La Grèce à la recherche de son destin et de sa vérité. Une Assemblée constituante ?
Jeudi 16 juin 2011, par
Hier, de nouveau, la Grèce a connu une forte mobilisation populaire, en particulier à travers une grève générale très suivie, pour protester contre les nouvelles mesures d’austérité présentées par le gouvernement « socialiste » de Georges Papandréou, président de l’Internationale « socialiste », dont le ministre des Finances, Georges Papaconstantinou, vient de participer à la dernière réunion du groupe Bilderberg [1].
Afin d’empêcher les députés de débattre des nouvelles contre-réformes dictées par le FMI et l’Union européenne, le cœur de la contestation s’est situé devant le Parlement grec - η Βουλή -, précisément place de la Constitution - το Σύνταγμα - qui était submergée par des banderoles où on pouvait lire « No pasaran » (« ils ne passeront pas », en espagnol) et « Résistez ». Cette dernière est le lieu de rassemblement depuis trois semaines des Indignés - Αγανακτισμένοι - grecs qui ont voulu former une chaîne humaine afin d’encercler le Parlement protégé par la police [2]. D’après la journaliste Angélique Kourounis, « 1200 motos de policiers ont dû faire une allée spécifique dans les rues adjacentes pour permettre au Premier ministre et au Président de la République d’atteindre le Parlement. 15 000 policiers ont été également mobilisés autour du Parlement pour permettre cette fois-ci aux députés d’entrer dans le bâtiment. Ils y sont rentrés sous les jets d’œufs, de yaourts, de bouteilles d’eau. Même le Président de la République, qui est généralement quelqu’un de très populaire a eu son lot de yaourts. La colère est immense en Grèce. Cela ne s’est jamais vue toutes ces dernières années. » [3]
Bien que le Pasok dispose de la majorité au Parlement, des incertitudes régnaient sur la solidarité parlementaire après la défection d’un député mardi. « Il faut avoir la cruauté d’un tigre pour adopter de telles mesures. Ce n’est pas mon cas », avait expliqué George Lianis [4]. Après cette première fissure, le mur Pasok a commencé hier à s’effondrer avec la décision, annoncée dans une brève allocution télévisée, du Premier ministre « socialiste » de former un nouveau gouvernement et de demander dès aujourd’hui un vote de confiance au Parlement, prenant acte du refus de l’opposition conservatrice de parvenir à un accord pour former un gouvernement d’union nationale [5]. « Nous avons dit au Premier ministre lors d’une conversation téléphonique que nous n’accepterions un gouvernement élargi qu’à deux conditions : le départ de George Papandréou et (...) la renégociation des conditions fixées par l’UE et le FMI » selon une source proche de la « Nouvelle Démocratie » [6]. On peut ainsi constater que le fond du problème est occulté par l’organisation UMPS grecque, mais également s’apercevoir que les deux principales formations politiques sont en train de serrer les rangs à l’approche de leur effondrement. Et pourtant, aux dernières élections, le Peuple grec avait envoyé un message fort avec une abstention record alors que le vote est en principe obligatoire, sans oublier bien évidemment la multiplication des grèves générales.
La Grèce sacrifiée
Le 5 juin dernier sur i-Téle, un échange vigoureux eut lieu entre deux partisans du libéralisme économique, à savoir Natacha Valla, chef économiste chez Goldmann Sachs, et l’économiste Marc de Scitivaux. A partir de 5min 35s, la discussion fut particulièrement intéressante et Marc de Scitivaux lâcha à un moment : « Il ne s’agit pas d’aider les Grecs ! Il s’agit de sauver l’euro jusqu’au dernier Grec vivant ! » [7]. Le reportage ci-dessous nous donne également un bon complément et constitue une bonne synthèse de certains événements en cours.
La crainte des dirigeants de l’Union européenne est l’effet domino en cas de défaut de l’État grec vis-à-vis de la dette du fait que certaines banques européennes, en particulier françaises, détiennent des parts de la dette grecque. « Selon des chiffres publiés le 6 juin par la Banque des règlements internationaux (BRI), les banques allemandes détenaient fin 2010 un total de 22,6 milliards de dollars (15,3 milliards d’euros) de dette publique grecque, contre 15 milliards de dollars (10,5 milliards d’euros) pour les banques françaises » [8].
Le FMI et l’Union européenne exigent que la Grèce privatise tout ce qui peut l’être en échange de l’ « aide » apportée. Et en effet, la grande braderie [9] est considérable avec comme serpent de mer éventuellement des ventes ou locations longue durée de plusieurs de ses 6.000 îles, auquel il faut ajouter des baisses de salaires et du montant des retraites , l’augmentation des taxes, des coupes dans les dépenses de santé, des atteintes aux conventions collectives, etc. Le FMI et l’Union européenne appliquent le programme bien connu « d’ajustement structurel »…
D’où vient la dette ?
Comme pour certains riches « citoyens » français [10], la Suisse protège les milliards de célébrités grecques redoutant le fisc. Malgré çà, le gouvernement grec travaille main dans la main avec les armateurs grecs [11], quitte à mettre en grande difficulté certains secteurs en Grèce. En juillet 2010, un quotidien polonais nous apprenait que le gouvernement de Georges Papandréou avait conclu l’achat de deux sous-marins allemands pour un total de 1,3 milliard d’euros et qu’il s’était engagé à acheter, pour 2,5 milliards d’euros, des navires de guerre et des hélicoptères français. Selon plusieurs commentateurs, la signature de ces deux contrats était l’une des conditions informelles à l’octroi, par l’UE et le FMI, du plan de sauvetage grec de 110 milliards d’euros.
Ces contrats ont été évoqués dans le documentaire Debtocracy qui a rencontré un grand succès tout en tant popularisant une campagne nationale demandant une commission d’audit de la dette publique du pays. Sur certains points, en s’efforçant d’expliquer les origines de la dette, il est particulièrement instructif , mais il a le défaut de survoler la responsabilité considérable des Traités européens.
Lors d’une réunion publique à Gentilly le 31/01/11, François Hollande, Young Leader dans le cadre de la Fondation Franco-Américaine, avait répondu négativement à la question suivante : êtes-vous pour la suppression de l’article 123 [12] du traité de Lisbonne ?
Il souhaite que les États continuent à emprunter sur les marchés financiers et à payer les intérêts.
Depuis une loi du 3 janvier 1973, l’État français a transféré son droit régalien de création monétaire sur le système bancaire privé comme cela avait déjà été évoqué dans l’article La dette publique, une affaire rentable. À qui profite le système ? qu’il est nécessaire de consulter. Ce transfert concerne en fait tous les États de la zone euro à cause de cet article 123 qui reprend l’article 104 [13] du traité de Maastricht -cet article 123 est également identique à l’article 181 du Traité Constitutionnel Européen refusé par le peuple français en 2005 par référendum [14]-. Malheureusement, ce point crucial est peu évoqué actuellement en Grèce.
« Les Grecs perdent confiance dans leurs institutions »
Le 04/06/11, rfi.fr titrait ainsi son article évoquant une nouvelle journée d’action à l’appel des syndicats. Ce dernier évoquait une faible mobilisation, mais également les multiples « altercations » entre certains citoyens et les responsables politiques. Comme en France, la Grèce connaît ses affaires de corruption à l’image des scandales autour du Pasok et du groupe allemand Siemens [15]. Une partie de la population n’a plus confiance dans les syndicats et les partis politiques, d’où le mouvement des Indignés en dehors de ces organisations. Celui-ci a pris une ampleur considérable atteignant près de 1 million de manifestants dans toute la Grèce certains jours.
Les Grecs recherchent une solution pour s’en sortir. Mikis Theodorakis, symbole de la résistance contre la dictature des colonels, a lancé un mouvement de citoyens indépendants, nommé "Spitha" (Etincelle), dans le but de résister directement aux pressions imposées par les USA, le FMI et l’UE. Il considère que la souveraineté nationale est cédée aux puissances étrangères [16]. En effet, que devient la nation grecque ? Comme l’avait exprimé Robespierre, « Esclave ; car la liberté consiste à obéir aux lois qu’on s’est données, et la servitude à être contraint de se soumettre à une volonté étrangère » [17]
Place de la Constitution, une Assemblée populaire a vu le jour… La Grèce s’engagera-t-elle à moyen terme comme la Tunisie vers le chemin d’une Assemblée constituante, symbole d’une remise à plat des règles institutionnelles, économiques et politiques ? Peut-être…
« Et en cette heure où la Grèce se sait à la recherche de son destin et de sa vérité, c’est à vous, plus qu’à moi, qu’il appartient de la donner au monde » André Malraux, discours prononcé à Athènes le 28/05/59
Septidi 27 Prairial an CCXIX