Tunisie : qui a peur de la Constituante ?
Lundi 31 octobre 2011, par
L’élection tunisienne a fait apparaître en plein jour le mot Constituante qui n’était jusqu’alors que peu usité.
C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose.
Bonne car le mur du silence qui entourait ce vocable est enfin brisé. Mauvaise car le résultat des élections amène à en donner une interprétation fausse.
Les éditorialistes politiques, pas toujours, il est vrai, très au courant des choses, n’ont pas su expliquer la réalité des faits. Combien d’entre eux ont, en effet, glosé sur un gouvernement selon eux issu de ce scrutin ? Or, une élection constituante donne naissance à une Assemblée destinée à définir une Constitution, pas à un cabinet ministériel. Celui-ci ne pourra émaner que des votes ultérieurs organisés suivant les règles élaborées par l’Assemblée constituante. Les commentateurs médiatiques pourraient-ils enfin savoir de quoi ils parlent ?
Au-delà de ces précisions nécessaires, il est vrai que c’est surtout le résultat des élections qui a frappé les imaginations. Le succès du parti « islamiste » entraine la diffusion d’une équation bizarre suivant laquelle Constituante égalerait extrémisme. Idée a priori étrange.
Ceux qui véhiculent cette pensée, en jouant par exemple sur la peur de l’extrême droite, sont-ils conscients que c’est la démocratie elle-même qu’ils contestent ? Pourquoi cet a priori ? N’y a-t-il pas là comme un mépris du peuple qui voterait « mal », selon certains déçus par le référendum sur le traité constitutionnel européen ? Doit-on refuser la démocratie parce qu’elle pourrait, peut-être, donner des résultats qui ne nous conviennent pas ? L’expérience ne montre-t-elle pas au contraire (29 mai 2005) que lorsqu’on pose une question intéressante aux citoyens, ils se mobilisent, s’intéressent et votent en masse ? Au lieu de jeter le doute sur le suffrage universel, ne faudrait-il pas organiser la bataille pour faire triompher des options républicaines et laïques, chères au cœur des Français depuis 200 ans ? Il serait paradoxal, au nom de la peur de l’extrême droite, de valider l’abandon de la démocratie ?
Cela dit, lorsqu’on examine le résultat tunisien, lorsqu’on s’inquiète des conséquences, on ne saurait ignorer le pourquoi de cet évènement. Ce sont les gouvernements occidentaux qui ont, depuis des décennies, soutenu le régime de Ben Ali qui a laminé, détruit, marginalisé les forces démocratiques. Et leur faiblesse électorale est donc aussi la conséquence des turpitudes de nos propres gouvernants. Rappelons-nous les déclarations hallucinantes de Michèle Alliot-Marie voulant prêter main forte au dictateur tunisien. Un processus assez proche avait eu lieu en Iran dans la fin des années 1970. Le Shah fut renversé par un mouvement populaire qui ne trouva ensuite son expression que dans les programmes islamistes. Pourquoi ? Parce que l’option démocratique et patriotique, incarnée par le Premier ministre Mossadegh, avait été renversée militairement en 1953 par une intervention anglo-américaine destinée à préserver les intérêts pétroliers de ces pays. Parce qu’ensuite, les démocrates furent liquidés par le régime du Shah ainsi remis au pouvoir. On peut, avec raison, s’affliger des conséquences. Il vaudrait parfois mieux s’inquiéter des causes.
Ce n’est pas la démocratie qui pose problème. Ce sont les forces qui l’ont largement abandonnée depuis des décennies ou qui cherchent à la dévoyer.