes furent fusillés poings levés, en chantant la Marseillaise et en criant vive le Parti communiste. Un grand nombre d’entre eux auraient considéré comme un honneur d’être ensevelis dans un drapeau tricolore.
* Il me semble utile de rappeler, (ce que beaucoup ignorent) que L’Internationale a été écrite par Eugène Pottier pendant la révolte de la commune de 1871 sur l’air de la Marseillaise et, qu’aujourd’hui encore on peut très bien mettre les paroles de L’Internationale sur la Marseillaise et vice et versa.” [13]
Cette Marseillaise qui a (enfin) son mémorial à Marseille comme l’a précisé l’Association pour une Constituante.
Si par bonheur la dynamique lancée par les Citoyen(ne)s de Puerta del sol continuait sa libre dynamique, sans basse récupération politicienne, le processus devrait alors se terminer par une Assemblée constituante espagnole, symbole d’une remise à plat des règles institutionnelles, économiques et politiques. Nous n’en sommes pas encore là, mais comme l’écrivait Monique et Roland Weyl dans un merveilleux petit livre, “La démocratie active permanente n’est pas une utopie : elle est un objectif à conquérir” [14].
Quintidi 5 Prairial an CCXIX